August Bebel (1840 - 1913)

Pape du socialisme allemand

Homme affable, orateur redouté, intellectuel marxiste, Ferdinand August Bebel a connu la pauvreté et la prison. Mais il a aussi conduit le parti social-démocrate révolutionnaire aux portes du pouvoir. De sa tribune du Reichstag, il a également pourfendu l'impérialisme et prophétisé la Grande Guerre de 14-18 comme personne avant lui.

André Larané

Le marxisme révélé

Né le 22 février 1840 près de Cologne, dans la famille d'un modeste sergent prussien, August Bebel connaît la misère après la mort de son père et doit renoncer à des études d'ingénieur. Il apprend le métier de tourneur.

Ferdinand August Bebel (Deutz, près de Cologne, 22 février 1840  - Passug, Suisse, 13 août)À 18 ans, ayant reçu le titre de compagnon, il fait le tour de l'Allemagne et, pendant deux ans, exerce son métier de ville en ville. Il s'établit à Leipzig puis ouvre avec un ami un atelier de tourneur à Plauen, près de Dresde. Il se marie par ailleurs avec la fille d'un modeste cheminot et peut envisager enfin d'entrer dans la petite bourgeoisie.

Mais tout en continuant d'exercer son métier, il s'engage dans le mouvement ouvrier et découvre le marxisme sous l'influence de Wilhelm Liebknecht, un intellectuel de quinze ans son aîné.

Ensemble, ils militent pour renverser le régime capitaliste - de préférence par une révolution non sanglante -. En attendant, ils réussissent à se faire élire au Reichstag de l'Allemagne du Nord comme députés de la Saxe. Ils fondent aussi, en 1869, à Eisenach (Thuringe), le Parti ouvrier social-démocrate (Sozialdemokratische Arbeiterpartei).

Le parti rallie l'Association Internationale des Travailleurs (la 1ère Internationale) mais entre en concurrence avec l'Association générale des travailleurs (Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein), fondée six ans plus tôt par Ferdinand Lassalle, marxiste repenti qui préconise de réformer la société bourgeoise plutôt que de l'abattre.

La grève (Robert Koehler, 1886)

Les prisons pour université

La même année, August Bebel est condamné à trois semaines de prison pour propagande séditieuse. Cette épreuve et les suivantes vont nourrir son prestige dans les milieux ouvriers.

Suite à la proclamation de l'Empire allemand, en 1871, il entre comme député au nouveau Reichstag. Il ne le quittera plus jusqu'à sa mort, exception faite des nombreux séjours en prison que lui vaudront l'hostilité de Bismarck, le tout-puissant chancelier de l'Empire.

Le différend entre les deux hommes commence avec la guerre franco-prussienne.

Déjà, à l'automne 1870, après que l'empire de Napoléon III a été défait par les armées allemandes et remplacé par une IIIe République, les députés Bebel et Liebknecht ont refusé de voter de nouveaux crédits de guerre, arguant que la guerre contre la France n'avait plus lieu de se poursuivre ! Au Reichstag, Bebel aggrave son cas. Il s'élève avec force contre l'annexion de l'Alsace-Lorraine et affiche sa sympathie pour la Commune de Paris.

Bismarck dira plus tard que ces discours de Bebel lui ont fait l'effet d'un éclair et l'ont convaincu de détruire à tout prix le socialisme. Il n'aura de cesse de réprimer les mouvements ouvriers, jusqu'à la loi antisocialiste du 19 octobre 1878, qui les interdit tout simplement. Ses efforts resteront vains et, pour couper l'herbe sous le pied aux révolutionnaires, il choisira à partir de 1883 de promouvoir des réformes sociales d'une audace sans équivalent dans le reste de l'Europe !

Wilhelm Liebknecht (29 mars 1826, Giessen - 7 août 1900, Berlin)En mai 1872, sur une fausse accusation de complot, la cour de Leipzig condamne Bebel à deux ans de forteresse à Königstein (Saxe), de même que ses amis Wilhelm Liebknecht et le journaliste Adolf Hepner.

Cela ne lui suffisant pas, Bismarck fait condamner à nouveau Bebel en juillet 1872 à neuf mois de prison à la maison d'arrêt de Zwickau, pour crime de lèse-majesté. Le militant est privé de son siège de député mais aussitôt réélu en triomphe par ses électeurs, au grand dépit de Bismarck. Le chancelier s'accordera une ultime revanche en 1886 en faisant condamner une nouvelle fois Bebel à neuf mois de prison.

