Europe

Le Luxembourg, pionnier de la construction européenne

Le grand-duché de Luxembourg occupe une place singulière au coeur de l'Europe occidentale.

Le grand-duc Jean de Luxembourg aux côtés de son épouse Joséphine-Charlotte le jour de son abdication, le 7 octobre 2000Après avoir obtenu une indépendance pleine et entière en 1867, il est resté longtemps discret, endurant deux occupations allemandes en 1914 et 1940.

Le grand-duc Jean, cinquième souverain de l'État, s'engagea lui-même dans une unité britannique qui participa au Débarquement de Normandie (il est mort le 23 avril 2019 à 98 ans après avoir laissé le trône à son fils Henri en 2000).

Nécessité faisant loi, le grand-duché s'est résolument engagé après la Seconde Guerre mondiale dans la voie du libre-échange et de la construction européenne ; des choix qui lui valent un rôle international très au-dessus de son poids démographique et, parfois, des volées de bois vert de la part de quelques aigris, jaloux de ses succès économiques, de ses certitudes libérales et d'un certain cynisme en matière bancaire.

Yves Chenal
Une seigneurie médiévale convertie au libéralisme

Le drapeau du LuxembourgGrand comme un département français moyen (2600 km2, 500 000 habitants), le grand-duché est un pays bucolique et boisé, adossé aux massifs des Ardennes et de l'Eifel.

Il doit son existence moins à une conscience nationale qu'à des arbitrages et hasards diplomatiques. Ses habitants n'en sont pas moins attachés à leur singularité. De confession majoritairement catholique, ils parlent le luxembourgeois (un dialecte franc-mosellan) ainsi que le français et l'allemand, sans compter les langues des nombreuses communautés d'immigrants, en particulier le portugais, plus du tiers de la population étant originaire du Portugal.

Le grand-duché leur assure le niveau de vie le plus élevé de l'Union européenne. Sa prospérité est assise sur la banque ainsi que sur l'industrie sidérurgique, liée à la présence du gisement de fer lorrain.

Une principauté parmi beaucoup d'autres

Le Luxembourg est à l'origine une principauté médiévale comme beaucoup d'autres, fondée par un certain Sigefroid. Plus exactement, ce comte fait construire en 963, au-dessus de l'Alzette, un « petit château » (en ancien allemand : « Lützelburg », d'où nous viendrait Luxembourg). De manière très fréquente à l'époque, une ville se développe autour de ce château. C'est l'actuelle capitale du grand-duché.

Situé dans le tout nouvel empire germanique, le Luxembourg connaît une existence comparable à d'autres seigneuries. Il voit se succéder trois familles comtales jusqu'en 1354. À cette date, il est élevé au rang de duché, une promotion qui s'explique par le fait que l'empereur Charles IV était issu de la maison de Luxembourg, de même que l'empereur Henri VII, son grand-père (1312-1313).

Les Tchèques voient en Charles IV, par ailleurs roi de Bohème, l'un de leurs plus grands souverains, même s'il était germanophone, et le célèbre pont Charles, à Prague, perpétue sa mémoire. Son père Jean de Luxembourg, surnommé Jean l'Aveugle, est mort à la bataille de Crécy, en digne allié (et beau-père) du roi de France, dans des circonstances épiques qui ont mis un terme à une existence des plus aventureuses.

À la fin du Moyen Âge, en 1443, Élisabeth de Görlitz, sans enfant, vend le duché au duc de Bourgogne Philippe le Bon. Après la mort du dernier duc, Charles le Téméraire, et le mariage de sa fille Marie à Maximilien d'Autriche, le duché échoit ensuite aux Habsbourg. Il figure dans le lot concédé à Philippe II d'Espagne par son père Charles Quint, en 1555.

Le Luxembourg à Paris

À partir du XVIe siècle, le titre de duc de Luxembourg n'a plus de lien avec le territoire. En revanche, il marque durablement la toponymie parisienne grâce au duc François de Luxembourg-Piney, qui fait ériger un hôtel particulier sur la rive gauche de la Seine. Racheté par Marie de Médicis, il est reconstruit en 1615 par les architectes Lemercier et Jacques de Brosse dans un style toscan inspiré du palais Pitti (Florence).

L'édifice abrite depuis 1801 le Sénat (et ses membres illustres, tel Philippe Marini). Il a conservé le nom de palais du Luxembourg et les beaux jardins qui vont avec.

En 1659, au traité des Pyrénées, l'Espagne cède à la France la région de Thionville.

Le maréchal de Créqui envahit le reste du Luxembourg en 1684 pour le compte de Louis XIV. Vauban se hâte de consolider la forteresse et réaménage le célèbre réseau de casemates du Bock.

Cela n'empêche pas la France de devoir céder le territoire à l'Espagne en 1697, par les traités de Ryswick.

En 1715, le duché revient aux Pays-Bas autrichiens. En 1795, les troupes révolutionnaires françaises s'en emparent et en font le département des Forêts.

Entre Prusse, France et Pays-Bas

L'histoire contemporaine du Luxembourg débute en 1815. Dans le cadre du redécoupage de l'Europe au Congrès de Vienne, le Luxembourg obtient un statut hybride d'État-tampon entre France, Confédération germanique et Pays-Bas.

