3 octobre 2024. La francophonie, c’est l’ensemble des utilisateurs de la langue française. Elle est parfois confondue avec la Francophonie, raccourci pour l’OIF, Organisation Internationale de la Francophonie, qui est une organisation internationale, c’est-à -dire une sorte de petite ONU regroupant des pays plus ou moins francophones.
La francophonie a été largement ballottée par l’Histoire, car le français a été longtemps principalement une langue de culture utilisée par des élites de nombreux pays. Et comme l’Histoire a été cruelle pour ces élites, elle l’a été également pour le français.
Pourtant, le nombre de francophones n’a jamais été aussi élevé et a maintenant dépassé les 300 millions. Mais la francophonie n’en reste pas moins menacée.
La langue de l’élite pendant plus de trois siècles
Le français moderne apparaît à la Renaissance par les écrivains et les poètes, soutenus par les pouvoirs publics puis l’Académie française. Le vocabulaire est enrichi de termes venant du latin ; l’orthographe et la grammaire sont normalisés.
Il s’ensuit que les œuvres de cette époque puis de l’époque classique de Louis XIV sont parfaitement compréhensibles aujourd’hui et gardent toute leur qualité de logique et de sonorité.
Une illustration de sa situation élitiste est l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 août 1539 promulguée par François Ier demandant à la justice de fonctionner en français et non plus en latin sur l’ensemble territoires français.
Cela ne signifiait pas que le français était la langue maternelle des populations de royaume, très loin de là : tout le monde parlait une langue locale, en générale romane mais pas toujours comme le basque ou le breton. Cette langue locale n’était le français que dans la région parisienne, et, bien sûr, à la cour. C’est donc pour la quasi-totalité de la population une langue de pouvoir et de culture, qui n’était maîtrisée que par les élites des villes.
À partir de Louis XIV, ce mouvement gagne la noblesse européenne, puis sous l’influence des Lumières, la bourgeoisie de ces États, y compris une partie de celle de l’empire ottoman à Constantinople.
S’y ajoutera la première colonisation française en Amérique du Nord dans les Antilles et dans certaines îles de l’océan Indien. Mais cela ne représentait alors que peut-être une centaine de milliers d’individus.
Les guerres et révolutions propulsent les États-Unis
La révolution bolchévique de novembre 1917 en Russie détruit ou disperse la noblesse et bourgeoisie russes qui étaient devenues bilingues et se servaient quotidiennement du français. La Première Guerre mondiale et surtout la Seconde vont aussi décapiter des classes supérieures européennes de l’Europe centrale et orientale. Tandis qu’en Amérique du Nord l’afflux des immigrants du monde entier va noyer les populations françaises ou indo-françaises, sauf dans les campagnes du Québec.
Les deux guerres mondiales vont consacrer les États-Unis comme l’État le plus puissant du monde. Ils demandent et obtiennent dès 1919 que l’anglais devienne la langue juridique et diplomatique internationale, notamment celle des traités, à côté du français, qui en avait le monopole depuis Louis XIV.
Mais c’est surtout leur poids économique par rapport au reste du monde ravagé par les guerres et révolutions qui va jouer en faveur de leur langue. Les États-Unis étant un pays libéral, la promotion de leur langue et de leur culture a surtout relevé du secteur privé, comme les universités, les entreprises de cinéma, de télévision et autres médias. Ce qui n’est pas du tout dans les habitudes françaises, sans parler de la disproportion économique croissante. La quasi-impuissance de l’OIF, organisation publique, en est une illustration.
La deuxième partie du XXe siècle vit la décolonisation, notamment de l’Afrique, avec des effets très variables sur la francophonie d’un pays à l’autre.
Notons en particulier l’énorme bêtise qu’a été la disparition des élites francophones d’Égypte alors qu’elles étaient en passe de faire du français la deuxième langue de fait du pays. Elles en furent brutalement empêchées par l’expédition de Suez en 1956, une initiative d’autant plus calamiteuse qu’elle se fit aux côtés des deux ennemis principaux de l’Égypte : l’Angleterre et Israël !
L’Europe passe du français à l’anglais
Les élites d’Europe orientale et méridionale ont été élevées en français jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, sauf en Roumanie où la primauté du français a perduré jusqu’à la chute du dictateur communiste en 1990.
Les derniers représentants de ces générations ont quitté leur poste, notamment à Bruxelles, entre 1960 et 1980. C’étaient d’ailleurs des survivants puisque les nazis puis les communistes avaient massacré ces élites pendant cette guerre.
