Mars 2006

Judas, Da Vinci Code et la fascination du complot

Le Monde de la Bible mars-avril 2006Sophie Laurant, chef de rubrique au Monde de la Bible, décrypte les affaires Judas et Da Vinci Code, tirées d'écrits tardifs et de seconde main.
Retrouvez les textes relatifs à Judas dans Le Monde de la Bible (mars-avril 2006): L'effet Judas.

Un authentique manuscrit antique intitulé «Évangile de Judas» vient d'être redécouvert. Plus fort encore que le Da Vinci Code, qui malgré ses efforts pour faire croire le contraire, reste une oeuvre de fiction !

Selon nombre d'articles et de reportages, le Vatican en vacillerait sur ses bases. Vraiment ?

Si l'exagération d'un tel propos peut faire sourire, elle donne aussi à réfléchir sur notre manque de distance vis à vis des sources, fussent-elles antiques, et nos difficultés à replacer les informations dans un contexte, fût-il historique.

Le baiser de Judas,par Giotto di Bondone (1226-1337), fresque de la chapelle Scrovegni (Padoue)

Bien sûr, et c'est de bonne guerre, les organisateurs de la conférence de presse du National Geographic, à Washington, qui ont les premiers «présenté» cette découverte, ont habilement joué sur son caractère sensationnel : un évangile signé par le disciple qui a trahi Jésus! Un texte qui explique les raisons profondes de son acte et le disculpe ! Un manuscrit qui donne une version différente de l'histoire racontée par les quatre Évangiles dits «canoniques», c'est-à-dire reconnus par l'ensemble des Églises chrétiennes !

Et ils ont minimisé l'autre face de l'information, qui leur convenait moins, car peu spectaculaire et déjà connue: ce prétendu évangile est l'oeuvre d'un courant religieux ésotérique bien connu de l'Antiquité tardive (du IIe au Ive siècle), appelé «gnose», inspiré à la fois de philosophie grecque, des Écritures juives et des premiers textes chrétiens qui commençaient alors à se répandre. Sur ce mouvement, les spécialistes disposaient déjà de nombreux textes, notamment des «Évangiles» attribués à différents disciples de Jésus et retrouvés eux aussi en Égypte, à Nag Hammadi, en 1945. Si «l'Évangile de Judas» possède un intérêt historique indéniable, c'est parce qu'il vient enrichir ce corpus de textes rejetés par les premiers chrétiens qui y voyaient - déjà ! - un danger de confusion avec«leurs» Évangiles. Le roman Da Vinci Code a d'ailleurs abondamment exploité cette veine.

Les éditeurs du National Geographic, en bons professionnels de la communication, ont tout de même fourni aux journalistes des éléments nécessaires à une vraie compréhension de ce texte et de son importance historique : ils ont donné une datation du manuscrit copte (IVe siècle) et du texte original grec qu'il recopie (milieu du IIe siècle) et répondu aux questions qu'on voulait bien leur poser. Rien qu'avec ces premières informations, n'importe quel citoyen peut soulever cette curieuse contradiction qui appelle une enquête plus poussée : comment Judas, dont la tradition rapporte qu'il s'est suicidé pendant le procès de Jésus, en 30 de notre ère, aurait-il signé de son nom, cent ans plus tard, un texte le mettant en scène ?

Malgré tout, certains compte-rendus parus dans les journaux, sur les sites, et des reportages télévisuels ont immédiatement considéré que cet «Évangile de Judas» était l'équivalent d'un «cinquième Évangile» qui nous avait toujours été caché. Sous-entendu : il est plus véridique que les autres, selon le principe connu que ce qui est «nouveau» est censé, par définition, tout remettre en cause. Mais en quoi le Judas positif de cet évangile tardif serait-il plus historique que la figure traditionnelle ?

Nous pensons souvent que ceux qui vivaient avant nous, - ici, les Pères de l'Église - étaient victimes de leurs préjugés, sans voir ceux qui nous aveuglent. Or, si l'on compare la théologie véhiculée par la gnose et celle contenue dans le christianisme, on comprend immédiatement pour quelles raisons un chrétien aussi convaincu qu'Irénée de Lyon (130-202 après JC) tempêtait contre les gnostiques : ces derniers pensaient que le salut de l'âme, loin d'être accessible à tous les pécheurs, était réservé à un petit groupe d'élus qui devaient accéder en secret à la «Connaissance» grâce à un parcours initiatique très difficile où des paroles magiques étaient enseignées. Hormis ce groupe privilégié, le monde courrait à sa perte.

