Les Réformes ratées du président Sarkozy (Flammarion, mars 2009, 18 €) n'est pas un énième pamphlet contre le chef de l'État mais un authentique essai d'Histoire économique et sociale...
Dans une langue claire et élégante, accessible à tous, ce livre analyse les obstacles que doivent affronter les réformateurs, au gouvernement comme au Parlement, en France et à l'étranger, aujourd'hui comme hier.
Les auteurs, Pierre Cahuc, professeur à Polytechnique, et André Zylberberg, directeur de recherches au CNRS, s'affichent en vrais libéraux, version Siècle des Lumières.
Dédaigneux des formules à l'emporte-pièce, ils nous offrent un cours parfaitement argumenté dans la grande tradition intellectuelle française, héritée de Montesquieu et Tocqueville.
Nous sortons de cette lecture avec l'impression d'être devenus plus intelligents et en mesure de comprendre enfin les enjeux, les tenants et les aboutissants des débats qui se livrent au-dessus de nos têtes.
Pour nos auteurs, le premier obstacle que rencontrent les responsables politiques sur leur route est le contrepied, qui les conduit à un résultat à l'exact opposé de celui qu'ils escomptaient.
Ainsi de la carte SNCF Famille nombreuse que l'on a voulu supprimer par souci d'économie. Suite à une mobilisation des associations familiales, le Président a fait machine arrière et annoncé que cette carte serait rénovée et étendue à un plus grand nombre de bénéficiaires (avec une dépense publique accrue) !
Le contrepied n'est pas nouveau, notons-le. Sous la présidence de Jacques Chirac, un ministre avait tenté d'écorner l'abattement fiscal de 30% dont bénéficiaient les journalistes sans aucune espèce de justification. Les intéressés ayant protesté, on l'a remplacé par un abattement forfaitaire de 7650 euros encore plus avantageux.
En politique comme à la guerre, la charge de cavalerie est rarement payante. Jacques Attali l'a constaté avec son rapport : 300 décisions pour changer la France (janvier 2008), qui préconisait notamment d'en finir avec les professions réglementées, au premier rang desquelles les chauffeurs de taxis. La colère de ces derniers, relayée par les élus locaux de la majorité, a très vite eu raison du rapport. Les chauffeurs de taxis ont même réussi à grapiller quelques avantages supplémentaires (tarifs, détaxe du carburant).
Faut-il donc désespérer des responsables politiques ? Non, assurent Pierre Cahuc et André Zylberberg. Ils doivent simplement prendre le temps de réfléchir et négocier, plutôt que foncer tête baissée. Ainsi, à propos des taxis, « la disparition du numerus clausus peut être envisagée, mais elle doit être accompagnée d'une compensation financière équitable accordée à tout possesseur d'une licence... L'Irlande, dont la situation à la fin des années 1990 ressemblait beaucoup à celle de la France d'aujourd'hui, a procédé de la sorte » (page 98).
Moins visible que le contrepied mais plus dramatique apparaît la réforme en trompe-l'oeil. Nos deux économistes rangent dans cette catégorie les réformes qui favorisent des intérêts particuliers tout en semblant rejoindre l'intérêt général.
Ainsi, la réforme des régimes spéciaux de retraites (SNCF, RATP, EDF, GDF), menée au pas de charge à l'automne 2008, est passée après seulement neuf jours de grève mais ce fut au prix de substantielles compensations (primes, augmentations de salaires en fin de carrière), tant et si bien que le coût pour les finances publiques risque d'être plus élevé qu'il n'était dans l'ancienne configuration.
Une autre réforme en trompe-l'oeil est celle de la représentation syndicale. Pierre Cahuc et André Zylberberg brossent à ce propos un remarquable tableau du syndicalisme dans le monde. Ils opposent le « syndicalisme de servicev» de type scandinave, qui réserve les bénéfices de ses luttes à ses adhérents, d'où le fait que les salariés scandinaves sont massivement syndiqués, et le syndicalisme français qui, faute de pouvoir attirer des adhérents, subvient à ses besoins financiers par des compromissions douteuses.
Les réformes de 2008 n'ont pas remis en cause ce syndicalisme-là mais l'ont plutôt renforcé. Elles n'ont pas non plus remis à plat les procédures de licenciement.
Elles ont par contre ajouté une «vrupture conventionnelle » à l'usage des salariés qui souhaitent quitter leur employeur, dont tous les partenaires sociaux se sont félicités. Très avantageuse pour les salariés proches de la retraite et leurs employeurs, elle aura pour principale conséquence de généraliser le départ à la retraite des salariés dès 57 ans, avec l'équivalent d'une pension à taux plein et les conséquences désastreuses que l'on devine sur l'économie et les comptes sociaux.
