5 janvier 2025. Arrêté à l'aéroport d'Alger, le 16 novembre 2024, Boualem Sansal entre dans la nouvelle année derrière des verrous dans l'attente d'un procès dont on peut beaucoup redouter. Les accusations outrancières et ridicules préparent en général mal à des verdicts équitables, s’indigne Michel Pierre, spécialiste de l’histoire de l’Algérie et bon connaisseur de l’œuvre de cet écrivain franco-algérien…
Boualem Sansal a été honoré en 2014 par plusieurs prix littéraires dont le Grand Prix du roman de l’Académie française pour son livre 2084, la fin d’un monde (Gallimard). Il est devenu l'un des personnages de ses propres romans confronté à un pouvoir opaque engendré par un système peu enclin à l'indépendance d'esprit.
Certes, il a écrit dans Rue Darwin que « pour des hommes et des femmes libres, le mot prison ne signifie pas grand-chose ». Et nul ne doute que Boualem soit un homme de toutes les libertés, celle d'affronter la pesanteur islamiste qui a saisi son pays après l'avoir ensanglantée, celle de dénoncer les galonnés qui apparaissent dans les cérémonies officielles comme de véritables caricatures d'eux-mêmes et celle de rire des « limites du pire » dans un « pays condamné au malheur » comme il l'a également écrit.
Écrivain majeur de notre siècle, Boualem Sansal est de la lignée des grands auteurs sud-américains, de Garcia Marquez à Pablo Neruda, d'Alejo Carpentier à Vargas Llosa. Son œuvre a l'ampleur des grand récits universels finalement rares à l'échelle mondiale. Au lieu de tirer orgueil de ce rang dans la galaxie des lettres, un pouvoir inculte et paranoïaque lui passe les menottes avec l'aval de tous ceux qui juge sa liberté de pensée, de parole et d'écriture attentatoire à l'image qu'ils se font d'une Algérie fantasmée.
Le plus effarant est de voir qu'en France, il se trouve des « intellectuels » pour entonner le leitmotiv pathétique du « Oui, mais ». Certes ce n'est pas bien de mettre un écrivain en prison mais pourquoi donc Boualem Sansal tient-il des propos hétérodoxes relayés de plus par des médias associés aux couleurs de toutes les droites françaises ? Il en devient suspect, surtout pour ceux qui n'ont jamais ouvert l'un de ses livres et juge par vanité selon une sottise qui s'ignore.
Que s'est-t-il donc passé pour que la gauche française qui aurait dû se ranger massivement dans le combat pour la libération immédiate de Boualem Sansal soit devenue, pour une part trop importante de ses responsables, frileuse et timorée ? Qu'est-il arrivé depuis quelques décennies pour qu'un certain nombre de valeurs historiquement liées à cette même gauche se soit retrouvées brandies par d'autres ? La bigoterie islamique partout présente dans l'Algérie d'aujourd'hui serait donc moins critiquable que celle du catholicisme embourgeoisé dans la France du XIXe siècle ?
Les dirigeants d'Alger doivent-ils être associés à une certaine idée de la démocratie ? La misère culturelle d'une Algérie officielle qui se complait dans le folklorisme, ignore la création contemporaine tout en protégeant mal son patrimoine doit-elle faire l'objet d'une condescendance bienveillante ? Considérer qu'il peut exister autre chose comme modèles patriotico-religieux pour un pays indépendant depuis plus de soixante ans que la mosquée et le stade serait-il nécocolonial ?
Tout cela est insupportable. Boualem Sansal est en prison et ce n'est pas une affaire algérienne. C'est un fait majeur de liberté d'expression à l'échelle mondiale et qui confirme que l'Algérie a bien son nom dans la longue liste des pays incapables de la respecter.
