Le 28 juin 1519, Charles Quint est élu à la tête du Saint Empire romain de la nation germanique (« Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation » ou « empire allemand » pour faire plus court) par la Diète de Francfort. Son adversaire malheureux n'est autre que le roi de France François Ier.
Dans cette fonction prestigieuse mais sans pouvoir véritable, Charles Quint succède à son grand-père Maximilien Ier de Habsbourg, mort le 12 janvier 1519. Grâce au patient travail de ce dernier, la famille des Habsbourg se hisse au premier rang des dynasties européennes.
Le destin extraordinaire de Charles Quint tient à un enchaînement étonnant de successions et de mariages. C'est le résultat d'une habile politique matrimoniale conduite au siècle précédent par son grand-père, l'archiduc d'Autriche Maximilien Ier de Habsbourg, par ailleurs titulaire du Saint-Empire Romain Germanique (Deutscher Kaiser).
On doit à l'entourage de Maximilien une jolie formule latine pour définir le destin des Habsbourg, qui n'étaient deux siècles plus tôt que les modestes seigneurs d'une marche orientale de l'empire, l'Autriche (de l'allemand Österreich qui signifie Royaume de l'Est) :
« Bella gerant alii, tu felix Austria, nube,
Nam quae Mars aliis, dat tibi regna Venus. »
« Que les autres fassent la guerre, toi, heureuse Autriche, contracte des mariages,
Car les royaumes que Mars donne aux autres, c'est Vénus qui te les assure ».
Maximilien agrandit ses domaines héréditaires en obtenant en 1477 la main de Marie de Bourgogne, fille unique et héritière du duc Charles le Téméraire, mort la même année. Cela lui assure la possession des Pays-Bas et de la Franche-Comté. Près de vingt ans plus tard, en 1496, il marie son fils Philippe le Beau à Jeanne, fille des Rois Catholiques d'Espagne. Enfin, en 1515, il arrange le mariage de ses petits-enfants avec les héritiers de Ladislas II Jagellon, souverain de Hongrie et de Bohème. Ces royaumes tomberont dans l'escarcelle des Habsbourg en 1526.
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Maximilien Ier, empereur allemand en 1493, est à l'origine de la puissance et du rayonnement exceptionnel de sa famille des Habsbourg, dont il va étendre les territoires dans toute l'Europe par d'habiles mariages. La dynastie va régner en Europe jusqu'en 1919...
Le futur Charles Quint naît près de Gand le 24 février 1500. Il est le fils de l'archiduc d'Autriche Philippe le Beau, et de Jeanne la Folle, ainsi nommée parce qu'elle sera victime d'une dépression après la mort de son époux en 1506.
Enfant fragile et sans beauté (au contraire de son père), Charles grandit dans le milieu bourguignon, où l'on parle avant tout français. Il se montre travailleur, homme de bureau plus que de terrain (semblable en cela à son fils, le futur Philippe II).
• Il hérite à 6 ans, à la mort de son père, des Pays-Bas,
• Dix ans plus tard, à la mort de son grand-père maternel, Ferdinand d'Aragon, il hérite des Espagnes et du royaume des Deux-Siciles ainsi que des colonies nouvellement créées aux Amériques.
• Enfin, la mort de son grand-père paternel Maximilien Ier lui apporte les domaines héréditaires des Habsbourg et le met en situation de concourir pour le titre électif d'empereur, devenu vacant.
Sa vie durant, l'empereur Charles Quint n'aura de cesse de consolider ses possessions occidentales. De 1521 à 1549, il acquiert Tournai, la seigneurie de Frise, la principauté d'Utrecht, la seigneurie de Groningue et la Gueldre (nord des Pays-Bas actuels). Par ailleurs, par le traité de Madrid (1526) et la paix de Cambrai (1529) avec François Ier, son adversaire malheureux, il rompt les liens féodaux entre ses possessions et la dynastie capétienne rivale.
Les possessions de Charles Quint forment sur la carte deux blocs qui semblent prendre la France en tenaille : d'un côté les possessions hispaniques, de l'autre les possessions bourguignonnes et germaniques. Dans les faits, il s'agit d'un ensemble hétéroclite sans aucune unité administrative ou politique, qui se disloquera dès l'abdication de Charles Quint du simple fait des différences entre les règles de succession...