La loi de modernisation de l'économie est un modèle de trompe-l'oeil. Prétextant la baisse des prix, elle renforce la collusion traditionnelle entre les sept groupes français de la grande distribution (Carrefour, Leclerc, Intermarché...) et les élus locaux, à nouveau habilités à autoriser de nouvelles ouvertures de magasins (comme sous la loi Royer). En ramenant de 1000 m2 à 300 m2 (comme sous la loi Raffarin) le seuil au-delà duquel une autorisation est obligatoire pour la création de magasins, elle contrarie par ailleurs les ouvertures d'enseignes concurrentes à bas prix (comme l'allemand Lidl...) dans les villes.
Cette péripétie rappelle les spéculateurs qui, au début du règne de Louis XVI, avaient réussi à faire croire au peuple que les mesures de Turgot pour libérer la circulation des grains allaient les affamer. Il en est résulté la « guerre des farines » et le renversement du ministre... pour le plus grand profit desdits spéculateurs.
Autre trompe-l'oeil, l'idée de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux parmi ceux qui partent à la retraite chaque année. Philippe Séguin, président de la Cour des Comptes (mort le 7 janvier 2010), y a très justement vu une prime à l'inefficacité : elle ne gêne nullement les chefs de service laxistes qui ont pléthore de personnel mais pénalise les chefs les plus scrupuleux, qui gèrent leur service au plus juste et sans dépense inutile.
Qui plus est, le non-remplacement d'un fonctionnaire peut être compensé par des contrats extérieurs, encore plus coûteux. Il fait l'impasse sur les seules réformes qui vaillent : les réformes de structure qui cernent les services et les dépenses inutiles (services pléthoriques des impôts, liés à l'excès de niches fiscales ; avantages faramineux de la fonction publique d'outre-mer...).
Parmi les réformes ratées du quinquennat, la plus emblématique pour nos auteurs est sans doute la défiscalisation des heures supplémentaires, en août 2007. Par un effet d'aubaine, elle aboutit à ce que des heures supplémentaires qui, dans les PME, étaient auparavant non déclarées mais rémunérées sous forme de primes sont désormais déclarées... et en partie financées par la collectivité !
À masse salariale constante, cette défiscalisation va logiquement pousser patrons et salariés à minorer la partie fixe des salaires (dans la limite des 35 heures) et maximiser les heures supplémentaires, fussent-elles virtuelles.
Du même type est la création du statut d'« auto-entrepreneur », avec des formalités simplifiées pour les créateurs d'entreprise. Pour les chômeurs qui désirent se mettre à leur compte, ce statut offre quelques avantages mais n'en débouche pas moins sur une baisse de leurs allocations... L'avantage est beaucoup plus évident pour les employeurs car il leur permet de rémunérer des prestataires avec des charges sociales allégées (environ 20% au lieu de 40%). Ainsi, plutôt que de verser des primes ou des augmentations de salaires à leurs salariés, ils peuvent demander à ceux-ci de s'inscrire comme auto-entrepreneurs et les rémunérer en tout ou partie par ce biais. Tout le monde est gagnant sauf les comptes sociaux.
Selon les auteurs, des lois comme la défiscalisation des heures supplémentaires, si néfastes soient-elles, seront hélas très difficiles à remettre en cause, à l'image de la loi sur les portes et fenêtres. Cette loi de 1798 eut pour effet, en taxant les ouvertures, de dissuader les pauvres d'aérer leur logis, au détriment de leur bien-être et de leur santé ; elle ne fut pourtant abolie qu'en 1926.
« Tous ceux dont les intérêts pouvaient être menacés par les projets annoncés de Nicolas Sarkozy ont vite compris que le gouvernement était prêt à concéder beaucoup pour que les réformes se "réalisent". Ils savaient dès lors que des arrangements leur permettant même d' améliorer leurs situations étaient possibles », écrivent Pierre Cahuc et André Zylberberg en manière d'épilogue.
Faut-il en conclure que la France serait « irréformable » ? Pas le moins du monde. C'est que simplement le Président « a eu tort de ne pas admettre qu'il faut changer au préalable notre démocratie sociale et notre démocratie politique pour avoir des chances de mener à bien des réformes d'envergure dans le domaine économique et social », sans risque d'être piégé par les groupes de pression et les catégories particulières.
La première de ces réformes est l'interdiction du cumul des mandats, une exception française qui semble conduire les parlementaires à négliger leur travail législatif au profit de leur mandat local. Pour Guy Carcassonne, spécialiste du droit constitutionnel, cité par les auteurs, « la suppression du cumul des mandats pour les députés n'est pas une réforme parmi les autres. En l'état de nos institutions, elle est la mère de toutes les autres »... À vrai dire, on s'apercevra après que François Hollande, successeur de Nicolas Sarkozy, aura mis fin au cumul des mandats que celui-ci avait aussi l'avantage d'amener au Parlement des élus de terrain expérimentés, proches des citoyens et bien au fait de leurs aspirations.
Nul doute que Tocqueville et Montesquieu eussent savouré ce type de débat...
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