Henri Ier Beauclerc, roi d'Angleterre et duc de Normandie, meurt à Lyons-la-Forêt, en Normandie, le 1er décembre 1135, sans doute d'une indigestion de lamproie. Il a 67 ans. Quatrième fils du roi Guillaume Ier le Conquérant, il a succédé sur le trône à son frère aîné Guillaume II le Roux et, pendant trente-cinq ans, maintenu son royaume dans une paix relative.
Faute de fils légitime, Henri Beauclerc désigne sa fille Mathilde pour lui succéder. Mais le cousin de celle-ci, Étienne de Blois, obtient de se faire couronner par les barons et les bourgeois de Londres. Il s'ensuit une longue succession de combats et de troubles connue sous le nom d'« Anarchie ». Elle s'achève deux décennies plus tard par le couronnement du fils de Mathilde. Celui-ci sera connu sous le nom d'Henri II Plantagenêt, son épouse n'étant autre qu'Aliénor d'Aquitaine.
Selon les règles en usage chez les Normands, Guillaume le Conquérant a légué à son fils aîné Robert Courteheuse le patrimoine familial, à savoir le duché de Normandie. Il a confié par ailleurs le royaume d'Angleterre au puîné, Guillaume le Roux (ou Rufus), son fils préféré. Quant à Henri « Beauclerc », ainsi surnommé parce qu'il a fait des études, chose rare à l'époque parmi les chevaliers, il a reçu une jolie somme de cinq mille livres d'argent à la mort de son père en 1087.
Pour les barons normands, qui possèdaient des terres des deux côtés de la Manche, ces legs n'allèrent pas sans inconvénient : à qui devraient-ils obéir en cas de conflit entre les deux frères ? La question ne se posa pas dans l'immédiat car le duc de Normandie Robert Courteheuse choisit de rejoindre la première croisade en Terre Sainte.
Célibataire sans maîtresse ni bâtard, le roi d'Angleterre Guillaume II le Roux menait pendant ce temps une vie fantasque et agitée, en perpétuel conflit avec les prélats. Henri rêvait de lui succéder. Mais voilà qu'on annonça le retour de Robert Courteheuse de Terre sainte, en compagnie d'une jeune et belle épouse. N'allait-il pas revendiquer la succession pour lui-même ?...
Le 2 août 1100, le roi Guillaume II est mortellement atteint par une flèche au cours d'une partie de chasse. Son frère Henri qui, curieusement, chassait le même jour dans la même forêt, ne perd pas de temps. Il galope jusqu'à Winchester, se fait remettre les clés du trésor royal, réunit une poignée de barons et se fait couronner par l'évêque de Londres à défaut de l'archevêque de Cantorbéry.
Dès son avènement, le 5 août 1100, le nouveau roi cultive sa popularité en accordant aux barons qui l'ont porté sur le trône une Charte des libertés par laquelle il s'engage à respecter les « lois d'Édouard le Confesseur », le grand souverain anglo-saxon d'avant la conquête normande.
Dans ce texte court de quatorze articles, il s'engage en particulier à respecter le droit des barons à léguer leur terre à leur héritier et à se marier comme ils l'entendent. Il proclame également une amnistie pour les crimes commis avant son avènement. Un siècle plus tard, les rédacteurs de la Grande Charte de 1215 ne manqueront pas de s'inspirer de ce texte précurseur. Qui plus est, par souci de se concilier ses sujets anglais, le roi Henri Ier épouse une princesse anglo-saxonne, Edith, fille du roi d'Écosse Malcolm et descendante du roi Aethelred.
Last but not least, il débarque en Normandie. Le 28 septembre 1106, à Tinchebray, au terme d'une bataille d'à peine une heure, il défait son frère Robert Courteheuse et lui enlève le duché de Normandie. Les sujets anglo-saxons y voient une revanche sur la bataille d'Hastings et la conquête de l'Angleterre par les Normands ! Robert, capturé à la bataille de Tinchebray, va passer les vingt-huit dernières années de sa vie en détention.
Bon connaisseur du droit, Henri impose la préséance des tribunaux royaux sur les tribunaux seigneuriaux dans la plupart des affaires criminelles. Il étend également la pratique des jurys populaires, groupes de citoyens désignés par le sort et appelés à statuer dans les affaires criminelles.
L'administration centrale elle-même s'étoffe. Le chancelier, au départ simple chef de la chapelle royale, voit son importance grandir parce qu'étant entouré de clercs qui savent lire et écrire, il a la charge de rédiger les actes royaux et se voit confier le sceau royal.
Les sheriffs en charge de l'administration des counties doivent rendre des comptes sur leur gestion à la cour de l'Échiquier qui se réunit deux fois par an, à Pâques et à la Saint-Michel, à Winchester. Le nom d'Échiquier vient de ce que devant le commis de l'évêque était disposée une table avec des colonnes et des lignes pour les pence, shillings et livres.
Henri doit par ailleurs composer avec le haut clergé et en particulier l'archevêque de Cantorbéry, Anselme, ancien abbé du Bec-Hallouin. Le saint homme veut imposer en Angleterre la réforme des investitures laïques voulue par le pape Grégoire VII. Henri Beauclerc feint de s'incliner et accepte du bout des lèvres que les abbés et évêques soient choisis par le pape.
