Le livre noir du colonialisme, XVIe-XXIe siècle : de l'extermination à la repentance est un ouvrage collectif sous la direction de Marc Ferro (Robert Laffont, janvier 2003, 845 pages, 29 euros).
Quelques années après avoir publié le polémique Livre noir du communisme, l'éditeur récidive dans un souci d'équilibre quelque peu convenu avec Le livre noir du colonialisme.
Nous ne nous en plaindrons pas. Les historiens et les esprits ouverts auront tout lieu d'apprécier cette somme de plus de 800 pages qui traite de l'expansion européenne jusqu'à nos jours.
Survolant l'histoire de l'esclavage en Occident, Marc Ferro rappelle les origines lointaines de ce mal endémique, solidement enraciné dans les sociétés africaines où le commerce des esclaves suppléait à l'absence de propriété foncière.
Du IXe siècle à la fin du XIXe siècle, pendant un millénaire, les musulmans ont pratiqué à grande échelle le trafic d'esclaves à travers le Sahara. De ces esclaves noirs, dont le nombre dépasse les dix millions, il ne reste plus de trace en raison des mauvais traitements et d'une excessive mortalité (castrations, mutilations, massacres....). Concernant la traite atlantique, on évalue à 14 millions le nombre d'Africains qui débarquèrent dans le Nouveau Monde, du XVIe siècle au début du XIXe siècle. Les descendants de ces esclaves, noirs ou métis, sont aujourd'hui environ 200 millions.
Lorsqu'à la fin du XVIIe siècle, leur nombre tendit à dépasser celui des colons blancs, ces derniers commencèrent à élaborer des statuts juridiques contraignants en vue de se préserver des révoltes et... du mélange des races.
Catherine Coquery-Vidrovitch met en évidence l'exacerbation du sentiment de supériorité des Européens sur les Noirs à partir de cette époque. « Paradoxalement, le siècle des Lumières fut aussi celui où l'infériorité du Noir fut poussée à son paroxysme, » écrit-elle (Le postulat de la supériorité blanche et de l'infériorité noire). Voltaire, par exemple, n'échappe pas aux préjugés racistes. Cette montée du racisme est en rupture avec l'universalisme chrétien.
À la lecture des contributions sur l'Amérique hispanique, l'activité des Hollandais en Indonésie ou encore l'origine des Indes britanniques, il apparaît que l'expansion européenne, du XVe siècle au début du XIXe siècle, a été le fait de quelques individus entreprenants et sans scrupules (conquistadores au Mexique et bandeirantes au Brésil) ou de quelques compagnies privées de commerçants (VOC en Indonésie, EIC aux Indes).
Les monarchies européennes, jusqu'au début du XIXe siècle, ont régulièrement tenté de freiner les exactions des individus et des commerçants. Mais leurs lois et règlements se sont montrés de peu d'effet à plusieurs milliers de lieux de leur capitale (NB : nous pouvons comprendre cela quand nous constatons l'impuissance de nos propres gouvernements à lutter contre le tourisme sexuel dans les pays pauvres).
À noter que la conquête des Indes par les Britanniques n'a pas relevé d'un plan préétabli mais seulement de l'addition de nombreuses ambitions individuelles.
On peut faire le parallèle avec les Vikings et les Varègues, ces mauvais garçons qui, mille ans plus tôt, quittèrent les paisibles sociétés rurales de Scandinavie pour mettre à feu et à sang les rivages européens... et bâtir des États modernes en Normandie, Angleterre, Sicile, Ukraine et Russie !
Très tôt, des Occidentaux se sont interrogés sur le bien-fondé des entreprises ultramarines. « Il est important de souligner que l'impérialisme espagnol engendra sa propre contestation du système, et, à juste titre, Las Casas est considéré aujourd'hui comme un précurseur des droits de l'homme, » écrit Carmen Bernand (Dominations et résistances : le Nouveau Monde, ibid, page 148). Marcel Merle note un peu plus loin que « les Européens ont été les seuls, parmi les grands colonisateurs que furent Rome puis l'Islam, à avoir suscité un mouvement de contestation interne » (L'anticolonialisme, ibid, page 611).