22 avril 1073

Grégoire VII et la réforme grégorienne

Le cardinal Hildebrand, âgé d'environ 50 ans, devient pape le 22 avril 1073 et prend le nom de Grégoire VII.

Ce fils d'un paysan toscan de Soana avait très tôt choisi la vie monastique et était entré comme oblat (élève moine) dans la prestigieuse abbaye clunisienne de Sainte-Marie de l'Aventin, à Rome. Il n'avait pas tardé à être appelé au Saint-Siège, auprès du pape Grégoire VI, pour gérer les finances de l'Église. À la mort du pape, en 1048, il s'était retiré à Cluny même, où il adopta avec résolution les projets de réforme de l'Église que nourrissait l'abbaye.

De retour à Rome comme trésorier et archidiacre, en quelque sorte Premier ministre, il s'acquit une excellente réputation auprès des Romains en servant les papes Léon IX, Victor II, Étienne IX, Nicolas II et Alexandre II. À la mort de ce dernier, il fut acclamé par la foule et le Saint Collège des cardinaux (dico) ratifia son choix sans se faire prier.

Le nouveau pape allait cristalliser toutes les réformes engagées dans les décennies précédentes afin de renforcer la papauté, rendre l'Église catholique plus morale et surtout plus indépendante de l'empereur germanique ainsi que des seigneurs et des autres souverains. Ces réformes étaient désignées par les contemporains sous le nom de Libertas ecclesiae (« liberté de l'Église » en latin médiéval), qui est aussi le titre d'une bulle du pape Grégoire VII en 1979. Ces réformes sont connues aujourd'hui sous le nom de réforme grégorienne

Scandales et réforme

Les papes, au début du Moyen Âge, étaient élus par le peuple de Rome en tant qu'évêques de la Ville éternelle. Ces élections se déroulaient sous la pression des grandes familles qui se partageaient le territoire de la ville.

Dans les dernières décennies de l'ère carolingienne et jusqu'à l'orée de l'An Mil se succèdent ainsi des papes qui n'ont rien des qualités spirituelles qu'on leur prête. Brigands, jouisseurs, voleurs, guerriers, ils se comportent en chefs de gang, accumulant richesses sur richesses dans leur résidence officielle du Latran.

Qui plus est, à partir du milieu du Xe siècle, les empereurs germaniques, titulaires du Saint Empire, interviennent dans les élections pontificales en concurrence avec le peuple romain, ce qui ajoute aux désordres et aux luttes de clans. À considérer ce scandale permanent, on pourrait penser que c'en est fini de l'Église catholique et de la papauté ! Mais le salut va venir du clergé régulier (celui qui vit selon une règle monastique). 

L'ordre de Cluny est le principal inspirateur de la réforme grégorienne qui va instaurer l'autorité du pape sur la chrétienté et ne plus cantonner le Saint-Siège dans les fonctions symboliques qui étaient jusque-là les siennes.

Turbulences pontificales

Le jeune Hildebrand est témoin d'une nouvelle période de turbulences quand il entre à la cour pontificale en 1045. Le trône de saint Pierre est alors occupé par un jeune débauché, Benoît XI, hissé là par l'influente famille des Tusculani. Désireux de se marier (!), le pape cède la tiare à son parrain, un homme intègre, qui devient pape sous le nom de Grégoire VI. C'est alors qu'il appelle Hildebrand à ses côtés. Mais voilà que d'autres candidats contestent Grégoire VI qui se retire dès l'année suivante. Son successeur est l'évêque allemand de Bamberg, Clément II, qui a le soutien de l'empereur Henri III. Il amorce la réforme de l'Église en luttant contre la simonie (la vente des biens et des charges ecclésiastiques) et use de l'excommunication (dico) pour imposer ses décisions. Mais il meurt au bout de dix mois, le 9 octobre 1047. Benoît XI en profite pour reprendre son poste ! Il en est finalement chassé par l'empereur Henri III et remplacé par Brunon, évêque de Toul, natif de Eguisheim (Alsace).

Les prémices de la réforme grégorienne

Brunon est partisan de réformer l'Église, selon les préceptes développés par l'ordre de Cluny et quelques autres abbayes comme celle de Gorze, près de Metz. Il est intronisé le 12 février 1049 sous le nom de Léon IX par son cousin Henri III, le plus énergique de tous les empereurs germaniques. Pendant les cinq années de son pontificat, il ne va avoir de cesse de parcourir l'Occident et de réunir évêques et abbés en synodes pour les convaincre de l'urgence de réformer l'institution ecclésiastique.