La gnose a connu de nombreux avatars à travers les âges: des disciples de Mani (fondateur du manichéisme, au IIIe siècle de notre ère) aux cathares albigeois du Moyen-Âge, des alchimistes aux dualistes. Au XXe siècle, le philosophe austro-américain Eric Voegelin et le théologien français Henri de Lubac ont mis en évidence dans leurs travaux les origines «gnostiques» des mouvements totalitaires modernes. Et les sectes et les sociétés secrètes à rites initiatiques, qui entourent de mystère et de magie leurs pratiques ésotériques réservées à un petit groupe d'élus, reproduisent peu ou prou jusqu'à nos jours, le schéma de fonctionnement des groupes gnostiques. Nous-mêmes, ne faisons-nous pas un peu de gnose sans le savoir, lorsque nous salivons par avance à l'idée d'être enfin «initiés» aux vraies «révélations» de cet «Évangile caché»?

Sophie Laurant, chef de rubrique au Monde de la Bible.
Publié ou mis à jour le : 2021-10-29 10:23:42
Francis (03-06-2017 17:21:12)

La présentation de la Gnose par Sophie Laurant est très sommaire et partiale.
La Gnose constitue aujourd'hui encore avec l'hermétisme et l'alchimie une des sources spirituelles traditionnelles de la Franc-Maçonnerie tant libérale que déiste, ainsi que pour d'autres sociétés initiatiques comme les Rose-Croix...
Le QSJ de Serge Hutin : "les gnostiques" constitue une bonne approche de cette source de connaissance (gnosis = connaissance, en grec). La plupart des gnoses qui ont existé dans l'Histoire transcendent la pensée binaire laquelle est souvent à l'origine du dogmatisme sous toutes ses formes ( religieux, politique, économique..) mais à chaque fois exclusif et persécuteur.

Pascal (13-07-2006 02:25:19)

Une réaction au courrier d''Hélène Bosello.
Selon cette personne, puisque les 4 évangiles canoniques ont été écrits tardivement, pourquoi ne pas admettre que ce texte qui serait de Judas puisse avoir la même valeur de témoignage, que cela contredise l'Eglise ou non.
Je voulais lui rappeler que si selon elle tout est à condamner dans l'inefficacité du christianisme à changer la nature de l'homme (ce qu'il n'a jamis prétendu faire, Jésus ayant été incarné pour racheter la nature pécheresse de l'homme amoindrie par le péché originel), par contre la science et l'histoire comparée ont permis d'affiner la compréhension scientifique des textes : Claude Tresmontant, le philosophe et exégète français a démontré à partir du texte hébreu d'origine, que les 4 évangiles canoniques ont été rédigés très tôt et sont plus des "reportages" que des témoignages de seconde, ou troisième main, voire la transcription de récits transmis oralement.
Les 4 évangiles ont été rédigés à partir de notes prises du vivant de Jésus. Leur authenticité réside dans cette contemporéanité par rapport aux évènements rapportés et dans cette antériorité à tous les autres pseudo évangiles, tardifs, écrits dans des langues tardives, et truffés de contradictions historiques, voire de contresens grossiers et d'anachronismes par rapport aux moments historiques qu'ils prétendent rapporter.
Ces pseudo-évangiles ont servi à la naissance de la gnose qu'ils ont nourrie dans ses différentes formes, mais ils ont influencé également Mahomet, qui reprend certains de leurs éléments lorsqu'il évoque Marie la mère de Jésus et Jésus lui même dans le Coran ou dans les enseignements rédigés par ses proches. Mahomet fut en effet en contact avec des courants hébraïsants et gnostiques et ceci explique bien des aspects de sa prédication, laquelle ne se rattache pas en cela aux textes bibliques authentiques du nouveau ou de l'ancien testament, et exclut donc l'Islam de cette définition erronée de "3ème religion du Livre"
Tout ceci traduit bien la totale hétérogénéité (au sens premier de ce mot) des évangiles apocriphes, dont celui de Judas, avec les faits rapportés par les 4 auteurs des évangiles canoniques, témoins directs et contemporains et rédacteurs immédiats de ces textes.
L'Eglise n'a rien à cacher ou à craindre de la science historique, et toutes les théories tendant depuis 2 siècles à amoindrir la véracité historique et la crédibilité des 4 Evangiles canoniques se sont effondrées devant la connaissance rationnelle et les découvertes qu'elle a permises.
Cela est logique, car depuis St Augustin et surtout St Thomas d'Aquin, la foi et la raison sont intimement liées, la Somme Théologique étant sur ce plan un immense traité de la connaissance logique de la foi, et une mise en forme des méthodes intellectuelles pour y parvenir.
Le meilleur livre sur Judas demeure encore le nouveau testament et ses 4 évangiles..........