La génération suivante a appris le russe à l’école, puis, quand le communisme a disparu en 1990, a été inondée de bourses par les universités américaines et de contenus en anglais par les médias. Parallèlement, plusieurs pays d’Europe occidentale ont remplacé le français par l’anglais comme première langue obligatoire dans l’enseignement.
Ce mouvement en faveur de l’anglais ou plutôt de l’anglo-américain comme langue véhiculaire s’est accéléré avec d’une part l’entrée de l’Angleterre dans la Communauté économique européenne en 1970, d’autre part le soft power difficilement résistible des États-Unis.
L’élargissement des années 2000 aux pays d’Europe centrale et orientale a vu arriver des cadres souvent formés aux États-Unis, et le français, pourtant langue officielle de travail au côté de l’anglais et l’allemand a été évincé de la Commission européenne de même que l’allemand sans que quiconque s’en offusque, les hauts fonctionnaires français étant acquis par avance au globish (l’anglais international).
Le Brexit de 2016 n’a pas amélioré bien que curieusement, avec le départ du Royaume-Uni, l’Union européenne ne compte plus aucun État dont la langue officielle soit l’anglais ! En effet, les autres pays où l’anglais est localement officiel, à savoir l’Irlande, Malte et Chypre ont déclaré respectivement le gaélique, le maltais et le grec comme leur langue officielle pour l’Union européenne.
La francophonie des Amériques
En Amérique, la Francophonie est principalement représentée par le Québec, ainsi que par Haïti et certains territoires des Caraïbes.
Dans le reste du Canada, les communautés francophones sont noyées par les nouveaux arrivants, et émigrent dans des villes où le travail se fait en anglais. Le bilinguisme officiel du pays freine toutefois le processus en permettant la création ou le maintien de l’enseignement primaire et secondaire francophone.
Aux États-Unis où cette protection n’existe pas, les communautés francophones encore assez nombreuses au milieu du 20e siècle disparaissent. C’est notamment le cas des Cajuns de Louisiane qui se sont vu interdire le français en 1924, interdiction levée aujourd’hui, mais trop tard.
À Haïti, le français est langue officielle, aux côtés du créole haïtien, langue maternelle de la majorité de la population. L’anarchie qui règne dans ce pays en fait une source d’émigration qui renforce la francophonie du Québec, mais qui ailleurs (New York, Miami…) n’a pas un grand avenir linguistique.
Dans les Caraïbes, les territoires français, la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Martin et la Guyane française, passent progressivement du créole au français, tandis que le créole à base française disparaît des Antilles où l’anglais est langue officielle.
En Amérique latine, le rôle traditionnel de langue culture du français recule au profit de l’anglais du fait de l’importance croissante des questions économiques, et de la perspective d’une émigration vers les États-Unis dont la situation économique contraste avec celle de « son sud ».
La Francophonie en Afrique
L'Afrique est aujourd'hui le continent avec le plus grand nombre de locuteurs francophones. Comme au commencement en France, c’est une langue administrative et de culture, mais elle est en train de devenir la langue maternelle de dizaines de millions de personnes.
Être langue administrative signifie son emploi dans l’administration publique ou celle des entreprises, et donc engendre un intérêt professionnel et son usage fréquent. À ce point de vue il faut distinguer le Maghreb, où le français n’est pas langue officielle, bien qu’utilisé dans une partie l’administration et dans beaucoup d’entreprises, et l’Afrique subsaharienne où il est au contraire officiel.
Être langue de culture signifie entre autres l’émergence d’auteurs africains internationaux. De plus en plus nombreux, ceux-là relaient fort heureusement un certain recul de la renommée des auteurs français contemporains. De la même façon que les auteurs anglophones n’appartenant pas au monde anglo-saxon se multiplient du simple fait des progrès de la scolarisation en anglais dans une grande partie du monde. On peut penser à V.S. Naipaul, prix Nobel de littérature et à Salman Rushdie.
Côté francophone, on peut citer les écrivains Alain Mabanckou, du Congo-Brazzaville, et Léonora Miano, Camerounaise, Tahar Ben Jelloun (Maroc), Assia Djebar (Algérie) ou Leïla Slimani (Maroc). Dans le domaine universitaire, citons Cheikh Anta Diop (Sénégal) et Souleymane Bachir Diagne (Sénégal) forts d’une renommée internationale mais dont les thèses peuvent être discutées à l’infini.
Dans l’usage quotidien, le français est très enraciné au Maghreb malgré son statut officiel de « langue étrangère », bien qu’il soit menacé, comme en France par l’anglais et par l’arabe, langue officielle et de l’enseignement. C’est en Algérie que cette menace est la plus forte.
