27 juillet 1214

Le dimanche de Bouvines

Le dimanche 27 juillet 1214 reste un jour béni dans l'Histoire de France.

Ce jour-là, le roi Philippe II Auguste remporte à Bouvines, près de Lille, une victoire écrasante sur les armées de l'empereur allemand Otton IV de Brunswick et ses alliés, le comte Ferrand de Flandre, le duc Henri de Brabant et le comte Renaud de Boulogne ; première coalition de l'Histoire contre le royaume capétien.

Les historiens du XIXe siècle y ont vu l'émergence de la Nation française et du sentiment national. Sans doute cela est-il excessif si l'on en croit l'historien Georges Duby, auteur d'une somme mémorable, Le dimanche de Bouvines (Gallimard, 1973). Bouvines est pour le moins une victoire qui hisse la monarchie capétienne au premier plan de la scène européenne.

André Larané
Bouvines et l'orgueil national

Ferrand de Flandre, prisonnier de Philippe Auguste après la bataille de Bouvines (1214)La victoire de Bouvines, due à la coalition de la chevalerie féodale et des milices communales, fut accueillie par le peuple de France avec soulagement et fierté et donna lieu, si l'on en croit les chroniques, aux premières manifestations d'orgueil national.

Ferrand de Flandre ayant été capturé, Philippe Auguste l'emmena, enchaîné dans une cage, jusqu'à Paris, sa capitale, pour un triomphe à la romaine. « Ferrand, tu es ferré ! », lançait la foule sur le passage du prisonnier.
Un distique fut composé pour l'occasion :
Quatre ferrands (chevaux) bien enferrés
Traînent Ferrand bien enferré
.

Ferrand de Portugal, époux de la comtesse Jeanne de Flandre, fut libéré en 1227 par Blanche de Castille, mère de Louis IX (saint Louis) et devint l'un de ses plus fidèles soutiens dans le conflit qui l'opposa aux grands féodaux du royaume.

Rivalité franco-anglaise

La bataille de Bouvines est l'un des derniers grands épisodes du premier conflit franco-anglais inauguré 60 ans plus tôt par l'accession au trône d'Angleterre d'Aliénor d'Aquitaine et Henri II Plantagenêt.

En 1199, Richard Coeur de Lion, fils d'Henri II étant mort, son frère cadet Jean sans Terre lui a succédé sur le trône d'Angleterre. Il a aussitôt repris la lutte contre le roi de France mais sans avoir le courage et l'intelligence requis.

En avril 1202, Philippe Auguste prend prétexte de ce que Jean a enlevé la fiancée d'un seigneur poitevin pour confisquer toutes les terres qu'il possédait en France. et il met aussitôt la sentence à exécution.

Il s'empare de l'Anjou et de la Touraine, puis met le siège devant Château-Gaillard, une puissante forteresse construite par Richard Coeur de Lion en surplomb de la Seine pour garder la Normandie. Château-Gaillard tombe en 1204. La Normandie puis la Bretagne se rendent au roi de France.

Après de nouvelles péripéties, Jean sans Terre noue une coalition avec les ennemis du roi de France, les comtes de Flandre et de Boulogne, le duc de Brabant ainsi que le titulaire du Saint Empire romain, unis dans une commune détestation de la monarchie capétienne.

Ferrand, prince portugais marié à Jeanne de Constantinople, héritière de la Flandre, s'est vu déposséder de Saint-Omer et Aire-sur-la-Lys par Philippe Auguste, ce qui explique qu'il se rebelle contre son suzerain.

Quant à Otton de Brunswick, fils du duc de Saxe Henri le Lion et petit-fils d'Aliénor d'Aquitaine, poitevin d'origine, il se voit contester le titre impérial par Frédéric II de Hohenstaufen. Pour le défendre, il s'allie à son oncle Jean sans Terre contre le roi de France, partisan du Hohenstaufen.

C'est une première ! Pareille coalition face à la puissance montante de la France se retrouvera au XVIe siècle, au temps de François Ier, Henri VIII et Charles-Quint.