Patrice (03-06-2006 08:15:01)

Je suis heureux de constater qu'en notre monde si facilement iconoclaste et avide de sensationnel il est encore des personnes sensées qui sachent repositionner le débat et mettre en lumière à la fois le réel intérêt historique d'une telle découverte, mais aussi dénoncer les inévitables débordements médiatiques qui ne servent certainement ni la vérité, ni l'avancée de la connaissance. C'est assez rare pour être signalé et salué.

Leandre (21-05-2006 19:48:58)

Bonjour, je viens réagir au message d'Hélène du 04-05-2006 09:13:48
Je viens lui rappeler qu'elle prétend dire qu'il n'est pas écrit dans la Bible de faire des representations de Dieu à travers les statues...... Elle devrait savoir que ses représentations ne sont pas adorées, c'est juste des signes pour aider les chrétiens, des balises. En plus, je pense que Dieu a créé tout homme avec un bon sens et une raison (pour ceux qui ne croient pas en l'existence de Dieu, je dirai plutôt que tout homme a raison et bon sens) d'où l'importance d'avoir un sens critique devant des choses, lorsqu'on éduque un enfant, même avec un manuel en main, on a recours au bon sens pour savoir ce qui est bon pour lui ou pas. D'où l'importance de concillier FOi et RAISON, jamais l'un sans l'autre, jamais l'une aliénées par l'autre.
Puisqu'elle semble bien être attachée à la Bible (pour justifier tout), je vais lui dire que si elle parcourt le livre de l'Exode, elle verra bien qu'après avoir été piqué par des serpents, Dieu demanda à Moise de fabriquer un serpent de bronze, et que toute personne qui regarderait vers cela serait guéri, voilà un exemple de représentation dans la bible.
Chez elle, il doit bien sûr y avoir des photos des personnes chères qui ne sont plus de ce monde, ces représentations permettent bien de se remémorer. Dans nos places, aujourd'hui on voit bien des monuments élevés en l'honneur des grandes personnalités, et c'est pas pour autant qu'on les adore.
je ne sais pas si avec mes explications les choses serait plus claires pour elle.....

Jacques (12-05-2006 20:09:46)

Je souhaiterais réagir à la réponse d'Hérodote concernant l'identification de l'évangile de Judas par le national geographic. Sans mettre bien sûr en cause le sérieux de cet organisme, ne faudrait-il pas attendre que d'autres savants se soient prononcés sur la question avant d'accorder crédit à ces conclusions?
Enfin, je me réjouis à lire les diverses interventions, de voir que le débat chrétiens-"païens" n'est pas tout à fait mort. Lorsque l'on peut lire que la chrétienté a illuminé l'occident, ce fut vrai à une période de son histoire mais pas constamment. Enfin, traiter d'âge barbare tout ce qui précède le christianisme, comme j'ai pu le lire sous la plume d'un intervenant, me semble procéder d'une méconnaissance profonde de ce que l'Antiquité préchrétienne peut avoir apporté: Homère, barbare? Platon, barbare? Aristote, barbare, pour n'avoir pas connu le Christ?
Il est temps de terminer ces appréciations ridicules qui ne grandissent ni la foi ni le christianisme. Les plus grands penseurs chrétiens: Origène, Augustin, Thomas d'Aquin n'auraient sans doute pas éclairé leur temps de la même manière s'ils n'avaient pas connu les auteurs anciens " des temps barbares"!
Enfin,il ne faudrait pas oublier qu'une forme de spiritualité a habité le monde gréco-romain "païen": dans la collection Arfuyen, il faut relire le très beau livre que Festugières, me semble-t-il a consacré à " Trois dévôts païens". Il s'agit de trois témoignages de prières "païennes" magnifiques. Prières concurrentes de celle des chrétiens sans doute parce que contemporaines de l'antiquité tardive mais pas forcément composées seulement " en réaction" pour montrer au christianisme que d'autres formes de spiritualité pouvaient exister. Elles étaient l'émanation d'une spiritualité concurrente sans doute mais pas sans orignalité!Le " paganisme" a connju aussi, malgré la concurrence du christianisme, malgré des faiblesses certaines, son chemin de lumière!

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