8 novembre 2023. Les manifestations et les imprécations contre Israël se multiplient dans le monde. Elles dénoncent les bombardements israéliens sur la bande de Gaza, eux-mêmes consécutifs aux attentats terroristes du Hamas les 7 et 8 octobre 2023. Ce mouvement d'opinion s'accompagne d'une stigmatisation des juifs en maints endroits y compris sur les campus américains, au coeur de l'Europe occidentale et même en Allemagne. Il conduit à nous interroger sur la porosité entre l'antisionisme (refus d'un État juif) et l'antisémitisme (haine des juifs)...
Le sionisme est un mouvement politique apparu dans les années 1880 au sein des communautés juives d’Europe centrale. Son nom, inventé en 1886, fait référence à Sion, une colline de la Jérusalem biblique. Il prône le retour des juifs en Terre promise, en réaction à la montée de l’antisémitisme moderne qui prétend chasser les juifs de la sphère publique, voire les exterminer. Cet antisémitisme ne se satisfait pas de leur conversion ou leur soumission, à la différence de l'antijudaïsme médiéval, qu'il fut chrétien ou musulman.
Il y a aussi des juifs antisionistes
Sitôt qu’il est né, le sionisme a suscité l’antisionisme… Ces premiers antisionistes étaient des juifs hostiles à l’idée d’un retour à Jérusalem et qui préféraient dans toute la mesure du possible s’insérer dignement dans leur patrie de naissance.
Il y avait parmi eux des juifs bien intégrés dans les sociétés d’Europe occidentale. Il y avait également des juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie qui militaient au sein du Bund (Union générale des travailleurs juifs) pour l’édification du socialisme. Les uns et les autres allaient attester de leur patriotisme pendant la Grande Guerre.
Mais les pogroms (dico) et surtout l’exacerbation de l’antisémitisme après la Grande Guerre allaient affaiblir cet antisionisme primitif tandis que progressait la colonisation juive en Palestine.
Naissance de l’antisionisme moderne
« Palestine » est le nom donné par les Romains à leur province de Judée après qu’ils eussent écrasé dans le sang la dernière révolte juive et chassé les récalcitrants en 135. Dès lors, le territoire situé entre le Jourdain et la Méditerranée se fondra dans les empires successifs (byzantin, arabe, ottoman) et ne fera qu’un avec la Syrie et la Transjordanie voisines (sauf pendant la brève période des croisades).
Les premiers sionistes achètent des terres sur le littoral marécageux et dans le désert du Néguev. Ils évitent les montagnes de Samarie et de Judée (Cisjordanie), habitées de longue date par des Arabes de confession musulmane ou chrétienne ainsi que par des juifs (environ 25 000). Dans les villes qui naissent sur les bords de la Méditerranée, ils font appel à une main-d’œuvre musulmane venue de Syrie.
À mesure que l’immigration sioniste prend de l’ampleur, l’hostilité monte dans les milieux musulmans, attisée dès les années 1920 par le Grand Mufti de Jérusalem Amin Hussein al-Husseini (note). Le chef religieux réactive l’antijudaïsme musulman en suscitant des attentats et des pogroms. Quand Hitler prend le pouvoir, il ne craint pas d’afficher son identité de vue avec le Führer et se plaît à le rencontrer.
Après la chute du nazisme et la révélation de toutes les horreurs de la Shoah, la nouvelle Organisation des Nations Unies (ONU) profite d’un rare moment d’unanimité en pleine guerre froide pour voter le 29 novembre 1947 le partage de la Palestine entre deux États, l’un juif, l’autre palestinien. Ainsi, pour la première fois depuis deux mille ans, les juifs et les Arabes de Palestine se voient les uns et les autres accorder un État souverain au sein d’une zone douanière commune. Il est prévu que le secteur de Jérusalem et Bethléem doit obtenir un statut international.
La part concédée aux colons sionistes ne paie pas de mine. Elle est réduite pour l’essentiel à la région littorale et au désert du Néguev. Les États arabes avoisinants, Syrie, Transjordanie, Irak, Liban et Égypte, n’en repoussent pas moins le plan et annoncent leur intention de rejeter les juifs à la mer. Sitôt que David Ben Gourion proclame le 14 mai 1948 la naissance de l’État d’Israël, les armées arabes se ruent donc à l’assaut de celui-ci avec l'intention clairement affirmée de détruire l'État hébreu et de rejeter ses habitants juifs à la mer.
