Le 16 novembre 1532, l'Inca Atahualpa, ou « fils du Soleil », se rend en grande pompe auprès de Pizarre dans l'espoir de sauver son pays, l'empire inca.
Son arrestation par traîtrise et sa mise à mort vont conduire les Espagnols à dominer l'immense empire des Andes, ses villes et ses mines, dans une étroite alliance avec l'ancienne aristocratie inca. Pizarre lui-même épouse la veuve de sa victime Atahualpa, qui est aussi la soeur de l'ancien Inca...
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Dans les vallées littorales et les hauts plateaux du Pérou, se sont épanouies les plus grandes civilisations d'Amérique du Sud, jusqu'à l'arrivée des Espagnols, et de Pizarre en particulier, en 1532.
Ces civilisations dites « précolombiennes », car nées avant l'arrivée de Christophe Colomb (1492), se sont développées, soulignons-le, en l'absence de tout contact avec les autres civilisations !
Les autres régions du continent, qu'il s'agisse de la forêt amazonienne ou de la steppe (la « Pampa ») argentine, sont restées le domaine de la chasse et de la cueillette ainsi que de l'agriculture itinérante sur brûlis.
Une brute illettrée
Francis Pizarre (en espagnol Francisco Pizarro) est né hors mariage, en 1478 à Trujillo (Estrémadure), d'une paysanne et d'un militaire de moyenne noblesse.
Brutal et illettré, en quête d'aventures, il s'engage comme soldat en Italie de 1495 à 1498, puis embarque en 1502 pour le Nouveau Monde qu'a découvert dix ans plus tôt Christophe Colomb.
Le voici à Hispaniola (Haïti), première colonie espagnole d'Amérique, où il retrouve des aventuriers de son espèce, des roturiers sans grande expérience de la guerre et des hidalgos (hijos de algo, en français « fils de quelque chose »), petits nobles non titrés mais arrogants en diable.
L'invention du Pérou
En 1513, Pizarre seconde Balboa dans son exploration de l'isthme centraméricain. Elle débouche sur la découverte de l'océan Pacifique mais son chef est bientôt victime de rivalités entre les chefs de la colonie et Pizarre lui-même reçoit l'ordre de l'arrêter.
Après avoir été associé à la fondation de la colonie du Panama, en 1519, il a connaissance de l'expédition de Pascual de Andagoya le long de la côte du Pacifique. L'explorateur déclare avoir entendu parler d'un « continent dominé par l'empire du Pirú et gorgé d'or », Pirú ou Birú désignant en fait un cacique local.
Presque quinquagénaire, Pizarre rêve de renouveler l'exploit d'Hernan Cortés, un aristocrate de sa région qui a soumis le royaume aztèque, dans l'actuel Mexique.
Il s'associe à un autre « conquistador » de son espèce, Diego de Almagro, et au prêtre Hernando de Luque. Ensemble, ils décident d'explorer la côte occidentale de l'Amérique du sud.
Leur première expédition, en 1524, avec deux brigantins, quatre chevaux et cent dix hommes, se solde par un échec. Qu'à cela ne tienne. L'année suivante, leur deuxième expédition croise un navire à voile indigène chargé de riches marchandises. C'est la preuve d'une société évoluée et riche !
Pizarre pille au passage les villages indiens de la baie de Tumaco, au sud de la Colombie actuelle, mais la maigreur du butin décourage ses hommes. Sur l'île du Gallo où ils se sont repliés, le vieux « conquistador » trace une ligne sur le sol et demande à qui souhaite poursuivre l'aventure de la franchir. Treize hommes au total s'y résolvent.
Avec un effectif réduit, l'expédition se poursuit jusqu'à Tumbes (Pérou actuel) où elle reçoit des habitants un accueil chaleureux.
Quand les explorateurs regagnent Panama en mars 1528, ils confirment l'existence du Pirú, un mystérieux empire amérindien dans la cordillère des Andes. Reste à le conquérir.
Pizarre rentre en Espagne pour obtenir l'aval et le soutien de la Couronne. Mais à peine débarqué à Séville, il est emprisonné plusieurs mois pour dettes. Malgré ce mauvais début, l'intrépide trouve enfin moyen de rencontrer l'empereur Charles Quint à Tolède.
Le 26 juillet 1529 sont signées des Capitulations qui lui octroient le titre de gouverneur et capitaine général de la future conquête. Pizarre obtient pour Almagro le gouvernement de Tumbes et pour Luque la charge d'évêque du Pirú.
Prévoyant, Pizarre fait un saut à Trujillo où il recrute ses quatre demi-frères qui lui seront utiles dans l'adversité. Il recrute également près de deux cents autres aventuriers...
La petite troupe retrouve Almagro à Panama, passablement insatisfait du résultat des Capitulations. Enfin, elle débarque à Tumbes avec un total de 183 hommes et 37 chevaux.
