30 octobre 1439

Le duc Amédée VIII devient pape

Le 30 octobre 1439, en rupture avec le pape Eugène IV qui a dissous le concile de Bâle, une poignée de pères conciliaires se réunissent à Constance et proclament la déchéance du pape Eugène IV. Ils élisent à sa place le duc Amédée VIII de Savoie, 56 ans.

Le nouveau pape est intronisé l'année suivante sous le nom de Félix V. Mais son élection par une fraction seulement des cardinaux et son effacement ultérieur devant un rival font que l'Église catholique le considère comme le dernier des « antipapes » (ou papes concurrents du pape officiel) qui ont émaillé son Histoire, notamment lors du Grand Schisme (1378-1415).

Gabriel Vital-Durand

Amédée VIII, élu pape par le concile de Bâle en 1439, se rend dans cette ville pour son intronisation le 24 juillet 1440 sous le nom de Félix V. La présente miniature montre son passage à Berne le 18 juin 1440 (1483, Amtliche Berner Chronik de Diebold Schilling, Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne)

Un duc favorisé par le destin

Selon Charles-Eugène, Maréchal-prince de Ligne, l'existence idéale consisterait à vivre « comme un page à dix ans, une jolie femme à vingt, un colonel de chevau-légers à trente, un gouverneur à quarante, un ambassadeur à cinquante, un homme de lettres à soixante, un duc à septante et... un cardinal à quatre-vingts ans » (Mémoires, vers 1790) ! Eh bien, c'est là le destin d'Amédée, huitième du nom, dit  le Paisible, premier duc de Savoie.

Le futur pape naît à Chambéry le 4 septembre 1383. Son grand-père Amédée VI, le Comte Vert, puis son père Amédée VII, le Comte Rouge, ont bien bataillé pour étendre la Savoie vers Berne, Lyon, Nice et Milan. Leur comté, qui s'est constitué autour de Chambéry, fait partie du Saint Empire. Par les guerres et les mariages, il se présente comme l'une des plus puissantes principautés d'Europe occidentale.

Mais le jeune prince perd son père à l'âge de huit ans, en 1391, des suites d'un accident de chasse. De mauvaises langues évoquent un empoisonnement dont se serait rendue coupable la propre mère du défunt, Bonne de Bourbon, cousine du roi de France Charles V.

Le duc de Bourgogne Philippe le Hardi profite de la discorde entre la mère et la veuve pour précipiter le mariage de sa propre fille, Marie de Bourgogne, avec le jeune Amédée. Les noces sont célébrées avec faste le 29 octobre 1393 à Chalons-sur-Saône. Les jeunes époux ont... dix et sept ans ! Sitôt après leurs noces, ils vont être séparés pour dix ans.

Un souverain éclairé

Amédée tombe sous la coupe de son beau-père, le duc de Bourgogne, qui garde l'oeil sur ses affaires pendant qu'il reçoit une éducation plutôt soignée.

Portait d’Amédée VIII, Collection Reggia di Venaria Reale, XVIIIe siècle.Ensuite, les jouvenceaux vont filer un amour de vingt ans qui donnera le jour à sept enfants. Marie meurt en couches en 1422. Quant à Amédée, il se révèle rapidement de taille à gérer son comté de Savoie. Il compense l'absence de dispositions militaires par des talents diplomatiques hors du commun.

Au septentrion, il consolide ses relations avec Berne. À l'ouest, il repousse la frontière jusqu'à la Saône et réussit par des manoeuvres habiles à prendre la succession des comtes de Genève et à s'installer au couvent des Dominicains de Plainpalais, tandis que son vidame réside en la Tour de l'Isle, une bastille plus imposante.

Il reste en bonne intelligence avec les évêques de Genève, notamment Jean de Brogny, et reçoit le pape Martin V en grande pompe à la cathédrale Saint-Pierre. Au Midi, il vient à bout des princes rebelles, les Grimaldi, les marquis de Saluces et de Montferrat. À l'Orient, il conquiert le val d'Ossola au Sud des Alpes et renforce ses positions en Valais. Il finit par reprendre le Piémont, qui s'était détaché de la Savoie un siècle plus tôt.

Amédée accueille le pape Benoît XIII à Nice en 1404 et invite l'empereur allemand Sigismond à Chambéry en 1416. Ce dernier s'acquitte de sa dette en élevant la Savoie au rang de duché. Amédée se pique de droit et de lettres. Il rédige les « Statuta Sabaudiæ » qui serviront de code civil au duché et fonde l'université de Turin.

Bonne chère à Ripaille

Le duc Amédée VIII de Savoie, qui apprécie le voisinage des clercs, fonde un prieuré à Ripaille en 1410, sur les bords du Léman, près de Thonon. Il y installe des chanoines réguliers de saint Augustin qui relèvent de l'abbaye de Saint-Maurice d'Agaune. Il fonde aussi l'ordre des chevaliers de Saint Maurice, qui prendra plus tard le nom des Saints Maurice et Lazare.
Le site de Ripaille, sur les ruines d’une ancienne villa gallo-romaine, avait déjà donné lieu à la construction d'un manoir où résidaient ordinairement les comtes de Savoie. Le duc agrandit celui-ci, le modernise et l'embellit jusqu'à en faire un ensemble monumental qui comprend, outre le prieuré, un palais agrémenté de sept tours, un parc splendide et un port bien défendu avec des galères. Selon le chroniqueur, « si la demeure d'Amédée n'était pas indigne d'un roi ou d'un pape, celles de ses compagnons auraient pu être offertes à des cardinaux ».
Certains esprits forts ne manquent pas de suggérer qu'à défaut de la compagnie des femmes, l'on y fait bonne chère et mène grand train. Un adage du temps affirme d'ailleurs : « facere ripaliam, hoc est indulgere ventri » (faire ripaille, c'est soigner son ventre). De là nous vient l'expression populaire : « faire ripaille », synonyme de faire bombance.