C’est la naissance de l’antisionisme moderne. C’est aussi le début d’un conflit condamné à ne jamais finir. Il est nourri par la décision par l’ONU, en 1949, d’accueillir ad vitam aeternam dans des camps de réfugiés tous les Arabes qui auront fui l’État d’Israël ainsi que leurs descendants. Une organisation, l’UNRWA, est créée à cet effet.
La décision est unique dans les annales du droit international. En effet, dans les autres conflits, quels qu’ils soient, les réfugiés de guerre se voient accorder la possibilité de refaire leur vie rapidement dans un pays à leur convenance. Ainsi en est-il encore aujourd’hui avec le Donbass (Ukraine) ou le haut Karabakh.
Le refus tant par les États occidentaux que par les États arabes d’accueillir les réfugiés palestiniens, à l’origine de l’imbroglio palestinien, témoigne du traitement spécial réservé à l’État d’Israël, en dépit de sa légitimité onusienne.
Les juifs sont-ils des humains comme les autres ?
À côté de l’antisionisme brutal apparu en Palestine, l’Occident a développé dans les années 1970, après l’attentat terroriste des Jeux Olympiques de Munich, un antisionisme plus doux (du moins en apparence). Il prône la création d’un État palestinien unique au sein duquel les musulmans (très majoritaires) concèderaient la citoyenneté aux chrétiens et aux juifs… tout en interdisant à tout autre juif de s’établir en Terre promise (« loi du retour »).
Quoi qu'il en soit, la fin du XXe siècle a été marquée par une lente acclimatation de l’État d’Israël dans l’environnement moyen-oriental. C’est au point même que les représentants de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) ont pu signer, le 13 septembre 1993, les accords d’Oslo avec le Premier ministre israélien, reconnaissant de ce fait même l’existence de l’État juif.
C’était il y a trente ans et l’on pouvait espérer aboutir à l’établissement de deux États conformément au plan initial de l’ONU. Las, cet espoir s’est éteint sous la poussée des extrémistes religieux dans les deux camps.
Le Premier ministre Itzahak Rabin, signataire des accords d’Oslo, est ainsi assassiné par un fanatique juif le 4 novembre 1995, cependant que la pression des micro-partis religieux en faveur d’une colonisation de la Cisjordanie tend les rapports entre l’Autorité palestinienne et l’État hébreu.
Dans le monde islamique, tous les mouvements islamistes persistent à vouloir détruire l’État d’Israël et rejeter les juifs à la mer. À la suite d’élections en 2006, le Hamas évince l’Autorité palestinienne de la bande de Gaza. Armé et soutenu par la République islamique d’Iran, il place la population du petit territoire sous sa férule.
Le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, chef du Likoud et allié à l’extrême-droite religieuse, croit habile de soutenir en sous-main le Hamas pour mieux diviser le camp palestinien et favoriser le grignotage de la Cisjordanie par les colons juifs. Mais le cynisme est rarement payant en politique comme ailleurs, surtout quand il se double de manœuvres politiciennes aussi tortueuses qu’impopulaires.
C’est ainsi qu’on en est venu aux attentats terroristes du 7 octobre 2023. Les tueurs du Hamas ont ce jour-là pris soin de filmer leurs crimes dans toute leur inhumanité. C’est un fait inédit et lourd de signification : jusque-là, du moins en Occident, les criminels et terroristes avaient toujours eu un soupçon de mauvaise conscience, y compris les nazis qui ont toujours pris soin de cacher leurs forfaits !
Confronté à un défi existentiel, Israël a réagi en attaquant les bases du Hamas, installées au cœur même de la ville de Gaza. Par un fait lui aussi inédit dans les annales militaires, Tsahal (l’armée israélienne) a prévenu les civils gazaouis d’évacuer autant que faire se peut la ville et de gagner la zone sud de la bande. Il semble que la population en ait été empêchée par les hommes du Hamas qui l’ont réduite au statut de « bouclier humain » de sorte que les bombardements israéliens ont conduit à de lourdes pertes civiles.