Notons que ces séjours en prison, s'ils altèrent la santé fragile d'August Bebel, lui permettent aussi de parfaire sa formation intellectuelle, de lire, se cultiver et écrire ses nombreux ouvrages théoriques !

L'amour sans entraves

Ferdinand August Bebel aux côtés de sa femme et sa fille Bien qu'ayant personnellement connu une vie familiale paisible entre sa femme et sa fille, August Bebel pourfend le mariage bourgeois dans son ouvrage le plus célèbre : La femme et le socialisme (1879). Voici comment il résume sa pensée auprès du journaliste Jules Huret :
« Le mariage est seulement le produit des relations économiques. Quand l'héritage sera supprimé, quand la propriété privée sera abolie, quand l'éducation des enfants sera publique, que restera-t-il de la famille ? Le sentiment de l'homme pour la femme ? Eh bien ! on n'empêchera personne de vivre en famille ! Vous resterez ensemble tant que cela vous plaira ! Mais la famille, telle qu'on la comprend de nos jours, se dissoudra d'elle-même. Aujourd'hui la jeune fille ne regarde le mariage que comme un moyen de vivre ou d'augmenter ses revenus. 90 pour 100 des mariages sont des mariages économiques. Le jour où les femmes seront assurées de gagner leur vie, pourquoi voulez-vous qu'elles se lient pour toute leur existence ? D'ailleurs, actuellement, où est-elle la famille, pour l'ouvrier ? Il passe douze heures par jour à l'usine, souvent sa femme s'en va quand il revient, pour gagner, elle aussi, sa vie; les enfants eux-mêmes vont à l'atelier... Oui, où est-elle la famille de l'ouvrier ? » (note).

August Bebel au Reichstag de Berlin (à droite, sous le n°6)

La révolution pour horizon

En 1875, au Congrès de Gotha, le parti de Bebel et Liebknecht est absorbé par celui de Lassalle. C'est une défaite pour les révolutionnaires marxistes mais ils n'en conservent pas moins une grande influence parmi les militants ouvriers.

De 1878 à 1890, aussi longtemps que perdurent les lois antisocialistes de Bismarck, August Bebel apparaît comme la figure de proue du socialisme allemand. Sa popularité s'exprime dans les surnoms flatteurs qui lui sont attribués : « Empereur des travailleurs », « Empereur Bebel »...

August Bebel en 1898Après l'abrogation des lois antisocialistes, le Parti social-démocrate allemand (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD) issu du Congrès d'Erfurt de 1891 se flatte de recueillir 20% des voix et 35 sièges au Parlement. Mais il est tiraillé entre les révisionnistes, héritiers de Lassalle, et les révolutionnaires, qui se réclament de Marx. Les révisionnistes sont conduits par Édouard Bernstein, les révolutionnaires par Karl Kautsky.

Entre les deux, August Bebel. Il se dit toujours révolutionnaire et marxiste mais joue les conciliateurs. La révolution, oui, mais sans brutalité ! Cela lui vaut de prendre la présidence du parti en 1900, après la mort de Wilhelm Liebknecht.

Les tensions s'aiguisent après la Révolution russe de1905, avec l'émergence d'un courant d'extrême-gauche, conduit par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, le fils du précédent.

Égal à lui-même, August Bebel dénonce aussi au Reichstag les expéditions coloniales en Afrique, en particulier dans le Sud-Ouest africain, contre le peuple herero. Il les qualifie de « non seulement barbares mais bestiales ». Cela lui vaut un nouveau surnom de la part du journal Coburger Zeitung, le 17 janvier 1904 : « Der hereroische Bebel » (jeu de mot sur herero et héroïque).

Ses attaques perturbent à ce point l'opinion publique qu'elles font des élections de 1905 les « élections Hottentot ».

Antiraciste, Bebel est aussi philosémite de sorte qu'on lui prête souvent à tort la citation : « L'antisémitisme est le socialisme des imbéciles », laquelle vient probablement du social-démocrate autrichien Ferdinand Kronawetter.

Quand montent les tensions en Europe même, le leader social-démocrate fait preuve une nouvelle fois d'une rare perspicacité. Mais à l'opposé de ses correspondants français, il ne croit pas à une grève anti-impérialiste qui arrêterait les combats.

Il ne veut pas croire à l'inéluctabilité de la guerre tant celle-ci lui paraît épouvantable. Mais si elle devait malgré tout survenir, alors, les ouvriers... et lui-même feraient leur devoir de patriotes et au terme de la catastrophe viendrait la Révolution tant attendue. 