Le roi d'Angleterre, premier prêt, débarque à la Rochelle en février 1214 et marche sur Paris. Il assiège le château de La Roche-aux-Moines, près d'Angers. Philippe Auguste envoie contre lui son fils Louis (le futur Louis VIII le Lion). À son approche, le 2 juillet, l'armée anglaise se débande sans combattre.

Pour le pitoyable Jean sans Terre, le pire reste à venir : les Français mobilisent contre lui les barons anglais eux-mêmes, ce qui va l'obliger à leur concéder la Grande Charte. Il devra ensuite affronter une invasion de l'Angleterre par le prince Louis lui-même.

La France de Philippe Auguste à saint Louis

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Grandie pas à pas, la France capétienne devient une Nation ou du moins un État solide sous le règne de Philippe II Auguste. Chevaliers et milices communales luttent ensemble contre une coalition ennemie à Bouvines. Plus cruellement, le Midi est déchiré par l'hérésie et la répression de celle-ci par une croisade venue du Nord.
Sous le règne de saint Louis (Louis IX), le pays atteindra son épogée et se présentera comme le royaume le plus puissant et le plus influent de la chrétienté occidentale...

Philippe Auguste tombe de cheval à Bouvines tandis que s'enfuit Hugues de Boves (miniature, Matthieu Paris, Cronica Major II, vers 1250)

Première victoire de la nation française

Jean sans Terre est éliminé mais il reste les coalisés, forts de 80 000 hommes au total. Face à eux, le roi de France n'en aligne que 25 000. Il s'agit du ban et de l'arrière-ban de ses vassaux, qui ont répondu à son appel conformément au contrat féodal, mais aussi des milices communales du nord du royaume. Pour la première fois, celles-ci, habituellement vouées à la garde de leur territoire, ont répondu à l'appel du roi quand celui-ci est allé quérir à l'abbaye de Saint-Denis l'oriflamme rouge du sang du martyr, bannière qu'il est d'usage de brandir dans les cas de grand péril ! 

De Tournai où il s'est établi, Philippe Auguste décide donc de faire retraite vers Lille. Il entame son mouvement le 27 juillet au matin.

Informé, l'empereur décide de l'attaquer sans attendre, ne se souciant guère que ce jour soit un dimanche, normalement consacré à la prière et au recueillement. Il se porte sur l'arrière-garde de l'armée française. Le soleil est à son zénith quand celle-ci commence à traverser la rivière de la Marque (ou Marcq), sur le pont de Bouvines...

Quand Philippe Auguste est informé de l'approche de l'ennemi. Il rappelle sans délai les troupes qui ont déjà franchi le pont.

Le ménestrel de Reims, un chroniqueur anonyme, compose vers 1260 cette harangue du roi à ses barons et chevaliers : « Vous êtes tous mes hommes et je suis votre sire. Je vous ai moult aimé, et porté grand honneur, et donné du mien largement. Si vous voyez que la couronne soit mieux employée en un de vous qu'en moi, je m'y octroie volontiers, et le veux de bon cœur et de bonne volonté ». Ainsi remet-il en jeu, au moins de façon symbolique, la couronne que reçut son ancêtre Hugues Capet, qui en avait été jugé le plus digne !

L'armée française se déploie face aux coalisés, suivant trois corps principaux : le centre est sous le commandement du roi ; l'aile droite est commandée par son fidèle conseiller frère Guérin, évêque de Senlis et ancien moine-chevalier de l'Hôpital, assisté du duc de Bourgogne ; l'aile gauche est commandée par le comte de Dreux. Pour la première fois, chevaliers et milices communales combattent ensemble sous l'emblème royal de la fleur de lys, ce qui donne à la guerre un caractère national inédit.

La bataille s'engage à la manière féodale, dans un corps à corps indescriptible où chacun cherche son ennemi pour le tuer ou le capturer (s'il est digne d'une rançon). Après trois heures de combat, le comte de Flandre est désarçonné et capturé.