Scandaleux comme tout acte de guerre et discutables d'un point de vue stratégique et militaire, ces bombardements ont suscité des manifestations de protestation dans le monde entier, y compris même en Israël ! Mais parmi les protestataires, y compris en Occident, il s'en est trouvé pour dénier à Israël le droit de se défendre d'une façon ou d'une autre, un droit reconnu à tous les autres États. Où étaient ces protestataires quand les États-Unis ont mis à feu et à sang l'Afghanistan et le Moyen-Orient à la suite des attentats du 11-Septembre qui, si odieux qu'ils fussent, ne menaçaient en rien leur existence ? Se souvient-on qu'il y a ait eu des protestations lorsque les Anglo-Saxons ont bombardé les villes allemandes ou japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale, sans motif stratégique, « seulement » pour tuer un maximum de civils et terroriser la population ?...
Face au drame qui se joue à Gaza et menace d’entraîner la région et le monde dans un nouveau cataclysme, chacun est encore à la recherche d’une solution politique qui préserverait le droit à l’existence d’Israël et de ses habitants tout en offrant aux Arabes de Palestine un meilleur sort que la relégation et le bagne.
Craignons tout autant le retour d'un mal que l'on croyait en voie d'éradiquation en Occident depuis la libération des camps en 1945 : l'antisémitisme. Il est troublant en effet que le soutien aux Arabes de Palestine se double dans les manifestations de cris de haine à l'égard des juifs, y compris de la part d'Européens bon teint, y compris même en Allemagne !
« Entendons-nous bien, dit l'historien Michel Wieviorka, la critique de la politique israélienne, même radicale, est tout à fait justifiée, et vivace, y compris en Israël. Mais l'antisionisme et l'antisémitisme se conjuguent lorsqu'il se dit que les Juifs n'ont pas droit à cet État, qu'il faut les jeter à la mer, que l'État hébreu, pourtant créé légalement en 1948, n'a pas le droit d'exister. Le discours de la gauche de la gauche nous rapproche chez quelques-uns de ce lien entre antisionisme et antisémitisme... Dans cette mouvance, il existe un substrat antisémite inconscient. Aucun militant ne se présentera, bien sûr, comme antisémite ou ne se réclamera de l'antisémitisme. Mais l'oubli, la minimisation, sans parler de la justification de la barbarie du 7 octobre y mènent tout droit. »
L'historien constate le caractère inédit de cet antisémitisme : « L'antisémitisme, en fait, a beaucoup régressé en France depuis la Seconde Guerre mondiale. L'antijudaïsme chrétien a, par exemple, quasiment disparu. Nous pouvons du coup nous retrouver face à des situations paradoxales : constater d'une part une flambée d'actes antisémites commis par certaines catégories de personnes et, de l'autre, le déclin général des préjugés antisémites, au sein de l'ensemble de la population » (Libération, 28 novembre 2023).
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Jonas (01-03-2024 13:06:58)
Oui , absolument, il faut le crier dans tous les creux des oreilles de beaucoup , l'Antisionisme est bien de l'Antisémitisme.
Le Sionisme est le mouvement national du peuple juif, pour son retour , sur la terre de ses ancêtres ( retour à Sion , une des collines de Jérusalem)
Je rappelle a toutes fins utiles que c'est le journaliste allemand Wilhelm Marr qui avait forgé le terme d'antisémitisme en 1879., dans son hostilité aux juifs. Wilhelm Marr, plaidait pour l'expulsion de tous les juifs en Palestine, afin de préserver la pureté germanique.
Je rappelle également qu'en 1789, la Palestine était une simple province de l'empire Ottoman. A cette époque on ne distinguait pas la Palestine de la Syrie ( Bilad al Cham) laquelle englobe les territoires de Syrie du Liban , d'Israël, de Jordanie et des territoires Palestiniens.
neiss (29-02-2024 15:08:08)
Désolant article dont le contenu ne répond pas ouvertement à la question posée dans le titre ! Mais on découvre petit à petit un parti pris qui sied fort mal à une démarche d'historien. Le résumé proposé, conforme à la bienséance médiatique majoritaire, occulte de nombreux faits "gênants", en particulier les nombreux et récurrents massacres de Palestiniens dans les dernières années. Vous pourriez lire avec intérêt l'article de Serge Halimi dans la parution du Monde Diplomatique de février.
Louchard (28-02-2024 18:56:31)
La guerre est horrible partout et il faut arrêter. l'histoire est faite de combats et d'invasion. Les juifs en débarquant dans le pays de Canaan pendant l'antiquité ont fait le vide de tous les habitants et même les animaux. donc où veut-on remonter?