La tiare pontificale, consécration suprême

Amédée VIII recevant la tiare (Anthelme Trimolet, XIXe siècle, Chambéry ; musée des beaux-arts)Le 7 novembre 1434, le duc de 51 ans, au faîte de sa gloire et de ses succès, convoque sa cour et sa parentèle à Ripaille pour leur annoncer qu'il se retire dans son prieuré. Il laisse le pouvoir à son fils Louis, comte de Genève, sans abdiquer toutefois.

Son autorité morale ne fait que s'accroître et lorsque le pape Eugène IV vient à déplaire au Sacré Collège, les cardinaux, qui souhaitent se réunir en conclave à Bâle, s'arrêtent pour se refaire une santé... à Ripaille.

Ne vont-ils pas soudain s'aviser que leur hôte - en odeur de sainteté - pourrait bien être de taille à réconcilier la chrétienté déchirée par le Grand schisme d'Occident ?

Et voici notre grand homme élu pape. Il n'accepte la charge qu'après beaucoup d'hésitations, le 15 février 1440, et prend le nom de Félix V. Il est intronisé le 23 juillet 1440 dans la cathédrale de Lausanne.

Il prend Enée Piccolimini comme secrétaire, lequel deviendra Pie II. Las, Eugène IV s'accroche à la tiare. Le nouveau duc Louis Ier poursuit des chimères en Orient d'où son épouse, la séduisante Anne de Chypre, rapportera le Saint Suaire à Chambéry. Selon un chroniqueur, « elle est une femme incapable d'obéir unie à un homme incapable de commander »

Coup de théâtre en avril 1449. Félix V, désabusé par les intrigues du Saint Collège et désormais tourné vers son salut éternel, abdique son pontificat en la cathédrale de Lausanne.

Avec le renoncement volontaire du dernier des « antipapes », c'en est bien fini du Grand Schisme d'Occident qui a déchiré et affaibli l'Église catholique pendant près d'un siècle.

Le pape Nicolas V, décidément bon prince, nomme son rival... évêque de Genève, légat pontifical et cardinal du Sacré Collège. Amédée meurt en 1451, respecté de tous bien qu'antipape !

L'Église se montrera en définitive bienveillante envers le duc et sa famille. Le 29 janvier 1445, à la mort du duc Louis Ier de Savoie, son fils aîné Amédée, qui est aussi le petit-fils d'Amédée VIII, hérite du duché. Son extrême piété lui vaudra d'être béatifié en 1677, soit deux siècles après sa mort le 30 mars 1472, à l'initiative de saint François de Sales. Il reste connu sous le nom d'Amédée IX le Bienheureux, un titre qu'aurait sans doute aussi mérité son grand-père.

Le pape Félix V (également duc de Savoie sous le nom d'Amédée VIII) se réconcilie avec Nicolas V.

Publié ou mis à jour le : 2023-06-02 21:28:23
Christian (14-12-2022 09:03:32)

Bien que l’Église catholique considère officiellement Félix V (alias Amédée VIII de Savoie) comme le dernier des antipapes, il convient de rappeler que le Grand Schisme perdura de manière plus ou moins clandestine après la disparition de l’antipape Benoît XIII (alias Pedro Martinez de Luna), élu à Avignon en 1394.

Expulsé d’Avignon et déposé à deux reprises, Benoît XIII refusa obstinément d’abdiquer. Ne comptant plus guère de partisans que dans son pays natal, l’Aragon, il s’installa en 1411 au château de Peniscola, près de Valence. C’est là qu’il mourut probablement en 1422, mais la nouvelle de son décès n’aurait été rendue publique qu’en 1423. Son successeur, Clément VIII (alias Gil Sanchez de Munoz), finit par se soumettre au pape Martin V en 1429.

Le schisme resurgit néanmoins à partir de 1425 dans la vallée du Viaur (affluent de l’Aveyron) sous la protection du comte Jean IV d’Armagnac, avec l’antipape Benoît XIV (nom porté en réalité par deux antipapes successifs, Bernard Garnier, puis Jean Carrier). Certains auteurs mentionnent deux autres antipapes dans cette lignée, Benoît XV (alias Pierre Tifane) et Benoît XVI (alias Jean Langlade).

Plus près de nous, on peut noter l’existence d’un antipape lorrain, Michel Collin, qui se déclara pape sous le nom de Clément XV après le décès de Jean XXIII en 1963. Il établit son "petit Vatican" à Clémery (Meurthe-et-Moselle), où il mourut en 1974.

Munierj (30-10-2020 06:41:46)

Pour avoir habite pendant 12 ans, de 1972 à 1984 le prieuré du château de Ripaille surplombant le lac Leman, je peux indiquer que le château ne comporte plus que quatre tours. Il a été restauré par MR Angel au début du 20eme siècle, qui était marié avec une fille de la famille Necker à Genève. Aujourd'hui, Alfred et Louis Necker gèrent la partie agricole, le château étant géré par la ville de Thonon Les Bains. Un très bon vin blanc y est mis en bouteille.

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