Intronisé le 13 avril 1055, son successeur Victor II, qui est aussi son parent, va poursuivre ses efforts avec le concours efficace d'Hildebrand, de même que les papes suivants, dont le pontificat demeure très bref : Étienne IX, intronisé le 2 août 1057,  et Nicolas II. 

À la mort d’Étienne IX, le 29 mars 1058, la noblesse romaine s’agite et la faction des Tusculani tente à nouveau d'imposer l’un des siens comme pape. C'en est trop pour Hildebrand qui craint le retour aux errements des décennies précédentes. À Sienne, le 6 décembre 1058, il impose l'élection de Nicolas II. Celui-ci, sans attendre, convoque un concile au Latran afin de réformer le mode d'élection des papes. Par le décret du 13 avril 1059, ceux-ci seront désormais élus par le collège des cardinaux et non plus par le peuple de la ville.

Alexandre II, élu le 1er octobre 1061, est issu de l'ordre de Cluny, tout comme Hildebrand et plusieurs de ses prédécesseurs. Pour la première fois de l'Histoire, il est intronisé sans avoir pris la peine de faire valider son élection par l'empereur. Ainsi s'affirme l'indépendance du Saint-Siège... Pendant son pontificat, toujours en étroite collaboration avec Hildebrand, il va renouveler les décrets contre la simonie et le nicolaïsme. Il ne va avoir de cesse aussi de sévir contre les investitures laïques, c'est-à-dire le droit qu'avaient les souverains de nommer les évêques ou les abbés et de s'approprier les revenus afférents à leurs domaines et leur fonction (dîme). Pour défendre les prérogatives du Saint-Siège, il utilise l'arme absolue, l'excommunication (dico), qui prive les opposants des sacrements de l'Église, au risque d'aller en enfer. Une menace qui ne laisse personne indifférent en cette époque de grande piété.

À sa mort, c'est assez naturellement Hildebrand qui est porté sur le trône de saint Pierre. Le jour de son élection, Grégoire VII exprime son trouble : « Une douleur profonde et une tristesse universelle m'étreignent. C'est à peine si je vois quelques évêques dont l'élévation à l'épiscopat et la vie soient conformes aux lois de l'Église. Parmi les princes, je n'en vois pas qui préfèrent l'honneur de Dieu au leur, et la justice au lucre » (note).

Les deux pierres d'achoppement de la réforme ecclésiale sont :
• La simonie : elle désigne le trafic contre argent des biens d'Église ; le mot vient de Simon le Magicien, un personnage légendaire qui aurait offert à l'apôtre Saint Pierre de lui acheter le don de faire des miracles.
• Le mariage et le concubinage des prêtres (nicolaïsme) : dès l'an 303, au concile d'Elvire, près de Grenade, l'Église a recommandé la chasteté et le célibat à ses membres, par souci d'élévation morale mais cette recommandation a été peu appliquée par la suite.
Le Saint-Siège a longtemps dû fermer les yeux sur le mariage et le concubinage des prêtres, en particulier des séculiers. Si le pape veut désormais imposer avec rigueur le célibat au clergé, ce n'est pas pour des raisons « morales » mais politiques et économiques. Les prêtres mariés étaient en effet tentés de s'enrichir et de constituer une rente au profit de leurs descendants, privant l'Église des moyens matériels indispensables à l'accomplissement de sa mission.

Sculpure de Grégoire VII, Cathédrale de Santa Maria del Fiore (Duomo), Florence.

L'action de Grégoire VII

Grégoire VII s'inscrit dans la continuité. Il renouvelle la condamnation du nicolaïsme, c'est-à-dire le mariage et le concubinage des prêtres. Il condamne aussi fermement la simonie. Il s'attelle ensuite à la formation des curés qui, trop souvent incultes, se souciaient assez peu d'évangéliser leurs ouailles.

Enfin, au concile de 1075, il dévoile un document de travail de vingt-sept propositions (Dictatus papae ou « Dits du pape ») dont les intitulés sonnent comme des déclarations de guerre aux souverains et seigneurs féodaux. Exemples :
« Comment le Souverain Pontife est seul à pouvoir être appelé Universel. »
« Comment il a seul le pouvoir de déposer ou de rétablir les évêques. »
« Comment seul le Pape a le droit de porter les insignes impériaux. »
« Comment son nom seul doit être invoqué dans l'Église. »
« Comment le Pape a le pouvoir de déposer l'Empereur. »
« Comment aucune décision du Pape ne peut être révoquée tandis qu'il possède le pouvoir de déposer toutes les autres. »
« Comment l'Église romaine ne s'est jamais trompée, et ne se trompera jamais. »
« Comment le Pape peut dispenser de leurs obligations d'obéissance les sujets des princes injustes. » (note).