L'horreur du 7 octobre n'est que le résultat de 60 ans de tergivercations. Nous sommes tous responsables et les juifs beaucoup responsables. Maintenant il faut régler le problème d'un partage équitable et certainement avec des transferts de population comme l'a dit Hubert Védrine.
Et arrêtons les manipulations, des deux côtés. Un peu d'honnêteté. 30 enfants de tuer le 7 octobre, dans des conditions dramatiques; 8000 à 10000 milles enfants palestiniens de l'autre côté, inacceptable et dans des conditions aussi dramatiques, qui peut être fier de cela?
Comment être fier de se battre avec des bombes, des avions, des tanks, contre des gens avec des armements légers, ridicule. Et on parle guerre asymétrique pour justifier! Toutes ces guerres sont profondément grotesques. C'est triste, mais Israel s'est complètement déconsidérée, il faut l'avouer sans parti pris. Et je ne parle pas des colons!
Alexandre Feigenbaum (28-02-2024 15:14:35)
Il serait bon de rappeler que des Juifs ont vécu sur cette terre depuis 3000 ans sans discontinuer. Parfois majoritaires, parfois minoritaires ou même chassés, selon les périodes, selon le degré de tolérance des conquérants. Les Arabes ont conquis la région incluant la Palestine (qui n'a jamais existé en tant que pays) en 638. Au 19ème siècle, les Ottomans ont attiré une importante immigration musulmane, les ancêtres des actuels Palestiniens. Donc le colonisateur n'est pas forcément celui que l'on croit. En 1947, l'ONU a voté le partage de Palestine en deux états, mais la Ligue Arabe a refusé ce partage, estimant qu'il ne devait pas y avoir d'état juif. En fait la Ligue arabe était sous la pression des Frères musulmans, eux-mêmes sympathisants des nazis, voire dépendant d'eux financièrement depuis 1933. Le Hamas actuel n'est qu'une émanation des Frères. Lisez sa charte, c'est très instructif : les Juifs et les Chrétiens peuvent vivre en Palestine (ni ailleurs), mais seulement "à l'ombre de l'islam". Ceux qui veulent la paix sont des "traîtres". Lire aussi les écrits des historiens Jeffrey Herf, Benny Morris et Matthias Küntzel.
Sol (30-01-2024 22:41:14)
Autant je suis d'accord avec ce que vous écrivez d'habitude, autant là je ne le suis que peu. Vous faites quasiment fi de la colonisation qui n'a jamais cessé comme le montraient déjà il y a 15 ans, les plans des tramways d'Israël devant irriguer les colonies et futures colonies. Cette colonisation montre qu'il n'a jamais été dans les plans d'Israël de voir un jour un État viable incarnant la Palestine après 1993. Actuellement, la destruction à Gaza des cimetières, l'exigence faite aux Palestiniens de se déplacer témoignent là-aussi de la volonté de supprimer toute trace de la population palestinienne. Vous ne dites mot de toutes les résolutions onusiennes non respectées par l'Etat d'Israël. Vous diminuez ainsi les responsabilités d'Israël dans le conflit en ne montrant qu'une partie des faits historiques. Quant au droit de se défendre, ce droit justifie-t-il un crime contre l'humanité, un Etat avec une armée, qui se veut Etat de droit peut-il se comporter comme un groupe terroriste? Normalement non. Peut-il utiliser des armes au phosphore, normalement non. Aucun antisémitisme dans mes propos, mais certainement une autre définition des mots civilisation et humanité et surtout un discours que je ne peux laisser sans réponse en tant qu'historienne de formation.
Pépé (07-01-2024 18:40:50)
Bien écrit, bien envoyé, sauf pour l’Afghanistan. Ce pays protégeait Ben Laden et son mouvement. Les Américains avaient le droit d’exiger que ces criminels leur soient livrés. Mais c’est bien vrai que les Américains sont des pyromanes. Eux, à la suite des Anglais, sèment le chaos au Moyen-Orient.
Angermann (03-12-2023 17:33:15)
L'antisémitisme n'est un phénomène de masse que lorsque des politiciens ou des décideurs, plus ou moins véreux, se mettent à pousser la populaton pour satisfaire leur propre égo et leur portefeuille.
