À Montpellier, la ville que le pape Urbain V dénommait comme « un riant jardin de science », la plus ancienne faculté de médecine en activité au monde s'honore d'avoir dépassé l'âge canonique de 800 ans. Elle est née officiellement le 17 août 1220, quand le cardinal Conrad d'Urach, légat apostolique du pape Honorius III, concéda à l'« universitas medicorum » ses premiers statuts et rassembla en communauté les écoles médicales montpelliéraines créées de façon informelle dans les décennies antérieures.
Au croisement des civilisations orientales et occidentales, la faculté de médecine de Montpellier allait se développer grâce au partage des cultures médicales arabes, juives et chrétiennes, en bénéficiant aussi de ce que dans la ville, juifs et chrétiens traduisaient « à quatre mains », en hébreu puis en latin, les manuscrits de l'Antiquité...
« Jadis, Hippocrate était de Cos, maintenant il est de Montpellier »
Les débuts de l’enseignement de la médecine à Montpellier se confondent avec ceux de la ville de commerce, fondée en 985 au coeur du Languedoc, sur un important axe de communication entre Italie et Espagne, Paris et les ports de la mer Méditerranée.
Les marchands languedociens découvrent au cours de leurs voyages dans les échelles du Levant les secrets de la médecine orientale et s'initient à la phytothérapie et à la préparation de décoctions à base d'herbes médicinales. De retour au pays, beaucoup se reconvertissent dans la médecine libérale. Ils pratiquent leur art de quartier en quartier, de ville en ville, accompagnés d'élèves avides d'apprendre.
Dès 1181, le seigneur Guilhem VIII accorde le droit à tous d’exercer et d’enseigner la médecine. À tous ? Pas vraiment, car les juifs en sont exclus, bien qu’ils représentent un tiers des médecins importants dans la cité !
Mais face à un exercice de la médecine sans cadre ni règle, la nécessité de garantir et d’organiser le savoir devient impérieuse. En 1220, le statut d’Universitas medicorum est donc concédé par le légat apostolique Conrad d’Urach. Puis, le 26 octobre 1289, le pape Nicolas IV adresse, depuis Rome, la constitution apostolique « Quia Sapientia », dans laquelle la Sagesse, au sens médiéval du terme, est exaltée : le savoir est ordonné à des fins spirituelles, au service du beau et du vrai.
Les étudiants montpelliérains apprennent le droit, la médecine, les lettres et la théologie, mais sans lieu défini : les cours ont lieu au domicile des régents, au coeur de l'Écusson, et les actes sont réalisés dans l’église Saint-Firmin, aujourd'hui disparue. L'enseignement consiste à lire, commenter et débattre - parfois assez librement - de textes médicaux grecs et arabes classiques. Les étudiants ont le libre choix de l'enseignant et passent l’examen au moment où ils se sentent suffisamment qualifiés.
Les débuts de l’école de médecine sont plus que prometteurs et les voyageurs de passage célèbrent, dans leur correspondance épistolaire, la qualité de l’enseignement aussi bien que le sérieux des médecins. La devise de la faculté en est l’expression : Olim Cous nunc Monspeliensis Hippocrates (« Jadis, Hippocrate était de Cos, maintenant il est de Montpellier »). Rien que ça !
Alors que l’université se place au coeur d’un système international de relations, l’année 1340 marque un tournant. Cette année-là, un prestigieux cours d’anatomie est créé avec l'autorisation et même l'obligation faite aux étudiants de pratiquer des dissections de cadavres, une pratique jusque-là réprouvée par l'Église.
Montpellier fait dès lors partie des universités associant théorie et pratique. Elle revendique son savoir hérité des Arabes et des juifs, bénéficie de la proximité de la cour pontificale installée à Avignon et de la présence de maîtres illustres (comme Arnaud de Villeneuve ou Guy de Chauliac) et d’étudiants internationaux. Sa faculté devient l’équivalent français de Bologne ou de Padoue.
En 1498, la faculté acquiert ses propres locaux et le Collège Royal de Médecine s’installe à l’emplacement actuel de la Panacée, rue de l’école de pharmacie, au coeur de l'ancien quartier étudiant de la ville.
En 1556, Montpellier est la première ville universitaire à se doter d’un amphithéâtre réservé à l’examen des cadavres et, en 1593, le fameux Jardin des Plantes est créé par la volonté du roi Henri IV, à l'initiative du botaniste Pierre Richer de Belleval. Doyen des jardins botaniques français, il a pour objectif de déployer les connaissances, d’exalter et de sauvegarder le vivant ; il est aussi destiné à l’enseignement des plantes médicinales aux futurs médecins et apothicaires.