C'est une révolution dans un monde où, selon la tradition antique, on est encore porté à penser que l'empereur est le représentant de Dieu sur la Terre et que le clergé a vocation à le servir. Grégoire VII, inspiré par l'esprit de Cluny, souhaite au contraire imposer la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir séculier, celui de l'empereur et des souverains. Il veut pour le moins une Église autonome, préfiguration de la laïcité moderne : « Si quelqu'un désormais reçoit de la main de quelque personne un évêché ou une abbaye, qu'il ne soit point considéré comme évêque. Si un empereur, un roi, un duc, un marquis, un comte, une puissance ou une personne laïque a la prétention de donner l'investiture des évêchés ou de quelque dignité ecclésiastique, qu'il se sache excommunié ».

L'empereur allemand Henri IV s'oppose avec violence aux prétentions de la papauté. Il réclame la déposition de Grégoire VII mais celui-ci réplique en l'excommuniant. La réforme grégorienne a déjà si bien assuré l'autorité morale du Saint Siège que l'empereur est obligé de se soumettre. Il se rend à Canossa où s'est réfugié le pape, auprès de la comtesse Mathilde de Toscane. Après avoir attendu trois jours dans la neige, il obtient la levée de son excommunication le 25 janvier 1077.

Mais quand les Électeurs allemands prononcent sa déchéance et son remplacement à la tête de l'Empire par Rodolphe de Souabe, Henri IV reprend les armes. Grégoire VII l'excommunie à nouveau en mars 1080 mais cette fois, l'empereur ne se soumet pas. Débarrassé de son rival Rodolphe, mort au combat, il marche sur Rome et intronise un nouveau pape, Clément III en mars 1084. 

Grégoire VII n'a bientôt plus d'autre ressource que de s'enfuir de Rome. Il meurt en exil à Salerne, sous la protection des Normands de Sicile, en 1085, abandonné de tous, laissant en suspens la querelle des investitures. La papauté imposera finalement l'essentiel de ses vues par le Concordat de Worms, en 1122.

Renouveau du monde chrétien

L'Église sort considérablement rajeunie de la réforme grégorienne. Elle entraîne l'Occident médiéval dans une expansion sans précédent, illustrée par la construction d'églises et de cathédrales, l'éclosion des Universités et une relative paix civile. Les croisades seront une conséquence plus contestable du renouveau de la foi en Occident.

Raoul Glaber, un clerc bourguignon du XIe siècle, mort en 1047, reste connu pour ses chroniques de l'époque de l'An Mil. Il témoigne du renouveau qui saisit l'église d'Occident à la veille de l'élection de Grégoire VII. Son texte ci-après annonce l'art roman :
« Comme approchait la troisième année qui suivit l'an mil, on vit dans presque toute la terre, mais surtout en Italie et en Gaule, rénover les bâtiments des églises ; une émulation poussait chaque communauté chrétienne à en avoir une plus somptueuse que celles des autres. C'était comme si le monde lui-même se fut secoué et, dépouillant sa vétusté, eut revêtu de toutes parts une blanche robe d'églises » (Histoires).

À la suite de la réforme grégorienne, les XIe et XIIe siècles vont entraîner la naissance de l'art roman (ou romain, c'est-à-dire d'inspiration latine). Différentes provinces périphériques de France en conservent de précieux témoignages. Ainsi l'église de la Madeleine, à Vézelay, en Bourgogne, Notre-Dame-la-Grande, à Poitiers, ou encore l'église Saint-Front, à Périgueux.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2023-04-21 14:51:24
Lucien (20-04-2012 16:25:15)

C'est déjà sous le pape Nicolas II que l'élection papale fut désormais réservée au collège des cardinaux évêques et diacres de l'Eglise de Rome. C'est également ce pape qui avait prévu que, sauf circonstance exceptionnelle, l'élection papale devait se faire dans l'Urbe, et que le pape devait être issu de l'Eglise romaine....C'est aussi vrai que Nicolas II tout comme Alexandre II doivent être considérés comme des papes promus par Hildebrand (futur Grégoire VII) et dans ce sens on peut le reconnaitre aussi dans la décision de Nicolas. C'est surtout le Dictatus papae, cette nouvelle norme juridique qu'il pose et par laquelle il affirme la suprématie papale dans et hors de l'Eglise (sur les souverains) qu'il sied d'insister aussi en parler de la r éforme grégorienne.

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