Guy Schoemann (30-11-2023 10:18:13)
@Yannick
« Tous ces juifs seraient donc antisémites ? » Cette remarque très spirituelle traduit-elle le cynisme ou l’ignorance ?
Pour compléter votre culture
Le pamphlet de Norman G. Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs, Eric Hazan, préface de Rony Brauman, Paris, La Fabrique, 2001
http://www.memoiresdeguerre.com/2018/06/top-10-nazi-collaborators-who-were-jews.html
https://www.lesinrocks.com/2018/07/03/actualite/politique/jacob-cohen-le-meilleur-ami-juif-dalain-soral-claque-la-porte-degalite-reconciliation/
http://www.conspiracywatch.info/les-protocoles-de-gilad-atzmon_a815.html
Votre référence à Shomo Sand, chargé de cours à l’Université de Tel Aviv, micro spécialiste de l’histoire des idées en France au XIX° siècle, et inventeur de la « théorie khazare » (sans avoir jamais participé aux campagnes d’archéologie dans le Sud de la Russie, et sans aucune connaissance de l’histoire russe), s’est hissé au niveau d’auteur à succès d’un livre de chevet, à côté des Protocoles, prisé par tout antisémite, vous classe comme demi-spécialiste nécessitant une mise à niveau.
Kourdane (16-11-2023 16:55:10)
Je note que les commentaires portent essentiellement sur ISRAËL ! Or l’antisémitisme en France concerne des FRANÇAIS JUIFS - de famille, de culture, de religion, athées, agnostiques, non pratiquants!
Alors où est le problème ? J’estime que déporter l’explication c’est déjà un relent ANTI JUIF
Christian (13-11-2023 13:37:45)
Il est curieux de constater que, depuis les grandes protestations des années soixante contre la guerre du Vietnam, les manifestations les plus fréquentes et apparemment les plus organisées sont celles qui condamnent (parfois à juste titre) les actions des Etats-Unis et d'Israël. Où sont les grandes manifestations pour défendre les droits des habitants de Hongkong, des Tibétains et des Ouïghours opprimés par la Chine, ceux des Iraniennes et des Afghanes, ceux de l'Ukraine envahie par la Russie ou ceux du Congo envahi par le Rwanda ? Les seuls crimes de guerre méritant d'être dénoncés sont-ils ceux que l'on peut imputer aux Etats-Unis ou à Israël ?
Pierre-A. Gesseney (10-11-2023 23:03:50)
Il est vraiment insupportable que toute critique à l'égard de la politique d'Israël soit assimilée à de l'antisémitisme. On ne peut que souhaiter à chacun l'écoute de Dominique Addé, essayiste et romancière libanaise
https://www.arte.tv/fr/videos/117555-000-A/proche-orient-penser-l-apres/
Herodote.net répond :
Effectivement, il ne faut pas se méprendre. Les démocrates occidentaux revendiquent le droit de juger et critiquer le gouvernement israélien de la même façon que tout autre gouvernement. Il ne s'agit là en aucune façon d'une marque d'antisionisme. L'antisionisme, à l'origine, revenait de la part des juifs eux-mêmes à préférer l'intégration dans leur pays de naissannce plutôt que la création d'un État juif. Cet antisionisme-là a été perverti par ceux qui prétendre détruire ledit État juif, au besoin en jetant à la mer (ou massacrant) ses habitants juifs. Là, il est clair que l'on débouche sur une forme d'antisémitisme.
Yannick (10-11-2023 06:56:43)
Cette vision (toute occidentale ?) d'un monde arabe qui serait un tout, dans lequel on peut déplacer les populations comme sur un jeu de plateau est proprement hallucinante : accepteriez-vous d'être déplacé, vous et votre famille, ne serait-ce qu'à l'autre bout de la France, pour satisfaire des projets territoriaux étrangers ?
Quand au "peuple juif", je crois qu'il faut lire les travaux de Shlomo Sand, professeur d'histoire à l'université de Tel Aviv, et notamment "Comment le peuple juif fut inventé" qui vous expliquera que le judaïsme s'est répandu autour de la Méditerranée au fil des conversions et non de l'expansion démographique d'un "peuple".