Les immenses héritages de Charles Quint relèvent de deux règles de succession : celle de son père, d'inspiration germanique, et celle de sa mère, d'inspiration latine.
- Son père Philippe le Beau appartient à la dynastie des Habsbourg. Il est le fils de Maximilien Ier et de Marie de Bourgogne, fille unique du duc Charles le Téméraire. Il a reçu de son père les États autrichiens des Habsbourg (capitale : Vienne) et de sa mère la Franche-Comté et les Pays-Bas. Selon la tradition d'héritage collectif en vigueur dans le Saint Empire romain germanique, Charles Quint et son frère cadet Ferdinand doivent gérer en commun cet héritage (Ferdinand en héritera après l'abdication de son frère).
- Les parents de Jeanne la Folle, mère de Charles Quint, sont les Rois Catholiques d'Espagne, Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille. Ils déposent, dans la corbeille de naissance de Charles, les Espagnes (Castille et Aragon) et le royaume des Deux-Siciles. Grâce aux Grandes découvertes, ils lui assurent aussi la promesse d'« un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais », du Mexique aux Philippines en passant par le Pérou.
Selon la règle de primogéniture en vigueur à l'ouest, Charles Quint pourra transmettre l'héritage des « Reyes católicos » à son fils Philippe, futur Philippe II d'Espagne.
L'élection du successeur de Maximilien Ier oppose au petit-fils de celui-ci le roi d'Angleterre Henri VIII, le duc de Saxe Frédéric et surtout le roi de France François Ier (25 ans), qui se pique au jeu bien qu'il n'eût aucun motif politique de conquérir le titre essentiellement symbolique d'empereur.
La décision repose sur les sept Grands Électeurs de la Diète de Francfort. Charles part favori et pour emporter leur adhésion leur distribue un total de 851 000 florins empruntés pour les deux tiers au banquier d'Augsbourg Jacob Fugger (un florin contient normalement 3,5 grammes d'or). François Ier n'est en mesure que de débourser la moitié de cette somme. Au final, le 28 juin 1519, Charles est élu à l'unanimité et devient pour l'Histoire Charles V ou Charles Quint.
S'étant fait couronner à Aix-la-Chapelle, l'heureux élu cultive le rêve illusoire de restaurer l'empire de Charlemagne. Hélas, il sera loin du compte...
Une grande partie de son règne va être occupée par son combat contre François Ier pour la conquête du plantureux duché de Milan et la domination de l'Italie. Les conséquences en seront désastreuses, à moyen comme à long terme, pour les Français, les Autrichiens et les Allemands : occupés à se disputer les suffrages des électeurs de la Diète de Francfort pour l'élection de 1519 ou à se combattre sur le champ de bataille, les deux rivaux vont laisser se développer le schisme protestant, d'où une rupture de l'unité religieuse de l'Occident.
La rivalité entre la France et la maison des Habsbourg ne va pas s'éteindre avec Charles Quint et François Ier. Elle va durer très exactement quatre siècles, jusqu'aux traités de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye qui ruineront à jamais l'héritage des Habsbourg !
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Eric Bettens (29-06-2024 00:07:37)
Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation signifie grammaticalement Saint-Empire romain de la Nation germanique. Heiliges Römisches Reich est un nominatif (sujet) et Deutscher Nation un génitif (complément du nom).
Bien à vous,
Eric Bettens
Thierry LEBRETON (27-06-2021 22:15:56)
Désolé de vous rectifier, mais « Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation » se traduit par : " Nation allemande du Saint-Empire romain " et non par " Saint Empire romain de la nation germanique" comme vous l'écrivez. Je pense que cela constitue un grave contre-sens.
Bien fidèlement,
Thierry Lebreton
Michel BATREAU (03-07-2007 21:52:34)
Je suis allé à une série de conférences organisée par Clio sur la conquête de l'Amérique centrale et du sud par les Espagnols. Le conférencier a indiqué que la controverse de Valladollid n'avait pas pour but de déterminer si les Indiens avaient ou pas une âme, mais si la conquête était justifiée par les sacrifices humains auxquels procédaient ceux-ci.