À la découverte de l'empire Inca
Le 20 janvier 1531, Pizarre et ses hommes s'engagent dans l'ascension de la cordillère des Andes, à la rencontre de l'Inca, le souverain de ces montagnes.
En chemin, le conquérant obtient confirmation de l'existence de fabuleuses mines de métaux précieux, or et argent. Plus important encore, il apprend aussi que l'Inca Atahualpa est en butte à une rébellion conduite par son propre frère Huascar.
Né vers 1500 à Cuzco, Atahualpa a succédé en 1525 à son père Huayna Cápac, mort comme beaucoup d'Indiens de la variole, une maladie importée par les Européens.
Héritier d'une dynastie vieille d'à peine un siècle et demi, l'Inca règne en souverain absolu sur la plus grande partie des Andes, de l'Équateur au Chili, sur une distance de 5000 kilomètres. Ses sujets sont au nombre de dix à douze millions (bien plus nombreux que les Espagnols eux-mêmes). L'administration centrale exerce son autorité grâce à un exceptionnel réseau routier, les « chemins de l'Inca », sillonnés par des coureurs à pied.
Autoritaire et accompagné d'une réputation de cruauté, Atahualpa suscite l'hostilité de son demi-frère Huascar. Celui-ci déclenche les hostilités en 1530, quelques mois à peine avant l'arrivée de Pizarre. Insigne malchance qui va profiter au conquistador et à sa poignée d'hommes.
Atahualpa doit dans un premier temps se réfugier chez un peuple de la périphérie de l'empire pour échapper à son demi-frère. Trahi, il est capturé mais arrive à s'enfuir et renverse la situation à son profit. C'est au tour de Huascar de s'enfuir.
Pizarre, tenu informé de la situation, va jouer de la rivalité entre les deux hommes pour imposer sa médiation. C'est ainsi qu'il invite Atahualpa à lui rendre visite dans la localité de Cajamarca, à 2700 mètres d'altitude dans les Andes.
Guet-apens
L'Inca ne résiste pas à la curiosité et au désir de connaître de visu les intrus venus d'outre-mer. Écartant les avertissements de son entourage, il arrive en grande pompe, avec une suite respectueuse de plusieurs milliers de courtisans et de guerriers.
Pizarre, cependant, a préparé un guet-apens d'une infinie audace. Quand l'Inca s'approche de lui, le chapelain dominicain Vicente de Valverde l'exhorte à se convertir et lui récite pour cela le requerimiento d'usage. À la fin de son injonction, il lui tend la Bible. L'Inca, qui n'a bien sûr rien compris, jette le livre à terre. Le chapelain, alors, se tourne vers son chef et lui dit : « Je vous absous » (sous-entendu : pour tous les crimes que vous allez commettre). À ce signal, les cavaliers dissimulés derrière les maisons massacrent les Indiens au canon et à l'arquebuse. Plusieurs milliers succombent.
L'Inca avait coutume de dire : « Dans ce royaume, aucun oiseau ne vole, aucune feuille ne bouge, si telle n'est pas ma volonté ». Pizarre n'en a cure et saisit le bras d'Atahualpa sans qu'aucun de ses sujets n'ose le défendre, le simple fait de toucher la personne sacrée de l'Inca étant considéré comme un blasphème.
Crime
Abattu et déprimé, le prisonnier promet à Pizarre une rançon fabuleuse contre la promesse de la vie sauve.
Rien moins que sa cellule remplie d'or à hauteur d'homme. C'est ainsi que, pendant des mois, les sujets de l'Inca amènent à Pizarre des caravanes chargées de métaux précieux. Au total l'équivalent de 4 600 000 ducats espagnols.
Pour complaire à son bourreau, l'Inca, de sa cellule, ordonne aussi l'exécution de son rival Huascar...
Mais Pizarre n'a que faire de ces démonstrations de bonne volonté. Ayant obtenu la rançon qu'il voulait, il fait traduire l'Inca en jugement. Au terme d'un procès évidemment inique, le prisonnier est condamné à être brûlé vif.
Par une singulière mesure de clémence, Pizarre se contente de le faire garrotter dans sa cellule le 29 août 1533 après qu'il a accepté de se faire baptiser. L'empereur Charles Quint condamnera vivement ce crime mais n'y pourra rien changer.
Entretemps, le 12 avril 1533, Almagro est revenu de Panama avec d'importants renforts. Il réclame et obtient sa part du butin et obtient cent mille ducas. Le partage a lieu le 18 juin 1533. 4,5 tonnes d'or et 9 tonnes d'argent sont réparties entre 168 hommes.
Malheureusement, les conquérants ont le mauvais goût de fondre immédiatement ces métaux précieux sous forme de lingots de sorte que disparaissent à jamais des trésors d'orfèvrerie.
Soumission
Pizarre a mis à profit les huit mois de captivité de l'Inca pour lancer des opérations de conquête dans toutes les directions et obtenir la soumission des Indiens.