Quand à la prétendue nouvelle version de l'antisionisme, de nombreuses associations juives bien actuelles sont là pour prouver que la question reste la même, "ancien" antisionisme ou pas : Union Juive Française pour la Paix (UJFP), Jewish voice for peace (JVP), Zochrot (israël), ... sans parler des juifs ultra-orthodoxes que l'on voit régulièrement manifester à New York et même à Jérusalem (cf images récentes d'une manifestation violemment réprimée par la police israéliennes) contre le projet sioniste, et pas en leur nom. Tous ces juifs seraient donc antisémites ?
Alain CELSE (09-11-2023 15:56:16)
En dehors des lourdes responsabilités du Royaume-Uni (déclaration Balfour), aidé par la France (trahison vis-à-vis de Hussein ben Ali, le roi du Hedjaz), cet article très intéressant n’évoque pas non plus les organisations paramilitaires sionistes Hashomer, Haganah, Palmah et Irgoun, classées toutes les quatre en leur temps terroristes et qui ont permis in fine le coup d’état de 1948 de Ben Gourion.
D’autre part, concernant les références bibliques du choix sur la Palestine, je m’interroge toujours sur l’impasse faite dans l’histoire du sionisme : comment son père fondateur, Theodor Herzl, a pu faire voter, le 23 août 1903 à Bâle, à la tribune du 6e Congrès sioniste, le projet d'implantation des Juifs en Ouganda, puis plus tard au Congo ?!?
https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230823-une-implantation-juive-en-afrique-il-y-a-120-ans-quand-le-mouvement-sioniste-n%C3%A9gociait-le-projet-ouganda
Bernard (09-11-2023 12:31:54)
Quelques observations sur ce sujet, délicat entre tous : 1) A partir du moment où l'on admet que les juifs doivent, comme la plupart des peuples, avoir un pays et que celui-ci est naturellement celui de leurs ancêtres, il est difficile de ne pas considérer l'antisionisme comme de l'antisémitisme, 2) Le fait que 450 millions d'Arabes, occupant 22 pays et disposant ensemble de territoires aussi vastes que les Etats-Unis, n'aient jamais trouvé le moyen, en 75 ans, d'accueillir 2 millions des leurs (nombre des Arabes déplacés en 1948) témoigne de la volonté farouche de maintenir ainsi la plaie ouverte, 3) La médiatisation omniprésente et frénétique de ce conflit est sans commune mesure avec d'autres ayant affecté ou affectant le monde musulman, pourtant d'une tout autre ampleur : 400 000 morts dans la guerre du Yémen, autant dans la guerre civile en Syrie sans parler des 1,5 million de blessés, 1,5 million d'Afghans récemment chassés du Pakistan, 12 millions d’Ouighours oppressés en Chine, etc., sans que cela retienne pour autant l'attention. Comme il se dit dans les salles de rédaction : "No Judes, No news". Et c'est bien là le problème. Disons-le franchement : tout le monde se moque éperdument du sort des Gazaouis, notamment dans les capitales arabes. Mais ce qui est insupportable à certains, c'est que les Israéliens - et, derrière eux, l'Occident honni, car assimilé aux "Croisés" (cf. le récent discours d'Erdogan devant une foule fanatisée) - tiennent Jérusalem. Et, plus profondément encore ("The Heart Of The Matter", comme on dit chez les Anglo-Saxons) , ce qu'on reproche aux Israéliens, ce n'est pas d'être des oppresseurs mais de n'avoir aucune légitimité pour l'être. Et c'est là que se niche le véritable antisémitisme.
Guy Schoemann (09-11-2023 09:54:05)
Depuis 75 ans, la presse, les tribunes, les ouvrages savants bruissent d’un concours Lépine d’ « experts» +/- bien intentionnés expliquant des solutions à 1, 2, 3, 4 états. Mais que sait-on (et qui s’en soucie) de ce que pensent et veulent les Arabes ?
Le plus sincère (ou cynique) semble avoir été Zuheir Mohsen, dirigeant de la branche de l’OLP d’obédience syrienne, dans une interview au journal néerlandais Trouw en mars 1977: « Le peuple palestinien n'existe pas. La création d'un état palestinien n'est qu'un moyen de poursuivre notre lutte contre l'état d'Israël pour notre unité arabe. En réalité, aujourd'hui, il n'y a pas de différence entre Jordaniens, Palestiniens, Syriens et Libanais. C'est uniquement pour des raisons tactiques et politiciennes que nous parlons d'un peuple palestinien, puisque les intérêts nationaux arabes sont mieux servis par l'existence d'un peuple palestinien distinct opposable au Sionisme.
