Le 15 juin 1215, les barons anglais imposent à Jean sans Terre, le plus jeune fils d'Aliénor d'Aquitaine et d'Henri II Plantagenêt, un traité qui sera plus tard connu sous le nom de Grande Charte.
C'est dans la prairie de Runnymede, près de Windsor, que le roi, alors âgé de 49 ans, signe ce texte de 63 articles (Magna Charta Libertatum).
Il inaugure l'évolution de l'Angleterre et de l'Europe vers l'État de droit et la démocratie parlementaire, même s'il n'a lui-même rien d'un texte constitutionnel et démocratique.
Jean sans Terre (en anglais John Lackland) doit son surnom à ce qu'il n'a pas reçu de terres en apanage à sa naissance, à la différence de ses frères. Dès son avènement, violent et sans scrupules, il réussit à se faire haïr de la noblesse comme des bourgeois, du clergé et des paysans.
Il se brouille en premier lieu avec les évêques et les moines de Cantorbéry sur la désignation du nouvel archevêque de Cantorbéry, qui fait traditionnellement figure de principal ministre.
Les trois parties en appellent à l'arbitrage du pape Innocent III, lequel désigne un prêtre de Rome, Étienne de Langton.
Jean refuse de le reconnaître et saisit les biens de l'archevêché. Du coup, le pape met le royaume en interdit, une sanction gravissime : plus de cloches, plus d'offices, plus de sacrements ! Enfin, il excommunie le roi qui n'a dès lors d'autre issue que de soumettre.
Là-dessus, en 1213, Jean sans Terre s'allie à l'empereur d'Allemagne et au comte de Flandre, contre le roi de France Philippe II Auguste. Mais il est battu à La Roche-aux-Moines et ses alliés le sont à Bouvines. Il perd ainsi la plus grande partie des terres que possédaient les Plantagenêt en France, à l'exception de la Gascogne et de Bordeaux.
Pour les grands seigneurs anglais, la coupe est pleine. L'archevêque Étienne de Langton leur remet en mémoire la Charte des libertés du roi Henri Ier Beauclerc (1100) qui garantissait les droits de la noblesse. Ils somment le roi d'obéir à cette charte et lui adressent la motion de défiance (diffidation) requise dès lors que des vassaux se soulèvent contre un suzerain indigne !
En mai 1215, les habitants de Londres, eux-mêmes exaspérés par la conduite du souverain, accueillent avec enthousiasme la petite armée des barons.
Le mois suivant, Jean sans Terre ne voit d'autre issue que de se soumettre à leurs exigences. Sous couvert de renouveler les chartes du roi Henri Ier et de ses successeurs Étienne de Blois, en 1136, et Henri II, en 1154, il signe donc en leur présence la Grande Charte.
Le texte proclame la liberté de l'Église et en particulier interdit au roi de s'immiscer dans les élections épiscopales. Les seigneurs laïcs se voient quant à eux dédommagés des spoliations qu'ils ont subies et obtiennent la garantie que le roi n'exigera plus d'eux que les taxes et droits fixés par les coutumes (Common Law).
Le roi s'engage à ne pas lever d'impôts extraordinaires sans l'accord du Grand conseil existant, lequel est composé de barons et d'ecclésiastiques.
Plus important que tout, le roi s'engage aussi à ne pas procéder à des arrestations arbitraires par l'article 39 : « Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelques manières que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l'emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays ». On voit aujourd'hui dans cet article 39 l'origine lointaine de l'Habeas corpus de 1679, à la base du droit moderne.
Par l'article 61, vingt-cinq personnes dont 24 barons et le Maire de Londres doivent surveiller le respect des clauses par le roi.
Si un abus a été signalé au roi et que celui-ci ne le corrige pas dans un délai de quarante jours, elles sont habilitées à l'y contraindre « en saisissant nos châteaux, nos terres et nos possessions, ou par tout autres moyens en leur pouvoir, jusqu'à ce que l'abus soit réparé conformément à leur verdict, sauf outrage à Notre personne et les personnes de Notre Reine et de Nos enfants.. ». Ce droit à l'insurrection, que les barons ne manqueront pas d'utiliser, apparaît comme une limitation drastique du pouvoir royal.
« Voici une loi qui est au-dessus du Roi et que même le Roi ne doit pas violer. Cette réaffirmation d'une loi suprême et son expression dans une charte générale est la grande valeur de La Grande Charte "Magna Carta". Ce qui en soi-même justifie le respect qui lui est accordé par le peuple ».
Winston Churchill, 1956
Naissance de la démocratie moderne
En imposant au roi la Grande Charte, la noblesse n'aspire à rien de plus que le respect des coutumes et de ses droits féodaux. Mais Jean sans Terre ne le supporte pas. À peine a-t-il signé le texte qu'il se roule par terre en mordant des bouts de bois, criant : « Ils m'ont donné vingt-cinq super-rois ! » (note).
Et l'année suivante, à peine son trône consolidé, il obtient du pape qu'il annule le texte.
Les barons, en réaction, en vertu de l'article 61 de la charte, le déposent et offrent le trône... au fils du roi de France Philippe Auguste, le futur Louis VIII, qui débarque sans attendre en Angleterre. Mais Jean sans Terre ayant le bon goût de mourir sur ces entrefaites, le 19 octobre 1216, son fils et héritier légitime relève la couronne sous le nom d'Henri III et tout rentre dans l'ordre.
La Grande Charte est remaniée en 1217 et confirmée dans son état définitif en 1225. Pour ses contemporains, il s'agit d'un texte de nature non pas révolutionnaire mais conservatrice, qui sanctuarise les coutumes féodales - ce que l'on appelle Common Law - et maintient la monarchie dans la tradition médiévale de l'élection et du consentement par les barons.
La postérité y verra au contraire la première limitation imposée à l'arbitraire monarchique et l'amorce de la démocratie moderne. La Grande Charte, qui est conservée au British Museum de Londres, est encore de nos jours considérée comme le fondement des institutions et libertés britanniques.
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L'État issu de Guillaume le Bâtard se singularise par la primauté du droit sur l'arbitraire, dans les relations entre le souverain et les différentes classes sociales.
Cet État de droit est à l'origine de la puissance anglaise...
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griset michele (27-10-2015 10:47:57)
je prefere guillaume de normandie qui est devenu le premier roi anglais n'en deplaise a messieurs les Anglais