En Afrique subsaharienne anciennement française ou belge, il est au contraire langue officielle ou « de travail » et vecteur de l’enseignement public et privé (très important en Afrique) à tous les niveaux.
Là où la scolarisation est ancienne, et où les langues locales sont nombreuses il est devenu langue familiale, voire maternelle et langue de la rue. C’est notamment le cas, au Cameroun, au Gabon et plus généralement le long de la côte du golfe de Guinée et notamment en Côte d’Ivoire. Inversement, dans les régions mal scolarisées, comme le Sahel, et où il y a une langue majoritaire (le bambara au Mali) il est surtout la langue des élites. Et il y a toute une gamme de situations intermédiaires, par exemple bilinguisme wolof/français au Sénégal.
C’est en définitive aujourd’hui l’Afrique qui forme le gros de la francophonie avec plus de 200 millions de locuteurs. Et l’augmentation rapide de la population pourrait faire doubler ce nombre en une génération, sauf catastrophe scolaire comme celle qui s’annonce au Sahel.
La Francophonie en Asie
La francophonie, déjà peu répandue en Asie, y a subi des reculs dramatiques : il n’en reste que des traces résiduelles en Syrie et une grande partie de la population libanaise le pratique encore à l’occasion, mais l’arabe et l’anglais occupent de plus en plus l’espace linguistique. Plus généralement le français était répandu chez les chrétiens arabes, à la suite d’une scolarisation séculaire, mais la pression islamiste accélère l’émigration chrétienne vers l’Occident.
En Asie du Sud-Est, le point fort était le Vietnam où il y a eu une importante osmose culturelle, mais les élites ont été tuées ou ont fui à la suite de la victoire du Nord Vietnam sur le Sud. Au Cambodge et au Laos, où le français était moins implanté, la situation est analogue, voire pire au Cambodge avec le massacre des élites par les Khmers rouges et la fuite des survivants.
Restent la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, qui ne concernent qu’environ 600 000 personnes, dont une partie de langue maternelle française et le reste l’ayant comme langue seconde.
Langue de culture ou langue maternelle ?
Le français est maintenant la cinquième langue mondiale, et probablement bientôt la quatrième, sa croissance démographique étant plus rapide que celle de l’espagnol du fait de sa part africaine. Il est très difficile de savoir dans quelle mesure son rôle culturel sera relayé par des intellectuels africains. Cela éclaire une phrase d’Emmanuel Macron souvent mal comprise en France : « il n’y a plus de culture française, mais une culture francophone ». D’autant plus mal comprise que seule la première moitié de la phase est souvent citée.
De toute façon, l’Histoire a montré qu’être uniquement une langue culturelle met le français à la merci des bouleversements politiques. Un ancrage populaire massif est nécessaire à sa survie. C’est maintenant le cas en France et ça le devient en Afrique. Mais les deux réunis le laissent loin derrière l’anglais qui a maintenant la réputation, vraie ou fausse selon les pays et les milieux, d’être indispensable.
Deux phénomènes auront des résultats imprévisibles, en bon ou en mal, sur la diversité linguistique :
D’une part, la traduction automatique est maintenant de bonne qualité à l’écrit, et se perfectionne tous les jours. Et on passe maintenant à la traduction orale (je parle ma langue, l’interlocuteur me reçoit dans la sienne). Cela pourrait rendre inutile la médiation de l’anglais comme langue de communication universelle.
D’autre part l’Histoire nous montre que le haut de la pyramide sociale veut souvent se distinguer en ayant une autre langue que celle « du peuple ». C’était le grec pour l’élite romaine, ce fut le latin pendant le Moyen Âge, puis le français jusque récemment et ensuite l’anglais. Mais quand ce dernier deviendra banal, ce qui semble se préciser, il faudra une autre langue élitiste. Se pourrait-il que ce soit le français ?
Vos réactions à cet article
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Louis Lemoine (07-10-2024 16:45:52)
Parlons du cas du Rwanda...
Jean Pierre (06-10-2024 21:02:37)
Très bon article, merci. Tout au plus aurait-on pu ajouter un chapitre sur le français en Europe où il est tout de même langue officielle dans quatre pays (France, Belgique, Suisse et Luxembourg), comme aucun autre pays à part l'Allemagne (Allemagne, Autriche Suisse et Belgique). D'autre part, le fait que les institutions internationales se trouvent essentiellement dans des villes francophones (Bruxelles, Strasbourg, Genève) lui assure une visibillté qui dépasse les seules frontières nationales.