C’est le temps des avancées et des éminents personnages : Rabelais, docteur en médecine de Montpellier en 1530 ; Guillaume Rondelet, médecin montpelliérain à l'origine d'une première classification des êtres vivants ; Michel de Nostredame (dit Nostradamus)… Notons encore le passage du philosophe anglais John Locke, qui suit des cours de médecine à Montpellier à la fin du XVIIe siècle.
Renouveau de la faculté
Viennent les heures sombres de la Révolution. Étudiants en médecine et personnel ne sont pas contre-révolutionnaires, loin de là ! En 1790, les premiers mènent même l’assaut contre la garnison militaire, la citadelle montpelliéraine étant considérée comme une Bastille à prendre.
Le 15 septembre 1793, par décret, la Convention met un terme à six siècles d’enseignement, dissout l’université et ferme les écoles. Mais un an plus tard, elle se ravise et décrète la fondation de trois écoles de santé, à Paris, Strasbourg… et Montpellier ! L’enseignement médical et chirurgical renaît de ses cendres mais se réinstalle dans le monastère Saint-Benoît, d'où ont été chassés les religieux, tout à côté de la monumentale cathédrale Saint-Pierre.
De nouveaux édifices sont aménagés afin d’accueillir des lieux d’études, comme le théâtre d’anatomie et le conservatoire d’anatomie. Il possède des collections étonnantes de pièces anatomiques, des moulages en cire et des exemples d’embryologie, de malformations ou de pathologies, des squelettes, des écorchés et des instruments de chirurgie exposés notamment dans une galerie de 60 m de long et de 15 m de hauteur, ouverte aujourd'hui aux visiteurs,. En 1804, Victor-Gabriel Prunelle dote aussi l’université d’une bibliothèque pour abriter ses prestigieuses collections.
En 1896, la faculté est adjointe à l’Université et en 1972, une antenne est créée à Nîmes, avec un enseignement identique. C’est là un cas unique en France : une convention lie les deux Centres hospitalier universitaire (CHU) distants d’une cinquantaine de kilomètres ! La faculté de médecine de Montpellier fait aujourd’hui figure de pôle d’excellence en matière de recherche médicale, avec un LabEx1 en génétique humaine, 14 unités mixtes de recherche (UMR) associant l’université et le CNRS et 6 équipes d’accueil.
Héritiers de plusieurs millénaires d’histoire de la médecine et de la chirurgie, pionnière en bien des domaines de la santé, les campus montpelliérains et nîmois contribuent à la médecine de demain.
Avec plus de 100 000 imprimés datant d’avant le XIXe siècle, 300 incunables et 900 manuscrits (les deux tiers sont médiévaux, dont 59 d’époque carolingienne), la bibliothèque universitaire de la faculté de médecine de Montpellier est un pôle intellectuel majeur !
Fondée en 1804 par Victor-Gabriel Prunelle, la diversité de la collection en fait une des plus riches bibliothèques universitaires d’Europe : elle comprend par exemple des romans de chevalerie (Perceval de Chrétien de Troyes, Roman de la Rose, etc.), les classiques de Dante et Pétrarque, des ouvrages de géographie et des récits de voyages, de nombreux manuscrits religieux chrétiens et arabes, une multitude de livres de médecine et encyclopédies, mais également des ouvrages de sciences sociales et exactes, et les thèses soutenues à Montpellier et à Paris depuis le XVIIIe siècle.
Parmi ses plus célèbres ouvrages, remarquons le Psautier de Montpellier, dit de Charlemagne et daté des années 772-795, et le Tonaire de Saint-Bénigne de Dijon, un manuscrit du XIe siècle de notation musicale grégorienne, conçu pour l'enseignement.
Outre ces « célébrités », la bibliothèque préserve les textes essentiels de la médecine : Hippocrate, Galien, Avicenne, les ouvrages de Roger de Parme, véritable bande dessinée pour apprentis chirurgiens, et même les textes d’Albucasis, dont un exemplaire écrit en langue gasconne ! Ce serait une belle curiosité, si on ne connaissait pas son propriétaire : le seigneur du Béarn, écrivain et poète Gaston Phoebus !
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Michèle CHERBONNEAU (16-08-2020 11:04:37)
Merci, Madame pour cet excellent article très bien documenté.
Le renom de la Fac de médecine de Montpellier reste intact.Ma petite fille et son mari y ont réussi leurs études.