Le roi de France est aussi désarçonné et manque d'être capturé par les Flamands. Il ne doit son salut qu'à l'intervention de quelques chevaliers. L'empereur, à son tour, est assailli et s'enfuit en abandonnant son étendard. Il perdra sans surprise son titre impérial au profit de son rival Frédéric II de Hohenstaufen.

Tandis que tombe le soir, Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, se fait capturer comme au total 130 barons et chevaliers. Au demeurant, les chevaliers tués dans la bataille ne sont que quelques-uns. Sans doute y a-t-il eu davantage de morts parmi les humbles fantassins. Il faut dire que le total des troupes engagées ne doit pas dépasser quelques milliers comme dans toutes les batailles du Moyen Âge.

Pour Philippe Auguste, sorti vainqueur de la journée, la bataille, en dépit de sa médiocre dimension militaire, s'avère un immense succès politique et dynastique. Elle consacre l'attachement des Français à la dynastie capétienne que symbolise désormais la fleur de lys. Les chroniques rapportent qu'une onde de joie parcourut tout le royaume, du moins au nord de la Loire. À Paris, le peuple fit la fête pendant une semaine... Quant au roi, afin de remercier la Vierge de l'avoir sauvé, il fonda l'abbaye Notre-Dame de la Victoire à Senlis, le diocèse de frère Guérin.

Triomphe capétien

Tandis que Philippe Auguste combat les seigneurs du nord, les seigneurs du Bassin parisien envahissent le bassin toulousain sous le prétexte d'éradiquer l'hérésie cathare. Leur victoire en 1213, un an avant Bouvines, sur le comte de Toulouse et le roi d'Aragon à la bataille de Muret sonne le glas du particularisme toulousain.

Après deux cents ans de maturation lente, la dynastie capétienne, par ces deux victoires, fait la preuve de sa cohésion et de sa force. La France s'affirme dans le siècle qui s'ouvre comme le principal État européen, à la pointe du développement intellectuel (création des premières Universités) et artistique (art gothique).

La défaite à Bouvines de l'empereur Otton IV de Brunswick, chef du parti guelfe, a aussi des répercussions de l'autre côté du Rhin où elle consacre le triomphe définitif de son rival Frédéric II de Hohenstaufen, chef du parti gibelin.

Publié ou mis à jour le : 2019-07-20 10:58:43
Liger (27-07-2020 04:42:30)

@Elsass48 : le " roman national " fut notamment élaboré ou du moins conceptualisé par Renan, en particulier dans sa célèbre conférence Qu'est-ce qu'une nation ? prononcée en 1882 dont le passage suivant est emblématique : « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie. »

Certes, on peut nuancer certains passages ; mais le principe de la libre appartenance qui fonde la nation selon Renan reste parfaitement valable dans une démocratie du XXIe siècle, beaucoup plus que la crispation sur la notion ethnico-communautariste de « Volk » brandie par le IIe puis le IIIe Reich pour justifier l'annexion de l'Alsace-Moselle contre la volonté clairement et constamment exprimée de ces populations. Pour les Reich, le fait d'appartenir au « Volk » parce qu'on est germanophone et qu'on a une histoire qui fut longtemps celle du monde germanique justifiait ipso facto cette annexion et l'avis des intéressés ne comptait pas.

Contrairement à cette vision communautariste niant les droits fondamentaux de la personne, le concept de nation pose en principe que c'est la volonté de chaque individu qui prime : quelque soit son origine (linguistique, ethnique, etc.), l'individu décide librement d'appartenir à une nation. Dans les meilleures heures de notre pays, cela a permis l'intégration puis l'assimilation de millions de personnes, source d'un immense enrichissement humain et intellectuel pour la France, de Marie Curie au capitaine N'Tchoréré en passant par François Cheng. Actuellement, la hideuse montée des communautarismes qui va souvent de pair avec l'ignorance et le fanatisme met en danger ce modèle alors qu'il reste un outil de tolérance et d'intégration.

ELSASS48 (26-07-2020 11:16:01)

"Un jour béni dans l'Histoire de France" ! Cet article ressemble plus à l'hagiographie du roman national de la IIIème République qu'à de l'histoire.

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