Pour s'en assurer, il remplace Atahualpa par un souverain fantôche en la personne de Tupac Huallpa, frère de Huascar. Il encourage aussi les unions entre conquistadores et princesses Inca, lui-même épousant la veuve-soeur de sa victime.
Cette alliance entre les conquistadores et l'aristocratie inca va perdurer jusqu'à l'indépendance, au début du XIXe siècle.
C'est de fait la fin de l'empire Inca qui domina les Andes pendant quelques décennies et développa une civilisation originale fondée sur l'adoration du soleil et la culture de la pomme de terre.
Pizarre achève la conquête du pays et fonde la ville de Lima. Il n'empêche que la résistance indienne perdure autour du nouvel Inca, Manco Capac, qui ne supporte plus, à Cuzco, les humiliations des Espagnols.
En mai 1536, Manco Capac tente même de reprendre Cuzco et Lima avec cent mille hommes, y compris quelques cavaliers qui ont appris des Espagnols les secrets de l'équitation.
Mais sa contre-offensive échoue.
À Cuzco, les Espagnols, au nombre de deux cents, assistés de quelques esclaves africains et de quelques centaines de supplétifs indiens, résistent pendant un an avant d'être secourus par les troupes d'Almagro.
L'Inca doit se réfugier avec ses derniers fidèles au nord de Cuzco, peut-être autour du fameux site de Machu Picchu...
Les conquistadores se disputent les dépouilles
Pizarre n'a guère le loisir de profiter de son triomphe. Il se dispute avec ses compagnons de fortune et notamment Almagro, revenu en févrir 1537 d'une tentative infructueuse de conquête du Chili. Le 6 avril 1538, ses partisans défont les troupes d'Almagro et celui-ci, capturé, est jugé et exécuté le 8 juillet 1538.
Mais ses partisans et ses familiers ont la rancune tenace. L'un d'eux assassine le vieux Pizarre le 26 juin 1541...
La colonisation espagnole peut commencer. Le 20 novembre 1542, Charles Quint fonde la vice-royauté du Pérou, qui régente toute l'Amérique du Sud espagnole. Sa capitale est Lima, ville créée par Pizarre sur la côte de l'océan Pacifique.
Le vice-roi Francisco de Tolède (1569-1581) met en place une administration solide et établit les reduciones, des unités urbaines autour desquelles s'organise la vie sociale. Il lance une attaque décisive contre les derniers résistants de l'État inca de Vilcabamba. Le dernier Inca, Tupac Amaru, est décapité à Cuzco le 24 septembre 1572.
Au XVIIIe siècle, la vice-royauté est considérablement réduite par la création des vice-royautés de Nouvelle-Grenade et du Rio de la Plata ainsi que de la capitainerie générale du Chili, lequel a été occupé par un émule de Pizarre, Pedro de Valdivia, plus chanceux qu'Amalgro.
Dans ces territoires le joug des colons espagnols ne tarde pas à s'appesantir.
La population indienne chute dans des proportions effroyables jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, du fait des oppressions de toutes sortes, des maladies introduites par les Européens (variole, rougeole)...et du travail forcé (la « mita »), en particulier dans les mines d'argent du Potosí (Bolivie actuelle).
Sur les ruines de l'empire inca naîtront au XIXe siècle les États indépendants du Pérou, de l'Équateur et de la Bolivie. Leurs origines dramatiques leur valent encore de nos jours un sort pitoyable.
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Francisco Pizarro et les Espag (16-11-2022 12:09:03)
Je vois que l'odieuse "Leyenda Negra" est toujours de mise chez Hérodote pour décrier la conquête et evangélisation des Amériques par les Espagnols au XVIe siècle. Non, Francisco Pizarro, pas plus que Hernán Cortés, ne fut une brute illettrée un bâtard qui gardait des porcs avants son aventure américaine. Par contre beaucoup de Français, d'Anglais ou Hollandais du XVIe siècle et du XIXe l'étaient. Toujours les mêmes donneurs de leçons quand il s'agit de colonisation et d'exploitation ! On ne pardonne toujours pas à l'Espagne, "pays de fanatiques et de brute illettrées."
Chappé Daniel (20-07-2015 11:01:40)
Bonjour
Je profite de l'espace proposé pour signaler que suite à une mauvaise manipulation mon réabonnement de 18€ a été enregistré 2 fois le 20/7
Ref de ma commande 55acb2855df22
Merci et bien cordialement
Semaphore (17-07-2015 19:39:15)
Bonjour,
Pour quelle raison ecrivez-vous PIZARRE alors que son nom est PIZARRO ?
A propos de FRANCO dois-je ecrire FRANCE ?
Amusant
Bien a vous cher historien :-)
Roland Berger (17-07-2015 14:26:35)
Il faut se réjouir de ce que les catholiques d'aujourd'hui ne sentent plus autorisés à se sentir supérieurs aux non-élus.