26 septembre 2007

Le modèle colombien de développement et de lutte contre la violence

Ce texte de Gérard-François Dumont est paru dans Outre Terre, revue française de géopolitique, n° 18.

À l’occasion de conférences en Colombie, à Bogota (environ 8 millions d’habitants) et Cali (environ 2,5 millions d’habitants, je découvre combien l’Europe, et plus particulièrement la France, sont mal informées sur ce pays.

Un héritage de violence

D’une part, on peut voir, partout en France, de grandes photos représentant Ingrid Betancourt, enlevée par la guérilla des FARC (Forces armées révolutionnaires colombiennes) le 23 février 2002 [libérée le 3 juillet 2008]. D’autre part, affectant de bien connaître la Colombie, des journalistes me demandent sur un ton pince-sans-rire de leur rapporter de la cocaïne.

Plus généralement, les médias restent à l’affût de tout événement qui pourrait laisser penser que la libération d’Ingrid Betancourt serait prochaine. Ils évoquent avec sympathie l’action de certains Français dans une opération aéroportée ayant utilisé, a priori sans autorisation, le territoire brésilien, bien que son «succès» ait été l’égal de celle contre le Rainbow Warrior (1985) dans le port d’Auckland. Les démarches du président vénézuélien Chávez concernant Ingrid Betancourt sont davantage rapportées que l’évolution dictatoriale de son régime le conduisant à considérer tout opposant comme «fasciste».

La troisième information qui ponctue mon départ en Colombie vient de l’ancien mari d’Ingrid Betancourt, qui rend hommage au président Chávez, mais déclare en revanche que la Colombie serait dirigée par un président «d’extrême droite», Monsieur Uribe, avec toutes les conséquences dommageables que cela signifierait pour les libertés. Cette information est celle des trois qui sollicite le plus mon esprit critique, à l’heure où Chávez souhaite imposer au Venezuela un bouleversement constitutionnel lui permettant notamment d’être toujours reconduit dans ses fonctions, alors que M. Uribe n’a demandé aucune réforme institutionnelle qui supprimerait la limitation à deux mandats de 6 ans dans son propre pays.

En outre, à la même époque de cet été 2007, les médias annoncent qu’une personne accuse le président Uribe d’avoir été, il y a plusieurs années, en très étroite relation avec certains narco-trafiquants. Comme aucune preuve n’est apportée à une telle affirmation et que jamais la lutte du gouvernement colombien contre les narcotrafiquants n’a été aussi intense que depuis le Président Uribe, cette accusation semble conforme à la fameuse méthode : «Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose».

Par ailleurs, la connaissance livresque de la Colombie permet de savoir que l’histoire de ce pays, indépendant depuis 1819, n’a pas été un lit de roses et qu’elle compte nombre d’épisodes tragiques marqués par d’importantes violences. Mais les années 2000 doivent-elles être classées parmi les pires périodes de l’histoire colombienne ?

Une victoire de la Colombie sur le Venezuela

Dans la lutte contre la pauvreté, le Venezuela, riche de son pétrole, a tous les atouts en main face à la Colombie voisine, minée par plusieurs conflits civils, comme celui des Farc, qui obèrent la sécurité propice au développement. Or, les dernières statistiques de la Fao (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) montrent des résultats très différents en ce qui concerne l’évolution comparée de la sous-alimentation dans les deux pays :

  personnes sous-alimentées (en millions) % de personnes sous-alimentées dans la population totale
  1990-1992 2001-2003 1990-1992 2001-2003
Colombie 6,1 5,9 17% 14%
Venezuela 2,3 4,5 11% 18%

Soulignons un autre renversement de tendance en ce qui concerne la sécurité. En dix ans, de 1997 à 2007, la violence en Colombie a diminué de moitié et Medellin est devenue deux fois plus sûre que... Caracas (chiffres de l'UNICEF, Le Monde, 10 juillet 2008). Cette dernière, devenue plaque tournante du trafic mondial de cocaïne, enregistre 166 homicides pour 100.000 habitants.

Dans l'ensemble du Venezuela, le taux d'homicides a presque doublé depuis l'arrivée de Hugo Chavez en 1999. En 2007, avec 13.000 homicides, soit 48 pour 100.000 habitants, le pays arrive en tête du palmarès mondial de la violence, reléguant la Colombie à la deuxième place (37 pour 100.000)... À titre de comparaison, la Grande-Bretagne est très loin avec 2 homicides pour 100.000 habitants.

Des avancées contre l’insécurité

Ce que l’on voit en Colombie – et que de nombreuses photos peuvent attester –, ce dont on peut débattre dans ce pays libre, ce qui se dégage de discussions conduites dans toutes les catégories sociales, allant par exemple d’un recteur d’université à de jeunes analphabètes, conduit sans aucune hésitation à répondre négativement à cette question.

Les années 2000, si les progrès actuels se poursuivent jusqu’à la fin de la décennie puis au-delà, pourront être jugées non seulement comme les meilleures du pays, mais aussi comme celles qui auront marqué des avancées majeures.