Henri Ier aurait tout lieu d'être satisfait mais il est à son tour frappé par le sort. Le roi, qui n'a pas moins d'une vingtaine de bâtards, perd en effet le seul fils légitime qui puisse lui succéder dans le naufrage de la Blanche Nef, le 25 novembre 1120.
Au bord du désespoir, il se remarie avec Adélaïde de Louvain, laquelle tarde à lui donner un héritier de remplacement. À défaut de mieux, il désigne pour lui succéder sa fille Mathilde (Matilda en anglais).
Celle-ci a épousé en 1114, à 12 ans, l'empereur d'Allemagne Henri V, qui en avait alors 33. Veuve en 1125, elle est trois ans plus tard remariée par son père au futur comte d'Anjou, de Tours et du Maine, Geoffroi V le Bel Plantagenêt, lequel a dix ans de moins qu'elle (respectivement 16 et 26).
NB : curieusement, leur fils Henri aura également dix ans de moins que son épouse Aliénor d'Aquitaine.
Par ce mariage, Henri Ier veut protéger la Normandie contre des revendications extérieures. Mais les barons normands déplorent mezza voce ce choix d'un prince étranger et commencent à regretter d'avoir prêté un serment d'allégeance à Mathilde.
Quand meurt Henri Ier Beauclerc, Mathilde (33 ans) devient duchesse de Normandie mais est aussi proclamée « dame des Anglais » (et non reine). Elle-même revendique le titre d'« impératrice » ou « Emperesse » en vertu de son premier mariage avec l'empereur d'Allemagne. Henri, le fils qu'elle a eu de Geoffroi, n'a encore que 2 ans.
Cependant, son cousin, Étienne de Blois (environ 40 ans) prétend avoir été désigné par Henri 1er sur son lit de mort pour lui succéder.
Petit-fils de Guillaume le Conquérant par sa mère Adèle, marié à l'héritière du comté de Boulogne, également prénommée Mathilde, Étienne se fait prestement couronner avec le concours des bourgeois de Londres et de quelques barons. Ceux-ci renient pour l'occasion leur serment fait à Henri Beauclerc d'obéir à sa fille.
Profitant de la mollesse du nouveau roi, les grands seigneurs hérissent le pays de châteaux forts et oppriment la paysannerie. Quant aux bourgeois de Londres, ils se proclament commune.
En 1139, profitant du désordre ambiant, Geoffroy Plantagenêt envahit la Normandie, le roi David d'Écosse, oncle de Mathilde, envahit quant à lui le nord de l'Angleterre, et Mathilde elle-même lève des troupes à travers l'Angleterre avec le soutien de son demi-frère, le comte Robert de Gloucester, fils d'une maîtresse de son père.
Étienne capture sa rivale dès l'automne 1139 mais commet l'imprudence de la relâcher sur parole.
Le roi Étienne (Stephen of Blois en anglais) et Mathilde n'ont dès lors de cesse de se combattre pendant plus de dix ans. Cette triste période reste connue en Angleterre sous le nom d'« Anarchie ».
En février 1141, Étienne affronte l'armée ennemie à Lincoln. En situation de faiblesse, il poursuit le combat au lieu de s'enfuir et se fait capturer. Il est incarcéré à Bristol. Mais son épouse, avec le soutien des barons et du peuple de Londres, arrive à son tour à capturer Robert de Gloucester. Les deux prisonniers sont échangés et Étienne remonte sur le trône.
En décembre 1142, assiégée à Oxford, Mathilde arrive à s'échapper avec quatre compagnons en se laissant glisser le long de la muraille, en habits blancs pour mieux se dissimuler dans le paysage neigeux.
En octobre 1147, affectée par la mort de son demi-frère Robert, la malheureuse « Emperesse » se réfugie sur le Continent et ne reviendra plus en Angleterre. Le roi Étienne n'est pas tranquille pour autant. De grands barons ainsi que le pape refusent de lui reconnaître son fils aîné Eustache pour héritier. D'autre part, les Normands lui tiennent rigueur de ne pas s'intéresser à leur duché et se livrent à Geoffroy Plantagenêt, le mari de Mathilde.
En 1153, le jeune Henri Plantagenêt débarque en Angleterre et affronte avec ses partisans l'armée royale à Wallingford. La bataille reste indécise. Désespérant d'en finir, Étienne entame des négociations avec Mathilde que la mort inopinée de son fils Eustache va accélérer.
Le roi se résigne par le traité de Winchester à désigner comme successeur le fils de Mathilde. Il avait déjà suggéré cette issue douze ans plus tôt mais Mathilde l'avait alors repoussée !
Sa mort, survenue le 25 octobre 1154, ouvre le chemin du trône à Henri Plantagenêt, qui deviendra roi d'Angleterre sous le nom d'Henri II le 19 décembre suivant. Étienne est inhumé aux côtés de son fils Eustache et de sa femme, dans son abbaye de Faversham. Mathilde d'Angleterre, quant à elle, mourra à Rouen le 10 novembre 1167.
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