12 août 2009

Varsovie insurgée, Varsovie oubliée ?

Après avoir célébré les soixante-cinq ans du Débarquement de Normandie, le 6 juin dernier, l'année 2009 pavoisera ce 25 août aux couleurs de Paris libéré.

Autre tonalité à Varsovie où, le 1er août, à 17h, les sirènes ont retenti pour commémorer le déclenchement de l'insurrection d'août-octobre 1944 contre l'occupant nazi.

Venus, parfois de bien loin, à l'invitation du gouvernement polonais pour commémorer une fois encore cette tragédie, les derniers acteurs vivants du soulèvement ont vu la ville se figer et les passants de tous âges les applaudir. Après tant d'années, les vieillards au bras ceint, comme alors, du brassard blanc et rouge qui leur tenait lieu d'uniforme, ont revécu l'« heure W » : cet instant irréel où, pauvrement armés mais résolus à en finir avec les bourreaux hitlériens, ils s'étaient élancés à l'assaut des objectifs qui leur permettraient, espéraient-ils, de prendre le contrôle de la capitale à l'approche des troupes soviétiques. La Résistance n'avait-elle pas capté des appels répétés de Radio-Moscou pressant le « peuple frère » de prendre les armes et lui promettant le soutien imminent de l'Armée rouge ?

Cruelle duperie

Longtemps divisés sur l'opportunité d'une insurrection, les chefs de l'Armée de l'intérieur (AK) s'étaient ralliés à l'ambition optimiste de devancer de quelques jours l'entrée des Russes... en somme, de libérer Varsovie selon le scénario qui allait réussir à Paris trois semaines plus tard. Une idée folle ? Autant que celle que Rol-Tanguy, de Gaulle et Leclerc surent imposer aux Américains. À ceci près que les renforts salvateurs attendus par les patriotes polonais n'étaient pas de vieux frères d'armes, comme les soldats US pour les Français, mais un ennemi séculaire, devenu un implacable adversaire de classe depuis la guerre soviéto-polonaise de 1920 et un vainqueur criminel depuis l'invasion de la Pologne par l'Armée rouge en septembre 39, les déportations massives de civils et l'assassinat de milliers d'officiers et de fonctionnaires polonais à Katyn au printemps 40.

Comment le commandement de la plus grande armée de résistance au IIIe Reich put-il croire aux protestations de solidarité d'un tel partenaire, fort vagues au demeurant ? Candeur polonaise ou coup de poker ? Ce qui est sûr, c'est qu'après cinquante-huit mois de terreur nazie, de rafles, de déportations, de pendaisons, de fusillades quotidiennes, les premiers signes de la débâcle allemande, perçus fin juillet, avaient donné des ailes aux habitants de la capitale et donc aux militants d'une armée du peuple en symbiose avec toutes les couches de la nation.

Les chefs de l'AK crurent que cette donne politique favorable pouvait transformer la donne militaire. Leur calcul se révéla désastreux. Un moment déstabilisés, les Allemands dépêchèrent des renforts massifs tandis que les Russes, parvenus de l'autre côté de la Vistule, recevaient l'ordre d'attendre que les insurgés se fassent anéantir. Les aérodromes sous contrôle soviétique furent même fermés pour empêcher tout secours occidental.

Restés maîtres des faubourgs, les SS y accomplirent en représailles des horreurs rarement égalées dans l'histoire, rassemblant les civils dans les caves des immeubles et y mettant le feu, égorgeant ou mitraillant les malades et le personnel des hôpitaux : du 5 au 7 août, plus de 50.000 habitants du seul quartier de Wola furent ainsi massacrés. Sous un déluge de feu, les insurgés tinrent héroïquement pendant soixante-trois jours. Certains bastions ne s'étaient toujours pas rendus quand la capitulation fut ordonnée le 2 octobre. Les membres de l'AK furent emmenés en captivité en Allemagne. Quant aux civils, terrés depuis deux mois dans les caves, en proie à la faim, à la soif et aux épidémies, ils furent évacués manu militari et, pour nombre d'entre eux, déportés.

Entre l'oubli et l'ignorance

Le bilan de la bataille de Varsovie, entre 220.000 et 250.000 morts en deux mois et une capitale rasée à 85%, est l'un des plus lourds du second conflit mondial. Pourtant, cette tragédie a été effacée de la mémoire française, qui ne retient désormais de l'occupation nazie à Varsovie que le martyre du ghetto et le soulèvement de ses survivants en avril 43.

Un exemple : le célèbre film d'Andrzej Wajda, Kanal (1957), relatant l'agonie d'un détachement de l'AK contraint, fin septembre 44, de se replier dans les égouts, est récemment paru en DVD dans une version restaurée dont la jaquette explique qu'il s'agit du « soulèvement du ghetto » ! L'insurrection d'août-octobre 44 n'aurait-elle donc pas existé ? La trahison de Staline non plus ? Alors qu'en Pologne, le souvenir de la capitale insurgée, censuré jusqu'en 1989 par le régime communiste sous obédience soviétique, est honoré depuis le retour à la démocratie, on peut se demander pourquoi il continue chez nous à subir ce déni.

Élisabeth G. Sledziewski (Université de Strasbourg)

Elisabeth G. Sledziewski (IEP-Université de Strasbourg) est l'auteur de Varsovie 44, récit d'insurrection, Autrement, 2004.

Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14

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