Certes, les difficultés sont nombreuses. Les FARC occupent militairement une proportion non négligeable du territoire, malgré l’absence de soutien populaire. Il en résulte de nouveaux habitants pour les bidonvilles, avec ces Colombiens qui fuient la violence des FARC et cherchent refuge dans les grandes agglomérations. Des groupes de paramilitaires, qui se nourrissent de rackets ou d’enlèvements, continuent à sévir. Les narcotrafiquants dirigent un secteur économique toujours florissant. La question de la sécurité se constate aussi dans les contrastes entre des quartiers pauvres et, surtout en zone paraurbanisée, des quartiers protégés pour les classes moyennes qui ont réussi.

Mais le gouvernement colombien est parvenu à augmenter la superficie des territoires pacifiés. Ainsi se développe un tourisme rural dans la région de la vallée du Cauca, auparavant entièrement zone d’insécurité. Les efforts pour reconvertir des paramilitaires à la vie civile, permettant ainsi de libérer des quartiers qui étaient sous leur coupe, obtiennent des résultats, insuffisants, mais réels. Outre le déploiement d’une police protectrice, des mesures pratiques astucieuses, concernant les motos ou les très nombreux taxis, améliorent la sécurité. La lutte contre les narcotrafiquants obtient certains résultats comme l’attestent des arrestations de «gros bonnets». Le nombre des candidats aux élections municipales de 2007, tués par les FARC ou les paramilitaires qui veulent empêcher la démocratie, est en diminution par rapport aux précédentes élections.

Les libertés et l’implication de la société civile

La liberté politique offre aux 32 départements, dont le gouverneur est élu, comme aux 1098 municipalités, dont le maire est aussi élu, l’occasion d’œuvrer pour le développement local, même si la corruption n’est pas totalement enrayée. La liberté d’association ou de fondations se constate dans l’ouverture d’écoles «privées», c’est-à-dire d’écoles pour les plus pauvres, y compris dans les quartiers les plus défavorisés, à l’exemple de cette école qui apprend à ses collégiens d’abord à faire du pain, pour la nourriture de la famille, avant de les alphabétiser.

Elle se constate aussi dans la création de centres sociaux associatifs pour les orphelins, de centres de formation et de production pour des femmes, de centres d’appel aidant à la lutte contre la violence, de centres de formation intégrée situés dans des quartiers défavorisés débouchant directement sur des emplois. D’autres mesures visent, contrairement à ce qui existe dans nombre de pays du Sud, à encourager l’investissement provenant de revenus perçus à l’étranger, en Espagne ou aux États-Unis principalement, par des émigrants colombiens temporaires ou durables.

Au total, le développement de la Colombie est incontestable, qu’il s’agisse de l’amélioration des logements ou du développement commercial dans des quartiers auparavant entièrement déshérités, de l’amélioration des logements avec des phénomènes d’émulation entre les anciens pauvres, des transports urbains, avec l’installation d’un réseau de bus en site propre à Bogota ou à Cali, de la modernisation des aéroports, du développement de l’offre touristique… Il faut ajouter l’existence d’universités de haut niveau ou une offre médicale dont la qualité attire des ressortissants des États-Unis pour un séjour le temps d’une opération et d’une convalescence.

La Colombie donne le sentiment d’une mobilisation de la société civile et d’une volonté d’innovation économique et sociale favorisées par les autorités politiques.

Le troisième pays d’Amérique latine par le nombre d’habitants, après le Brésil et le Mexique, enregistre donc d’incontestables progrès, malgré les sommes budgétaires importantes qu’il est obligé de consacrer à l’armée et à la police. Il ne faudrait pas que cette réalité soit masquée par les aspects négatifs dont souffrent les Colombiens. Car ce grand pays a besoin aussi de soutien et de la reconnaissance internationale pour continuer à améliorer sa sécurité et son développement, qui sont d’ailleurs des termes liés.

Gérard-François Dumont
Publié ou mis à jour le : 2020-05-09 11:37:09
Jean-Pierre Dubois (07-07-2008 18:23:04)

Que la Colombie détienne le record mondial d'assassinats de syndicalistes par des groupements para-officiels et patronaux (voir les rapports annuels de la Confédération internationale des syndicats) a échappé à M.Dumont. Cela lui aurait permis de compléter le tableau élogieux qu'il décerne au régime de M.Uribe.
Pour M.Chavez,il aurait été honnête de rappeler qu'il a déja été victime d'une tentative de coup d'Etat de ses adversaires. Ce qui donne une certaine crédibilité à ses accusations de fascistes à leur encontre.


Herodote.net répond :
Les assassinats de syndicalistes sont une réalité en Colombie... sans qu'il s'agisse hélas d'un record mondial.
En ce qui concerne Chavez, le fait d'avoir été victime d'une tentative d'assassinat (comme un grand nombre d'autres chefs d'Etat) ne l'autorise pas à ranger ses adversaires dans le camp fasciste...

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