Pour des raisons tactiques, la Jordanie, qui est un état souverain avec des frontières délimitées, ne peut pas élever de prétentions sur Haïfa et Jaffa, alors qu'en tant que palestinien, j'ai indubitablement le droit d'affirmer ma souveraineté sur Haïfa, Jaffa, Beersheva, et Jérusalem. Cependant, au moment même où nous recouvrerons nos droits sur l'ensemble de la Palestine, nous n'attendrons pas une minute pour réunir la Palestine à la Jordanie »
Plus actualisé, et plus proche des aspirations de la population, le rapport annuel du Palestinian Center for Policy and Survey Research https://www.pcpsr.org.
32 % soutiennent et 67 % s’opposent à l’idée d’une solution à deux États
Le soutien à la lutte armée est beaucoup plus élevé que le soutien aux négociations comme moyen le plus efficace de mettre fin à l’occupation israélienne, 53 % et 20 % respectivement
30 % pensent que le premier objectif le plus vital devrait être d’obtenir le droit au retour des réfugiés dans leurs villes et villages de 1948
Le principal problème auquel la société palestinienne est confrontée aujourd’hui, 1) le pourcentage le plus élevé, 25% (11% dans la bande de gaz et 35% en Cisjordanie), est la corruption ; 2) 24% (33% dans la bande de Gaza et 18% en Cisjordanie) c’est le chômage et la pauvreté ; 3) 18% il s’agit de la continuation de l’occupation et de la construction de colonies
Pas tout à fait conforme aux grands discours des « amis de la Palestine », et encore moins aux arrières pensées des dirigeants (cf « La Palestine d’Oslo, une économie de rente » de Julien Salingue), qui se satisfont de l’ état de facto actuel, avec gouvernement, drapeau, armée, parlement, administration, mais craignent à juste titre, avec un état de jure qui signifierait la mort du fonds de commerce victimaire liée au statut de « mouvement de libération », générateur d’un pactole d’aide internationale dont un % conséquent atterrit dans les paradis fiscaux, et exonérant de se conformer au droit international qui prohibe prises d’otage et pogroms tout en protégeant de la CPI.
Vincent (09-11-2023 08:42:10)
Relisant mon commentaire, j'y trouve une expression fautive, qui obscurcit mon propos: on s'attend ces prochains mois à une forte immigration en Israël, une "alyia" (et non à une "émigration", comme je l'ai écrit). C'est un paradoxe, si l'on veut, mais les actes antisémites en Europe (en France en particulier) font que beaucoup de juifs se sentiront plus en sécurité en Israël, même s'il y a la guerre, que dans leur propre pays qui ne veut plus d'eux.
Les arguments sionistes restent malheureusement d'actualité: les juifs ont besoin d'une terre de refuge.
Naturellement, je ne parle pas des raisons spirituelles et identitaires d'une alyia.
Vincent (08-11-2023 22:45:02)
Très belle synthèse, qui ne conclut cependant pas explicitement sur la question annoncée dans le titre, chacun étant renvoyé à sa propre analyse. De mon point de vue. si au début l'antisionisme a pu être le fait de certains juifs, actuellement, l'antisionisme semble la position derrière laquelle s'avance souvent -masqué- l'antisémitisme. Il en est souvent de même des positions "pro-palestiniennes".
Je ne me suis jusque-là pas rendu compte de l'intensité du phénomène, mais quand on voit à quel point on oublie vite, voire qu'on excuse, les atrocités (dont les médias ne nous donnent qu'un écho bien pudique) commises contre des civils les 7 et 8 octobre, qu'on fait mine d'ignorer que la proclamation de l'État d'Israël s'est accompagnée d'une agression immédiate de la part de populations et d'États arabes hostiles à la présence de juifs dans la région, je ne parviens pas à distinguer l'antisionisme de l'antisémitisme. Qu'aurait-on dit si une telle agression s'était produite contre un État européen?
On voit aussi que la recrudescence des actes antisémites en Occident ne fait que renforcer la nécessité de l'État d'Israël comme refuge pour les juifs persécutés dans le monde. J'ai lu qu'on s'attend à une émigration accélérée ces prochains mois; paradoxe quand on sait que ce pays est en guerre.
