Luigi Mascilli Migliorini

Fan de Napoléon

Octobre 2004 : auteur d'un Napoléon inédit (traduction française, Perrin, 2004), Luigi Mascilli Migliorini témoigne du jeu de miroirs entre les événements et la perception qu'en ont les contemporains. L'Histoire en est le résultat. Né à Naples il y a 52 ans, Luigi Mascilli Migliorini enseigne aujourd'hui l'Histoire moderne à la Faculté de Sciences Politiques de la ville (Université "l'Orientale"). Il a publié en 1984 Le mythe du héros, France et Italie après la chute de Napoléon (traduction française, 2002, Editions du Nouveau Monde).

L'historien Luigi Mascilli Migliorini vient de publier un Napoléon inédit (Perrin). Cette biographie atypique montre la formation de la légende napoléonienne.

Passionné par le mythe du héros, l'auteur nous dit comment l'empereur des Français est devenu une référence incontournable pour tous les Européens du XIXe siècle en quête de grandeur.

– Quel sentiment inspire Napoléon à vos compatriotes italiens ?

– L'Italie, sachez-le bien, aime et a toujours aimé Napoléon... À la différence de la plupart des autres pays européens (Russie, Espagne...).

D'une part parce qu'il est d'origine génoise, donc italienne, et s'est toujours montré à l'aise dans ses rapports avec les habitants de la péninsule; d'autre part parce qu'il a permis à l'Italie d'entrer rapidement dans la modernité en renversant les structures anciennes et en diffusant les idées de la Révolution.

J'ajoute que Napoléon a pu jouer en France le rôle que l'on sait du fait de son côté italien, étranger à l'esprit français.

Edgar Quinet et Chateaubriand disent de façon différente la même chose : la Révolution, sous le Directoire, était devenue si compliquée que les Français seuls n'auraient pu la terminer. Il y fallait un Italien de Corse (Chateaubriand) ou un condottiere (Edgar Quinet)!

– N'y a-t-il pas lieu de déplorer que Napoléon ait dévoyé la Révolution et tué tant de gens pour si peu de résultats ?

– Je ne crois pas qu'il soit permis de réécrire l'Histoire. Je préfère m'interroger sur ce que Napoléon a pu apporter à l'Histoire et se rendre ainsi nécessaire.

Dès les guerres d'Italie, en 1796-1797, Bonaparte a eu la prescience d'un grand jeu planétaire. Fallait-il, comme certains dirigeants du Directoire le souhaitaient, mettre un terme à la Révolution et à ses guerres et se replier derrière les «frontières naturelles» ? Cela revenait à laisser le reste de la planète à la Grande-Bretagne.

Ne fallait-il pas plutôt bâtir un système continental capable de contrecarrer les ambitions britanniques ? C'est la voie qu'a choisie Bonaparte, contre l'avis du Directoire, en signant en octobre 1797 le traité de Campoformio avec l'Autriche. Cette voie a débouché sur une impasse en 1808, lorsque Napoléon 1er a renoncé à offrir à la Russie et à l'Autriche de se payer sur le dos de l'empire ottoman.

On convient que Napoléon n'aurait pas été possible sans la Révolution mais a contrario, la Révolution n'aurait pu se conclure sans Napoléon.

Cette Révolution, qui s'est produite au coeur de l'Europe, dans sa partie la plus riche et la plus cultivée, menaçait de déboucher sur un échec, un coup pour rien, après la Terreur et la chute de Robespierre.

Napoléon, sans idée préconçue, en se laissant guider par les événements et la nécessité, a stabilisé la Révolution en installant son pouvoir personnel, sous la forme du Consulat puis de l'Empire. Il a mené la Révolution à son terme jusqu'à épuisement.

Certains thuriféraires de l'empereur distinguent le Napoléon civil (franc germinal, Code civil, concordat...) du Napoléon conquérant. Cela n'est pas sérieux tant les deux sont indissociables au regard de l'Histoire, Napoléon ayant, par ses conquêtes, diffusé dans toute l'Europe l'héritage révolutionnaire.

– A quoi rime la légende napoléonienne ?

– Napoléon a fait rêver les Européens. Il a forgé l'imaginaire de ses contemporains, en bonne partie de façon volontaire (Bulletins de la Grande Armée, Mémorial de Sainte-Hélène). En retour, par un singulier jeu de miroirs, cet imaginaire a agi sur les Européens et orienté leurs actions.

En écrivant il y a 20 ans Le mythe du héros, j'ai découvert à quel point Napoléon avait été l'inspirateur du romantisme européen.

Dans une société en voie de sécularisation, où la religion n'était plus un guide privilégié, son destin a témoigné aux yeux des poètes romantiques de ce qu'il était possible à un mortel de conjuguer la réalisation de soi avec un échec.

L'empereur, issu de la petite noblesse, a insufflé dans la bourgeoisie révolutionnaire un peu de l'esprit aristocratique d'Ancien Régime, y compris la fascination de la guerre. En récupérant grâce à lui d'anciens matériaux historiques (geste chevaleresque, fastes de cour, héroïsme guerrier...), elle s'est inventée une épopée et donné un destin.

La fascination de la guerre a perduré tout au long du XIXe siècle. Elle a convaincu les Européens de la légitimité de leur droit de conquête. Elle a finalement débouché sur les horreurs de la Grande Guerre.

Propos recueillis par André Larané
Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14

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