C'est ce qu'il affirme dès 1897 au journaliste Jules Huret :
« Oui, une guerre européenne, par exemple, changerait du jour au lendemain la face des choses... Comprenez-vous ? En cas de guerre, les accidents économiques seraient si considérables, que la besogne révolutionnaire deviendrait très facile... Voyez-vous la navigation arrêtée, le commerce mort, le paysan parti pour l'armée, le blé renchéri, pas de travail puisque l'industrie chômera, tout le monde ruiné ! La Révolution est faite !... »

Lui-même meurt le 13 août 1913 près de Zurich, où il s'est établi dans ses vieux jours. Il ne verra pas la catastrophe (Kladderadatsch) qu'il avait prophétisée. 

Le « Jaurès allemand »

On peut voir chez August Bebel beaucoup de similitudes avec Jean Jaurès, même si sa popularité en Allemagne, aujourd'hui, n'a rien à voir avec celle du tribun français dans son pays. Il suffit de consulter le web pour s'en rendre compte.

Il est vrai que Bebel est un théoricien marxiste qui a perdu la bataille des idées tandis que Jaurès, qui n'a rien écrit et a reçu l'auréole du martyr, peut être récupéré par tous les camps. Les deux hommes s'estimaient et se fréquentaient. Ils se sont opposés aussi dans de vigoureuses joutes oratoires...

Vous, les Français...

La réplique de Bebel à Jaurès au Congrès de l'Internationale socialiste d'Amsterdam, en 1904 est révélatrice de l'abîme qui séparait les socialistes français et allemands. Elle nous éclaire sur l'absence de solidarité de classe dix ans plus tard, quand éclate la Grande Guerre :
« Si fort que nous vous envions, à vous Français, votre République et que nous la désirions pour nous, nous ne nous ferons pas cependant tuer pour elle : elle n’en vaut pas la peine (tonnerre de bravos). Monarchie bourgeoise, République bourgeoise, l’une et l’autre sont des États de classe ; l’une et l’autre servent par nature au maintien de l’ordre capitaliste. L’une et l’autre travaillent à ce que la bourgeoisie conserve le pouvoir politique. Car, si elle venait à le perdre, elle perdrait aussi sa domination économique et sociale. La monarchie n’est pas si mauvaise et la République bourgeoise n’est pas si bonne que vous le dites (vifs applaudissements). Même dans notre Allemagne de militaires, de hobereaux, de bourgeois, nous avons des institutions qui pour votre République bourgeoise sont encore un idéal. Regardez la législation de l’impôt en Prusse et dans d’autres États fédérés et regardez‑la en France. Je ne connais pas de pays en Europe qui ait un système fiscal aussi misérable, aussi réactionnaire, aussi exploiteur que la France. En face de ce système de succion, avec un budget de trois milliards et demi de francs, nous avons au moins l’impôt progressif sur le revenu et la fortune.
Et quand il s’agit de réaliser les revendications de la classe ouvrière, la République bourgeoise elle‑même déploie toutes ses forces contre les travailleurs. Où les travailleurs pourraient‑ils être traités de façon plus brutale, plus cynique et plus vile que dans la grande République bourgeoise d’au-delà l’océan, qui est l’idéal de tant de gens ? Même en Suisse, une République beaucoup plus démocratique que votre France, rien que dans ce court été, les milices ont été six fois convoquées contre les ouvriers qui faisaient usage de leur droit de coalition et d’association, même dans de toutes petites grèves.
Je vous envie votre République pour le suffrage universel appliqué à tous les corps élus. Mais je vous le dis sans mystère : Si nous avions le droit de suffrage dans la même extension et avec la même liberté que vous, nous vous aurions fait voir tout autre chose (vifs applaudissements) que vous ne nous avez fait voir jusqu’ici...
''Votre impuissance provient de ce que le suffrage universel vous a été octroyé en don. Vous n’avez pas de passé révolutionnaire '', dit Jaurès ‑ Mais la bourgeoisie française s'est servie du prolétariat pour conquérir le droit de suffrage en 1848, et lorsque celui‑ci réclama des réformes sociales, il succomba dans la bataille de Juin. Ce n’est pas la vaillance du prolétariat français qui lui a donné la République (Mouvements parmi les délégués français), mais la victoire de Bismarck, qui conduisit votre empereur à Wilhemshöhe... »

Les funérailles d'August Bebel à Zurich, en 1913
Publié ou mis à jour le : 2023-11-16 14:46:45
Duval (10-11-2014 10:17:11)

Respectons la grammaire: Dans la partie intitulée " Les prisons pour l'université" il est écrit, au 4e§, " Déjà à l'automne 1870, après que l'Empire de Napoléon III AIT été ... Lire la suite

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net