N'est-il pas naturel qu'un tel État veuille protéger ses citoyens en éradiquant un mouvement dont le but avoué est sa suppression?
De ce point de vue, il est urgent de retrouver des partenaires palestiniens dignes de confiance pour discuter de paix. J'espère qu'il y en a encore, car beaucoup d'entre eux ont trouvé la mort, "coupables" de modération...
Claude BALLEYGUIER (08-11-2023 18:15:58)
Les anglais portent une lourde responsabilité dans cette histoire depuis la déclaration Balfour, et cet article ne le mentionne pas. En acceptant une immigration juive en Palestine, à l'époque sous mandat, sans en prévoir les conséquences après eux, ils ont ouvert la porte à ce qui fut en 1948 un coup d'Etat de Ben Gourion dans un contexte post-Shoah favorable à un Etat juif. L'injustice faite aux Palestiniens depuis 1948 est évidente. La légitimité de l'Etat d'Israël est évidemment douteuse à l'aune de cette histoire, mais le temps passé et la reconnaissance de cet Etat par un certain nombre de ses voisins arabes a fini par créer cette légitimité. En revanche la création d'un Etat Palestinien est incontournable pour mettre fin à ce conflit car le vivre-ensemble n'est plus possible. On peut regretter que les USA (où vivent près de 40% des juifs dans le monde, ceci explique peut-être cela) n'aient pas mis tout leur poids pour faire plier Israël depuis les accords d'Oslo.
Michel Bergès (08-11-2023 13:36:58)
La question posée renvoie à la proposition de Loi du 10 octobre 2023 devant le Sénat de Stéphane Le Rudulier (LR) et 15 de ses confrères, pour des sanctions accrues contre l’antisionisme. Une source de réactivation des haines, à l’opposé de la Constitution américaine, respectueuse de la liberté d’opinion, en soi ?
On risquerait là de faire oublier que le judaïsme est une civilisation ancestrale, de portée universelle, alors que le « sionisme », au départ, reste limité. Quant à la solution actuelle « des deux États » – erreur historique de fond ? – elle traîne depuis plus de 100 ans. Peut-être, quant à l’avenir, pourrait-on réfléchir à une « Confédération israélo-palestinienne » (incluant aussi l’ex-Jordanie anglaise) : une solution possible en droit international, afin de réparer les erreurs du passé ?
Deux références suggérées en complément de l’article synthétique d’André Larané : Carl Shorske, Vienne fin de siècle (Paris, Seuil, 1983), dans ses chapitres concernant Hertzl ; Le Retour des Juifs dans l’Histoire, du célèbre sociologue israélien mondialement connu, Shmuel Noah Eisenstadt, publié à mon initiative, en libre d’accès sur le site :
http://classiques.uqac.ca/contemporains/eisenstadt_shmuel_noah/retour_juifs_dans_histoire/retour_juifs_dans_histoire.html
FLOIRAT (08-11-2023 12:31:54)
Un article documenté, mesuré et lucide sur la situation actuelle au Proche Orient et en France.
Salutaire pour moi qui vis très mal depuis le 7 octobre l'attitude de la gauche et de ses intellectuels et intellectuelles, leur manichéisme et pour tout dire leur aveuglement
Philippe MARQUETTE (08-11-2023 11:59:01)
Pour ma part, j’ai lu « Les musulmans et la machine de guerre nazie » 2018, de David Motadel, titre original « Islam and Nazi Germany’s War », 2014. La Photo d’Hitler avec le grand mamamouchi figure dans le bouquin.
Ce qui manque à la plupart des gens, surtout aux antisémites, c’est de connaître des juifs. Je parierai une bonne bouteille de champagne sur le pourcentage de ceux qui sont antisémites et qui n’ont jamais connu de juifs, parlé avec eux, échangé des idées, travaillé, vécu en Israël.
Ce pourcentage de ceux qui ont une telle opinion basée sur des a priori et de idées préconçues doit être près de 99.5%.
Ce qui doit être vrai pour tous les autres sujets.
L’Europe a ouvert toutes grandes les portes à l’invasion musulmane, la plupart viennent pour fuir la misère de leurs pays. Il est craindre que les organisations d’obédience islamique n’aient des visées totalitaires.
Cela laisse présager des lendemains coraniques. Bien du plaisir aux français de demain.