6 octobre 2024 : sous la grande verrière du Grand Palais, la photo de famille a belle allure avec plus de 50 chefs d’État et de gouvernements. Pour la première fois depuis 33 ans, la France a accueilli, les 4 et 5 octobre, les chefs d’État et de gouvernement de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts (Aisne) et à Paris à l’occasion du XIXe Sommet de la Francophonie.
Tout a commencé le 20 mars 1970 avec la création d’une obscure Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). Le 20 mars, anniversaire de ce jour, est devenu la Journée internationale de la Francophonie.
La Francophonie politique a véritablement démarré à Versailles en 1986, avec le premier Sommet des chefs d’État. Portée à l’origine par des lettrés et des visionnaires, tel Senghor, pour la plupart issus des anciennes colonies, promue par l’Égyptien Boutros Boutros Ghali, son premier Secrétaire général, crédibilisée par Abdou Diouf, l’ancien président du Sénégal qui lui succède, l’institution n’a pas tardé ensuite à tanguer du fait des calculs politiques à courts termes et du manque de conviction des diplomates et gouvernants, notamment français.
L’Organisation de la Francophonie est souvent comparée au Commonwealth. Pourtant, elles n’ont pas du tout la même Histoire : le Commonwealth est centré sur l’économie avec des géants comme le Nigeria, l’Inde ou l’Australie. Du côté francophone, ce sont des hommes du Sud, les présidents Senghor du Sénégal, Bourguiba de Tunisie, Hamani Diori du Niger (et dans une moindre mesure Norodom Sihanouk, souverain du Cambodge) qui se sont battus pour sa création, alors que la France du Général de Gaulle y était indifférente, voire hostile (note).
Une mobilisation citoyenne
Le terme « francophonie » est apparu vers la fin du XIXe siècle pour décrire l'ensemble des personnes et des pays utilisant la langue française. Il a été employé pour la première fois en 1880 par le géographe français Onésime Reclus (1837-1916), dans un ouvrage consacré aux colonies françaises.
Il s’incarnera quelques décennies plus tard, lorsque des francophones prennent conscience de l’existence d’un espace linguistique partagé, propice aux échanges et à l’enrichissement mutuel : des hommes et femmes de lettres sont les premiers à créer, dès 1926, l’Association des écrivains de langue française (Adelf).
En 1950, c’est au tour des journalistes de se regrouper au sein de l’Union internationale des journalistes et de la presse de langue française - aujourd’hui Union de la Presse francophone et en 1955, une communauté des radios publiques francophones est lancée avec Radio France, la Radio suisse romande, Radio Canada et la Radio belge francophone (note).
En 1961, les universitaires s'en mêlent à leur tour en créant, une année plus tard, l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française, qui deviendra, en 1999, l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l’un des « opérateurs » spécialisés de la Francophonie.
Le mouvement s’élargit aux parlementaires qui lancent leur association internationale en 1967, devenue l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) en 1997, qui représente aujourd’hui l’Assemblée consultative du dispositif institutionnel francophone. Cette naissance « du bas vers le haut », de la société civile jusqu’aux plus hautes autorités de l’État, est encore aujourd’hui, l’une des particularités de l’OIF (note).
Décolonisation et émancipation
Les années 60 sont celles de la décolonisation en Afrique, en Asie et ailleurs dans le monde. « Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue française », écrivait le poète Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal. Une formule qui reflète la philosophie des pères fondateurs de la Francophonie institutionnelle qui consiste à mettre à profit le français au service de la solidarité, du développement et du rapprochement des peuples par le dialogue des civilisations.
C’est aussi l’époque de certaines revendications et volontés d’émancipation culturelle par la langue dans certains pays du Nord, comme au Québec où les populations francophones se rebellent contre les anglophones du Canada, ou en Belgique avec le conflit entre Wallons et Flamands. Les revendications des uns rejoignent vite les intérêts des autres.
