Villarceaux

Le repos de Ninon

Le domaine de Villarceaux, à 80 km à l'ouest de Paris, est l'un des plus beaux sites de l'Île-de-France, l'un des plus méconnus aussi.

Il entretient dans son manoir Renaissance le souvenir de Ninon de Lenclos, célèbre courtisane du Grand Siècle, qui y vécut trois ans avec son amant, Louis de Mornay.

Villarceaux se love dans les collines boisées du parc naturel régional du Vexin français, sur la commune de Chaussy. Au Moyen Âge, au XIIe siècle, l'autorité du roi de France s'arrêtait là, sur les bords de l'Epte, petit affluent de la Seine. Au-delà commençait le Vexin normand, sous l'autorité du duc de Normandie, par ailleurs roi d'Angleterre. Un chapelet de places fortifiées gardait cette frontière. Les plus importantes étaient Gisors, au nord, La Roche-Guyon, au centre, et, au sud, au-dessus de la Seine, Château-Gaillard. Ambleville et Villarceaux venaient en appui de La Roche-Guyon.

André Larané

Délices de la Renaissance

Le roi Louis VII le Jeune établit en 1160, près de la garnison de Villarceaux, un couvent de bénédictines, Sainte Marie-Madeleine. Il subsistera cahin-caha jusqu'à la Révolution avant d'être racheté comme bien national par Joseph Lakanal, député à la Convention. Il créera les «écoles communales» en 1795 mais devra s'exiler aux États-Unis en 1815 en tant que régicide, pour avoir voté la mort de Louis XVI. Aujourd'hui ne subsiste plus que la maison de la prieure, transformée en club-house pour le golf voisin.

La seigneurie de Villarceaux apparaît au XIIIe siècle. Comme il est d'usage à l'époque, elle vit en quasi-autarcie grâce à ses ressources tirées de la forêt proche, des champs, des potagers et des rivières et étangs.

François de Mornay, qui en hérite au XVIe siècle, construit à côté de la forteresse médiévale un vaste manoir confortable dans l'esprit de la Renaissance italienne, agrémenté de jardins en terrasses, miroirs d'eaux, fontaines et cascades. Il développe la pisciculture dans les vastes bassins au pied du manoir. L'activité est très profitable du fait de l'obligation religieuse de «faire maigre» (manger du poisson au lieu de viande) de nombreux jours de l'année. Il élève des chevaux et également des chiens pour la chasse au renard et au lièvre, à partir de races importées d'Angleterre, et les revend à la cour de France.

François de Mornay, bon catholique, a un cousin, Philippe de Duplessis-Mornay, qui a choisi le camp de la Réforme. Son influence intellectuelle lui vaut le surnom de «Pape des huguenots». Obligé de fuir Paris lors de la Saint-Barthélemy, il se réfugie à Villarceaux. Quand la troupe vient perquisitionner le domaine, elle est en peine de le trouver car son cousin l'a obligeamment caché dans un placard à double fond. On peut encore voir cette cachette dans le boudoir qui sert de bureau au seigneur du lieu.

Le manoir de Ninon

Au XVIIe siècle, Louis de Mornay devient capitaine de la meute du roi. Louis XIV, en reconnaissance des services rendus, élève sa terre de Villarceaux au rang de marquisat. En 1651, le séduisant marquis, coqueluche de la «jet-set» parisienne, tombe sous le charme de Ninon de Lenclos, une courtisane à la réputation sulfureuse. Celle-ci, une fois n'est pas coutume, s'attache à son amant.

Tous les deux vont cacher leurs amours sous les frondaisons de Villarceaux, loin des puanteurs et des vilenies parisiennes (on est en pleine Fronde et l'on meurt assez facilement en ce temps-là).

Ninon dispose d'un beau logis au-dessus des jardins et des bassins, au moins dans les moments où l'épouse légitime de Louis de Mornay se tient à distance ! Lorsque cette dernière, soupçonnant «baleine sous gravier» (une expression de l'époque), se rend à Villarceaux, Ninon emprunte en calèche un souterrain qui la mène vers le château voisin, à Ambleville.

On peut encore admirer à Villarceaux les boiseries et les lambris du logis de Ninon. D'aspect confortable, sans luxe tapageur, le manoir de Ninon est couvert de lambris peints. Un plafond en trompe-l'oeil décore le boudoir, à l'arrière de la chambre à coucher.

Surprenante Françoise

Louis de Mornay, peu après sa séparation d'avec Ninon, s'éprend de Françoise d'Aubigné, épouse du poète Paul Scarron et animatrice d'un salon parisien réputé.

Elle sera plus tard marquise de Maintenon et épousera Louis XIV. Faute d'arriver à ses fins, le marquis de Villarceaux se console en faisant peindre d'imagination son portrait nu.

Ce tableau est l'une des aimables surprises que réserve la visite du domaine.

Il trône aujourd'hui dans le château du haut à côté de quelques natures mortes à clef du XVIIe siècle (les amateurs s'amuseront à discerner dans ces natures mortes les significations religieuses que leur donnaient les contemporains de Ninon !).

Harmonie des Lumières

Au XVIIIe siècle, le domaine de Villarceaux couvre au total plusieurs centaines d'hectares et occupe environ 4.000 personnes ! Il passe par héritage à Charles du Tillet, marquis de La Bussière. Celui-ci fait raser la forteresse médiévale mais conserve un pan du donjon, histoire de rêver au temps qui passe.

En 1755, l'architecte Jean-Baptiste Courtonne construit sur le plateau, au-dessus du vallon et du manoir Renaissance, le château dit «du Haut». C'est une belle et sobre demeure, dans le goût rocaille caractéristique du règne de Louis XV, comme on en voit encore à Paris. On peut aujourd'hui flâner dans ce château, au milieu de son mobilier d'origine, décoré de toiles et dessus-de-porte élégants. Ses fenêtres ménagent une vue paradisiaque sur le domaine et les collines immaculées du Vexin.

Un «vertugadin», autrement dit un escalier monumental agrémenté de pelouses et statues, fait la liaison entre le château du Haut et les jardins et bassins du vallon. La mise en scène est spectaculaire. Chaque point de l'immense domaine offre au regard une vue unique sur les bassins, les jardins, les terrasses, les différents châteaux et les collines du Vexin. L'harmonie du paysage bénéficie du calme irénique de la contrée, privilège rarissime en ce XXIe siècle.

Le château du haut et son vertugadin, à Villarceaux (Chaussy)

Ouvert à tous

Après bien des vicissitudes, le domaine de Villarceaux est entré en 1989 dans le giron du Conseil Régional de l'Île-de-France, à travers un bail emphytéotique de 99 ans. Thierry Labussière, conservateur en chef depuis 2002, lui a rendu son ancienne splendeur en restaurant le manoir et le château du Haut et en restituant à ce dernier une partie de son mobilier d'origine. Il a aussi réaménagé les jardins avec des pratiques respectueuses de l'environnement. Il a recréé un «jardin sur l'eau» dans le goût italien, avec ses parterres de buis, et un jardin monastique de plantes aromatiques et médicinales.

Villarceaux est désormais ouvert au public. L'entrée est libre et gratuite mais les visites se font sous la conduite d'un guide-conférencier. De nombreuses manifestations sont organisées au cours de l'année, autour de l'art des jardins, de la musique baroque etc.

[renseignements pratiques]

Publié ou mis à jour le : 2018-12-03 17:42:41

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