22 juin 1636

Le Japon se replie sur lui-même

Le 22 juin 1636, les missionnaires catholiques sont bannis du Japon. D'autre part, interdiction est faite aux Japonais de quitter leurs îles et de construire des bateaux. Avec cette décision du pouvoir central, le vieil empire du Japon se replie sur lui-même pour plus de deux cents ans.

Béatrice Roman-Amat

Premier contact entre l'Europe et le Japon

Avant le XVIe siècle, le Japon était tout à fait inconnu des Européens (et la réciproque était vraie). C'est tout juste si le voyageur vénitien Marco Polo l'a évoqué par ouï-dire à la fin du XIIIe siècle

En 1542, pour la première fois, un navire européen accoste donc au Japon. Il s'agit de Portugais qui faisaient voile vers Macao, sur la côte chinoise. Détournés de leur route par une tempête, ils abordent en guenilles au sud de l'île de Kyushu. Les Japonais les regardent d'abord avec suspicion puis les laissent parcourir le pays.

L'équipage, sous la conduite d'António da Mota, António Peixoto et Francisco Zeimoto, découvre avec stupéfaction les ressources immenses de cette société du bout du monde, prospère quoiqu'en guerre perpétuelle. On est alors dans l'époque du Sengoku (le « pays en guerre »).

Les Portugais concluent un accord avec un prince local afin d'autoriser la venue d'un navire par an à Nagasaki, le grand port de l'île de Kyushu, pour échanger de l'or et des métaux précieux contre des lainages, des fourrures et autres denrées.

C'est le début de relations fructueuses pour le Portugal qui est alors à la pointe de l'expansion coloniale et domine le commerce des épices dans l'océan Indien. Il tient en particulier les places de Manille, Goa et Macao.

En 1549, un jeune Japonais du nom d'Anjirô s'enfuit à Goa, en Inde, où des prêtres jésuites le convertissent au christianisme. Le nouveau converti les convainc de se rendre au Japon. C'est ainsi que saint François Xavier quitte Goa pour l'archipel, suivi de deux coreligionnaires, trois Japonais convertis dont le fameux Anjirô, et quelques domestiques. Sa prédication rencontre un immense succès. Trente ans après son passage, dans un pays qui compte alors dix à douze millions d'habitants, on compte 150 000 convertis et 200 églises, principalement autour de Nagasaki.

Bien accueillis par la population paysanne comme par les seigneurs locaux, les Portugais révèlent aux Japonais le commerce et le christianisme mais aussi les techniques et les idées de la Renaissance occidentale, en particulier les secrets de la fabrication des armes à feu.

Vers un ordre nouveau

Dans le même temps où il découvre l'Occident, le Japon s'unifie sous l'action de trois chefs de guerre successifs qui mettent fin aux guerres féodales.

Oda Nobunaga met fin au shogunat Ashikaga, devenu inapte à maintenir la paix civile. Le 29 juin 1575, il affronte un clan rival à Nagashino, dans une bataille qui se signale par l'utilisation à grande échelle, pour la première fois, des armes à feu.

Son lieutenant Toyotomi Hideyoshi poursuit son oeuvre et c'est finalement un autre lieutenant de Nobunaga du nom de Ieyasu Tokugawa, qui met un point final aux désordres en restaurant le shogunat à son profit en 1603.

Représentation de Tokugawa Ieyasu, Kanō Tan'yū, XVIIe siècle.

Rejet du christianisme et des Européens

Entre temps, les bonnes relations entre Européens et Japonais sont contrariées par l'arrivée de prêtres franciscains, dominicains et augustins, qui ne font pas preuve d'autant de diplomatie que les jésuites à l'égard des pouvoirs locaux.

Après avoir montré beaucoup de bienveillance à l'égard des chrétiens, Toyotomi Hideyoshi commence à craindre qu'ils ne se fassent les agents d'une colonisation européenne ou ne viennent au secours des seigneurs féodaux.

Une première persécution a lieu en 1597 : vingt-six chrétiens locaux sont crucifiés. La raison est incertaine, soit qu'un seigneur eut été irrité de se voir refuser les faveurs d'une chrétienne, soit qu'un ecclésiastique eut refusé de présenter ses respects à un personnage important.

Là-dessus, le 12 avril 1600, un navire hollandais, l'Erasmus, accoste bien involontairement à Bungo, sur l'île de Kyushu, suite à quelques avaries et tempêtes. À son bord, une poignée d'hommes sous le commandement d'un pilote anglais, William Adams.

Les Hollandais, de confession calviniste (protestante) et tout juste sortis d'une longue guerre contre les Espagnols, tiennent les catholiques pour des agents du diable. Leur haine des Portugais est d'autant plus grande que ces derniers sont au début du XVIIe siècle sujets du roi d'Espagne. Le sentiment est réciproque.

Dès lors, ils ne cessent de médire les uns sur les autres auprès des autorités. Et d'autant plus que William Adams est reçu par le maître de l'archipel en personne, Ieyasu Tokugawa. Il construit deux navires selon les techniques européennes et le shôgun est si satisfait de ses services qu'il lui interdit de rejoindre sa famille.

Jusqu'à sa mort, en 1619, à Firando, le marin anglais va vivre en grand seigneur à la cour, enseignant le shôgun dans différentes disciplines scientifiques (géométrie, mathématiques).

En 1609, deux navires hollandais accostent au Japon. Sous l'égide de William Adams, leurs capitaines obtiennent le droit de revenir tous les ans, comme les Portugais. Les deux nationalités sont désormais à couteaux tirés.

Irrité par les rapports que lui font les Hollandais sur les prêtres catholiques et les Portugais, Ieyasu interdit le christianisme en 1612.

Son fils et successeur Hidetada fait brûler vif cinquante chrétiens à Édo en 1623. L'année suivante, sous le shôgunat d'Iemitsu, deuxième fils d'Hitetada, les navires espagnols, suspectés d'amener des missionnaires, sont interdits dans tous les ports de l'archipel.

Enfin, douze ans plus tard, est bannie « l'ensemble de la race des Portugais, avec leurs mères, leurs nourrices et tout ce qui leur appartient » (note). Le même décret interdit aux Japonais tout déplacement à l'étranger sous peine des plus graves afflictions. Il interdit également aux nobles et aux samouraïs d'acheter quoi que ce soit aux étrangers.

Une révolte éclate chez les paysans catholiques de la presqu'île de Shimabara, près de Nagasaki. Le shôgun réussit à la mater après deux mois de siège... avec l'aide des Hollandais. Tous les rebelles sont massacrés, ainsi que leurs femmes et enfants (environ 40 000 victimes).

Isolés du monde et privés de prêtres, plusieurs dizaines de milliers de villageois vont néanmoins continuer de pratiquer de façon clandestine le culte catholique, sous une forme abâtardie, au prix de très grands dangers. Ce n'est qu'au XXe siècle qu'ils réapparaîtront à la lumière !

Observation prudente de l'Occident

Pour écarter complètement la menace d'une domination par les Européens, le  shôgun Iemitsu Tokugawa expulse tous ceux-ci du Japon, ne tolérant que quelques marchands hollandais de la Compagnie des Indes Orientales sur l'îlot de Dejima, à Nagasaki.

Les élites nippones n'en continueront pas moins pendant la « période d'Édo » à étudier ce qui se passe en Occident, grâce aux livres amenés de Hollande par les marins et commerçants de Dejima.

Ces études, appelées « Rangaku » (études hollandaises), expliquent en bonne partie la rapidité du décollage économique du Japon après l'abolition du shogunat en 1867.

Publié ou mis à jour le : 2023-06-19 13:09:27

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