Le président Léopold Sédar Senghor rêvait de créer un « Commonwealth à la française » ou une « communauté de langue française la première du genre dans l’histoire moderne » (note). Précisons que le premier président du Sénégal indépendant imposa assez vite le français comme langue officielle de son pays aux côtés de six langues locales. Le Niger d’Hamani Diori et la Tunisie d’Habib Bourguiba feront de même. Ce n’est donc pas un hasard si ces trois présidents seront les infatigables défenseurs de la création d’une communauté rassemblant les pays ayant le français en partage.
Les rêves seront déçus et les perspectives réduites à l’horizon d’une « simple » agence de coopération culturelle et technique. Car le projet n’allait pas de soi : pour les uns, la création d’une organisation francophone structurée risquait de réveiller le colonialisme et pour les autres, il ne fallait surtout pas entraver les mécanismes de coopération bilatérale existante, notamment entre la France et l’Afrique.
Agence de coopération, rien de plus
Finalement, les représentants de 21 États et gouvernements signent le 20 mars 1970, à Niamey, capitale du Niger, la Convention portant création de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) : une organisation intergouvernementale fondée autour du partage d'une langue commune, le français, chargée de promouvoir et de diffuser les cultures de ses membres et d'intensifier la coopération culturelle et technique entre eux (le 20 mars, anniversaire de ce jour, est devenu la Journée internationale de la Francophonie).
La « machine » institutionnelle francophone n’a jamais cessé d’évoluer depuis : l’ACCT devient, en 1998, l'Agence intergouvernementale de la Francophonie et, en 2005, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Autre particularité de cette organisation internationale : elle est la seule au monde à compter des États et des entités non souveraines. Ainsi, le Canada est membre, tout comme deux de ses provinces que sont le Québec et le Nouveau-Brunswick. De même, la Belgique fédérale y siège, tout comme la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’OIF est la seule organisation internationale où ces entités peuvent siéger de manière indépendante.
Une francophonie politique
Mai 1981, François Mitterrand est élu à la présidence de la République française. Rapidement, il voit tout l’intérêt de rassembler les plus hauts dirigeants de cette communauté francophone. En 1986, à Versailles, il organise le premier sommet des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, communément appelé « Sommet de la Francophonie ».
Près de 42 États et gouvernements y participent et retiennent quatre domaines essentiels de coopération multilatérale : le développement, les industries de la culture et de la communication, les industries de la langue ainsi que le développement technologique couplé à la recherche et à l'information scientifique.
La dimension politique de la Francophonie est désormais actée, comme l’expliquait l’ancien président du Sénégal, Abdou Diouf, en 2010 : « Quand les chefs d’État et de gouvernement se réunissent en sommet, comment ne se préoccuperaient-ils pas des grands enjeux mondiaux, des problèmes climatiques, de la réforme du Conseil de Sécurité de l’ONU, des crises dans l’espace francophone ? ».
Entre 1986 et 2024, ce ne sont pas moins de dix-huit Sommets de la Francophonie (note) qui seront organisés dans toutes les régions de l’espace francophone, jusqu’à ce XIXème rendez-vous organisé à Villers-Cotterêts et Paris autour du thème « Créer, innover et entreprendre en français ». Avec quels résultats ??
Vous avez dit institution ?
Pas d’institution sans Secrétaire général. L’étape est franchie le 16 novembre 1997, lors du Sommet de Hanoi, au Vietnam avec l’élection du premier Secrétaire général de la Francophonie, Boutros Boutros-Ghali (note). L’ancien Secrétaire général des Nations Unies – qui n’a fait qu’un mandat en raison de ses mauvaises relations avec les États-Unis, premier contributeur financier de l’ONU- se fixe alors, parmi ses objectifs , de faire de la Francophonie une institution internationale connue et reconnue sur la scène internationale.
Lui succèderont à ce poste l’ancien président du Sénégal Abdou Diouf en 2002, la Canadienne Michaëlle Jean en 2014 et l’actuelle Secrétaire générale, la Rwandaise Louise Mushikiwabo élue en 2018.
