Heydrich et la Solution finale

La Solution finale décryptée à travers son architecte

Après une première recherche sur les origines de la Solution finale («Nous pouvons vivre sans les Juifs»), Édouard Husson, maître de conférences à la Sorbonne (Paris) et spécialiste de l'histoire allemande, nous livre un remarquable travail d'enquête sous l'apparence d'une biographie : Heydrich et la Solution finale (Perrin, août 2008, 490 pages, 25 euros)

Heydrich et la Solution finale

Cet essai remarquable n'est pas une biographie en dépit des apparences mais plutôt une analyse fouillée de la genèse de la « Solution finale » à travers celui qui fut sans doute l'architecte et l'initiateur, Reinhard Heydrich.

L'ouvrage se lit à plusieurs niveaux :
- Il y a d'abord le fond, constitué par l'étude scrupuleuse des textes et des déclarations des nazis dans la période fatidique 1939-1942 durant laquelle prit forme la « Solution finale de la question juive ».
- Il y a aussi la préface de l'historien du nazisme Ian Kershaw et la postface de Jean-Paul Bled qui remettent en perspective les travaux d'Édouard Husson.
- La biographie proprement dite de Reinhard Heydrich (1904-1942) tient en quelques pages, au début et dans un épilogue, à la fin de l'ouvrage.
- Le lecteur dispose enfin d'un appareil de notes très complet et d'annexes instructives, incluant la traduction en français du compte-rendu de la mémorable « conférence de Wannsee ».

On aura compris qu'il ne s'agit pas d'un livre destiné à un public de collégiens ou à des après-midis sur la plage mais bien plutôt d'un ouvrage de fond, appelé à faire référence dans le débat sur les origines et le fonctionnement du génocide.

Portrait d'un monstre au sang froid

Édouard Husson, on le conçoit, n'a pas de goût à parler de Heydrich, sinon pour souligner que rien dans son enfance ne permet d'entrevoir un monstre en gestation. Son frère, d'ailleurs, a suivi un parcours très différent : nazi de convenance, il se suicide en 1944 pour échapper à une enquête de la Gestapo après qu'il eut porté assistance à des prisonniers soviétiques !...

Fils d'un directeur de conservatoire de musique, Heydrich est bouleversé comme la plupart des jeunes Allemands par la défaite de 1918 et entre dans la marine comme officier. Il en est chassé pour mauvaise conduite en 1931 et rejoint alors la Schutzstaffel, le corps d'élite du parti nazi. Le chef des SS, le Reichsführer Heinrich Himmler, séduit par son physique aryen et son intelligence synthétique, lui confie l'organisation d'un service interne de sécurité (Sicherheitsdienst). Il deviendra le fer de lance de la conquête du pouvoir.

Promu à la veille de la guerre à la tête de l'Office central de sécurité du Reich (RSHA), incluant la police criminelle et la Gestapo, Heydrich n'est plus seulement le bras droit de Himmler mais sans doute aussi le personnage le plus puissant de l'Allemagne nazie après Hitler. C'est alors qu'il conçoit le projet d'extermination physique des Juifs d'Europe. Nommé « Protecteur du Reich » de Bohême-Moravie le 27 septembre 1941, en plus de ses autres fonctions, il est grièvement blessé par des résistants tchèques parachutés de Londres, le 27 mai 1942. Sa mort, le 4 juin suivant, est le premier coup dur qu'ait à encaisser l'État nazi.

La lente germination du projet génocidaire

Deux écoles se sont longtemps opposées parmi les historiens appliqués à décrypter le cheminement qui a conduit au plus épouvantable crime de l'histoire occidentale :

- Les « intentionnalistes » pour lesquels les chefs nazis et en particulier Hitler avaient projeté l'extermination systématique des Juifs d'Europe bien avant la Seconde Guerre mondiale et peut-être même dans les années 20, au moment de la rédaction de Mein Kampf, même si le bréviaire nazi ne contient aucune référence explicite à pareil projet.

- Les « fonctionnalistes » ou « structuralistes » pour lesquels les nazis n'avaient au départ « que » le projet de chasser les Juifs d'Allemagne mais cette perspective ayant échoué avec la guerre et la résistance inattendue de l'Angleterre, ils se sont rabattus sur l'idée de concentrer les Juifs allemands ainsi que les Juifs bien plus nombreux de Pologne dans des ghettos et des camps de travail où ils seraient conduits à mourir à petit feu ! De là à l'extermination méthodique, telle qu'elle sera organisée à Wannsee, il n'y a qu'un pas, vite franchi après l'invasion de l'URSS et les fusillades de civils par les escadrons SS à l'arrière des troupes allemandes.

Édouard Husson croit pouvoir affirmer que cette opposition est désormais caduque, chacun s'accordant sur le fait que la décision d'une extermination systématique n'a été prise par Hitler qu'aux alentours de novembre 1941, au plus fort de la guerre, mais qu'elle était contenue en germe dans les décisions antérieures de lui-même ou de ses subordonnés qui tous, « travaillaient dans le sens de la volonté du Führer » : gazage des handicapés allemands, massacre des civils polonais après l'attaque de ce pays, projet d'un grand ghetto à Madagascar (!) où les Juifs allemands auraient été condamnés à une mort lente, constitution des premiers ghettos et des camps de travail forcés... On sait par ailleurs que Hitler avait en tête semblable projet dès 1939 comme l'indique sa tristement fameuse « prophétie » du 30 janvier 1939 sur « l'anéantissement de la race juive en Europe ».

Édouard Husson introduit dans le débat un élément nouveau, à savoir des lettres de Heydrich qui remontent à la mi-1940 ou début 1941 et montrent que dès ce moment-là le chef de la Sécurité avait en tête le projet génocidaire. Ainsi écrit-il à cette époque-là dans une lettre citée par l'historien : « Au cours de la solution finale, les Juifs de l'Est devront être mobilisés pour le travail avec l'encadrement voulu. En grandes colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail seront amenés à construire des routes dans ces territoires , ce qui permettra une diminution substantielle de leur nombre.
Pour finir, il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de ceux qui resteront, car il s'agira évidemment des éléments les plus résistants... »
. C'est presque au mot près le compte-rendu de la conférence de Wannsee, elle-même supervisée par Heydrich un an plus tard !

Il va sans dire que l'on sort mal à l'aise d'une pareille plongée au tréfonds de l'homme dans ce qu'il a de plus noir. Cette épreuve n'en est pas moins indispensable pour comprendre comment des êtres a priori ordinaires ont pu en arriver là.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14
Marie-Elisabeth Mondon (14-03-2009 14:21:41)

J'ai lu la biographie d'Heydrich écrite par Charles Wighton édition de 1962.Intéressante pour tenter de comprendre comment le destin d'un être humain peut devenir aussi noir.Le début de sa vie est plutôt harmonieux,baignant dans une atmosphère musicale,recevant une excellente éducation.Comment un homme intelligent,raffiné et cultivé peut projeter l'anéantissement de ses semblables sans état d'âme ni remord? Heydrich est glaçant car sa cruauté est froide et sans passion et cet aspesct de l'esprit humain est terrifiant.

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