Une rue de la ville de Luxembourg (photo : Fabienne Vignolle)Il est érigé en grand-duché et cédé au roi des Pays-Bas, Guillaume 1er, pour le consoler de la perte de Nassau. Le roi et grand-duc, bien qu'il ait promis le contraire, ne le gouverne pas différemment de ses autres territoires.

Par ailleurs, des garnisons prussiennes prétendent garantir la défense du grand-duché, membre de la Confédération germanique - la première étape de l'union allemande. Cette situation convient à la Grande-Bretagne qui craint par-dessus tout que la France ne revienne à annexer la rive gauche du Rhin jusqu'à l'Escaut.

Après la sécession de la Belgique du reste des Pays-Bas, le grand-duché est l'objet de nouvelles manœuvres diplomatiques. Celles-ci conduisent en 1831, aux termes du « traité des XXIV articles », à la cession à la Belgique de la partie francophone ainsi que d'Arlon.

Ce qui reste du grand-duché demeure placé sous l'autorité de Guillaume Ier, bien que n'ayant plus de frontière commune avec les Pays-Bas. Cette situation particulière va le conduire doucement à l'indépendance. Elle explique aussi que le grand-duché ait encore aujourd'hui le même drapeau que les Pays-Bas (à une différence près : le bleu luxembourgeois est plus clair).

Pas de « pourboire » pour la France

Les progrès de l'unification allemande et les tensions entre la Prusse et la France conduisent à la crise de 1867. Affaire complexe, manigancée par le chancelier prussien Otto von Bismarck, on peut la résumer comme suit : Napoléon III souhaite une récompense pour son intervention médiatrice dans la guerre de 1866 entre l'Autriche et la Prusse. Le Luxembourg paraît être un « pourboire » acceptable, Bismarck feint d'envisager de le céder et la France croit pouvoir l'acheter au grand-duc.

Cependant, lorsque ce projet est communiqué à l'opinion publique allemande, celle-ci s'élève contre cette cession, considérant le Luxembourg comme un territoire historiquement allemand.

Pour régler cette crise, une conférence internationale réunit à Londres les principales puissances. La France renonce à l'annexion du Luxembourg, en échange de quoi la Prusse retire ses garnisons du duché, qui est déclaré neutre. Du point de vue français, c'est un demi-échec : le retrait des troupes prussiennes ne compense pas la crainte que Bismarck a su insuffler dans les États du sud de l'Allemagne en révélant la proposition française.

Contre l'expansionnisme français, leur a-t-il fait comprendre, seule la Prusse peut les protéger. Du point de vue luxembourgeois, en revanche, le traité de Londres du 11 mai 1867 consolide la stabilité et l'indépendance du pays, malgré deux invasions allemandes durant les guerres mondiales.

Libre envers et contre tout

Depuis 1890, le trône est occupé par une branche cousine de la famille royale néerlandaise. La prospérité de cette monarchie constitutionnelle est à peine entamée par les deux guerres mondiales.

La Philharmonie de Luxembourg (photo : Fabienne Vignolle)En 1922, le grand-duché conclut une union douanière avec la Belgique, son « grand » voisin. Elle est prolongée le 1er janvier 1948 par une union douanière et économique entre le Luxembourg, la Belgique et également les Pays-Bas. C'est le Benelux (Belgique-Nederland-Luxembourg), une amorce du futur Marché commun européen.

L'occupation nazie laisse aux Luxembourgeois de douloureux souvenirs comme la répression d'une grève générale, en août 1942, par laquelle ils protestent contre l'enrôlement des jeunes hommes dans la Wehrmacht.

Depuis la Libération, le grand-duché, partie prenante de toutes les institutions européennes, a renoncé à sa neutralité pour intégrer l'OTAN en 1948. Il fait figure aussi de pionnier dans la construction européenne. Ainsi est-il partie prenante de la CECA (1950), dont il accueille le siège, et du traité de Rome (1957).

Le Luxembourg héberge aussi la Cour de justice des Communautés européennes depuis 1952 et la Cour des comptes européenne depuis 1977. Enfin, c'est dans la petite ville de Schengen qu'a été signée le 14 juin 1985 la convention sur la libre circulation des personnes.

Le palais grand-ducal du Luxembourg, sur le côté droit de la rue (photo : Fabienne Vignolle)

Une tache sur le front lisse du grand-duché

En 2014, les citoyens du Luxembourg se sont réjouis de voir l'un des leurs accéder à la présidence de la Commission européenne. L'heureux impétrant, Jean-Claude Juncker (58 ans), qui fut pendant 18 ans Premier ministre et ministre des Finances du grand-duché, avait l'apparence d'un homme d'État au-dessus de tout soupçon jusqu'à ce qu'un consortium de journalistes mette à jour une énorme machinerie pilotée par son gouvernement et destinée à défiscaliser les grandes multinationales (surtout américaines) installées sur le sol européen par un détournement de procédure à la limite de la légalité.

Au total, pas moins de 340 « tax rulings ». Le préjudice est de plusieurs dizaines ou centaines de milliards d'euros par an pour les budgets publics des différents États de l'Union.

Publié ou mis à jour le : 2021-06-22 16:59:40
pierre dolivet (14-12-2016 17:26:15)

Les articles publiés sont toujours très intéressants et instructifs. Néanmoins, l'on peut regretter le côté "neutre" de "hérodote.net". Un peu de "prise de position" argumentée serait bienvenu... Lire la suite

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