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Jonas (06-01-2025 16:32:13)
La gauche islamisée ne peut soutenir l'admirable et courageux Boualem Sansal sans se trahir car Il y a bien des décennies qu'elle a choisi d'être du côté des régimes totalitaires , aussi bien en Amérique latine, Cuba, Venezuela, en Asie la Chine qui massacre pourtant les Ouïgours musulmans. Son silence sur les expulsions et les souffrances des 800 000 Rhohingyas , eux-aussi musulmans. Aucun mot sur les femmes Afghanes et iraniennes. Pour la gauche islamisée , les seules musulmans dignes de bienveillance, sont ceux qui ont fui leur pays et qui vivent 100 fois mieux en Occident que dans les pays chers a la gauche islamisée.
Elisabeth Mailley (05-01-2025 18:15:06)
Excellent article !
L'arrestation de Boualem Sansal est un scandale et le silence (ou les "oui mais") d'une grande partie de la gauche française en est un autre.
La France n'a-t-elle vraiment aucun moyen de s'affirmer face au gouvernement algérien pour exiger la libération de cet homme merveilleux ?
MIRANDON Michel (05-01-2025 17:43:12)
Un grand merci à Michel PIERRE pour son plaidoyer en faveur de Boualem SANSAL. Son texte court et incisif, d'une clarté et d'une lucidité imparables, disent ce qui doit être dit, aussi bien du régime algérien et de ses dirigeants que de la pitoyable "gauche" française.
J'ai rencontré Boualem SANSAL, dans ma librairie de quartier, après la publication de "2084, la fin du monde" (j'avais lu "Harraga" et "Le village de l'allemand", deux romans intelligents qui m'avaient interpellé). J'avais été séduit par son humour et sa douceur, mais aussi par son absence de langue de bois : je me souviens qu'il avait choqué plusieurs spectateurs d'origine algérienne en "osant" affirmer que Boumedienne, encore encensé de nos jours sur les deux rives de la Méditerranée, avait été un horrible dictateur - ce que j'ai toujours cru, personnellement.
Par intérêt personnel et pour le travail documentaire lié à l'écriture d'un roman, j'ai acheté (sur les conseils d'Hérodote.net) et dévoré "Histoire de l'Algérie" de Michel PIERRE, un ouvrage de référence remarquablement précis et superbement écrit, qui se lit comme un roman.
Je viens de lire avec le même intérêt le petit ouvrage qui le complète, édité chez Hérodote.net "Algérie, indépendance sourcilleuse et démocratie à la peine", où l'auteur fait défiler de façon claire les six décennies écoulées depuis 1962, nous remettant en mémoire une série d'étapes et d'"événements" (ainsi que les dirigeants français qualifiaient la guerre d'Algérie) marquants que nous sommes nombreux, en France et en Algérie, à avoir oubliés. Un livre d'intérêt public.
Avec toute ma reconnaissance et ma sympathie, Michel Mirandon
Bernard (05-01-2025 16:05:53)
Je conseille à tous "Le serment des barbares". Une langue riche et sans concessions qui effectivement, évoque Garcia Marquez. On comprend qu'elle irrite le microcosme vert-kaki qui règne en Algérie. De plus, acheter son livre, c'est déjà soutenir Boualem Sansal.
Hugo Alain (05-01-2025 15:34:59)
Merci de cet éclairage.
Seriez vous d'accord pour que je re publie votre article sur une page dédiée sur notre site https://www.en06.fr.
Comme par exemple l'article sur Paul Watson à https://www.en06.fr/Paul-Watson. Html
Je comprendrai et respecterai votre décision.
Excellente journée.
Alain.
BOUYSSOU (05-01-2025 15:29:33)
Merci pour cette belle mise au point.
Il faut rajouter le silence incompréhensible de Mr Macron.
Depuis 1962, une petite clique a mis la main sur cette belle région après avoir minutieusement égorgé ses opposants y compris musulmans.
Mr Macron, par pitié, sauvez l'honneur de la France, allez chercher Boualem Sansal !
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Elisabeth Mailley (05-01-2025 15:20:18)
Excellent article !
L'arrestation de Boualem Sansal est un scandale et le silence (ou les "oui mais") d'une grande partie de la gauche française en est un autre.
La France n'a-t-elle vraiment aucun moyen de s'affirmer face au gouvernement algérien pour exiger la libération de cet homme merveilleux ?