Au fil des ans et des rencontres de chefs d’État, les pays sont nombreux à frapper à la porte de l’OIF, comme les anciens pays du bloc soviétique dès 1991, et les domaines d’action s’élargissent : culture, éducation, paix, démocratie et droits de l’Homme, développement durable, économie et technologies du numériques.
Parlez-vous français ?
Si des pays comme le Chili, l’Angola ou la province de la Nouvelle-Écosse au Canada ont déposé leur candidature cette année pour accéder au statut d’observateur à l’OIF, quelques grands absents se font toujours aussi cruellement remarqués : l’Algérie, troisième pays francophone après la France et la République démocratique du Congo (RDC) avec quinze millions de locuteurs qui, pour des raisons historiques, n’a jamais souhaité déposer de dossier ou dans une autre mesure Israël, qui compte aussi un bon nombre de francophones.
Le monde parle-il plus ou toujours autant le français aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr malgré des statistiques officielles très rassurantes sur un nombre croissant de locuteurs avec 321 millions de francophones dans le monde d’après le dernier Rapport de l’Observatoire de la langue française dans le monde...
Dans le monde, d’année en année, la langue française semble de moins en moins utilisée, y compris dans des pays considérés comme des piliers de la francophonie. En 2024, le Mali et le Burkina Faso l’ont rétrogradée au statut de langue de travail. Au Rwanda, en recul, elle est l’une des quatre langues officielles du pays, avec le kinyarwanda, l'anglais et le swahili.
L’emploi du français décroît également dans les enceintes internationales, où les diplomates et experts français sont parmi les premiers à lui préférer la langue anglaise – sous les oreilles effarées des interprètes officiels et dans l’incompréhension générale de l’assistance multilingue.
Si, en 1999, 34 % des documents envoyés en traduction dans les services de la Commission européenne avaient pour langue source le français, ce chiffre est tombé à 3,7% en 2019, contre 85,5 % pour l’anglais (source : Assemblée Nationale, rapport N°4520 fait au nom de la Commission des Affaires européennes).
En outre, si certaines pages internet de la Commission européenne sont bien traduites dans toutes les langues, les situations varient fortement en fonction des différentes directions générales. Pour certaines d’entre elles, seules les premières pages sont traduites, et le reste des informations est disponible uniquement en anglais. Le constat est le même à l’ONU, où le français est pourtant langue officielle et langue de travail. Et en matière d’échanges commerciaux transnationaux, plus de doute : l’anglais est la première langue utilisée.
Face à cette situation, l’OIF s'efforce de rendre la francophonie plus attrayante, permettant ainsi à la France de bénéficier d’un outil diplomatique important. Régulièrement critiquée, comme en 2012 avec l’adhésion du Qatar ou en 2018, avec l’élection de Louise Mushikiwabo, ancienne ministre des affaires étrangères du Rwanda, au poste de secrétaire générale, elle multiplie les programmes, les actions, les initiatives.
Pour se retrouver, au final, et comme toujours en diplomatie, dépendante de la réelle volonté politique des États. La machine est prise à son propre jeu de l’institutionnel et des postes confortables. Pourquoi changer un système qui ronronne ? Reste un constat et une urgence : la démographie croissante des pays du Sud et notamment en Afrique. C'est peut-être un espoir pour l’avenir de la langue française mais c’est surtout un immense défi : comment offrir de vraies perspectives à cette jeunesse ?
Vos réactions à cet article
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de Grandpré (06-10-2024 16:11:53)
L'auteur selon son langage ne connait ni le Canada ni le Québec. Prêt à la renseigner si désiré!
Vintotal (06-10-2024 12:37:21)
Comment en vouloir aux pays où le français n'est pas majoritaire de l'utiliser de moins en moins, quand on voit comment les pays pleinement francophones l'utilisent?