Mille ans de monarchie

God save the King et vive la démocratie anglaise !

6 mai 2023. Avec le sacre du roi Charles III à Westminster, la démocratie anglaise, plus vivante que jamais, se montre néanmoins attachée à des rites d'un autre âge... N'y voyons pas de contradiction mais au contraire une recette gagnante pour aborder avec sérénité les temps difficiles qui s'annoncent !

Le couronnement du 40e successeur de Guillaume Ier, près de mille ans après celui-ci, témoigne de la remarquable continuité de l'Histoire anglaise. Fastueux à souhait et un tantinet kiksch, le rituel remonte au Moyen Âge mais s'est affiné au fil des siècles. Soixante-dix ans après le précédent couronnement, celui d'Élisabeth II, il enregistre avec finesse et élégance l'évolution de la société britannique.

Dans l'abbatiale de Westminster, le roi a respecté les rites qui ont fait de lui l'« oint du Seigneur » (l'équivalent d'un prêtre), le défenseur de l'Église anglicane et le souverain de ses peuples, avec le privilège de la force légitime représentée par l'épée et dans le respect des lois fondamentales. Cette cérémonie très religieuse et très chrétienne a pu paraître déconnectée du réel dans un pays où l'on compte aujourd'hui davantage de non-croyants que de croyants avec seulement 3% de pratiquants réguliers de la foi anglicane et sans doute beaucoup plus de pratiquants des religions importées à la faveur des vagues d'immigration du demi-siècle écoulé : musulmans, hindouistes, évangélistes, etc.

Le faste a pu également choquer dans un pays qui connaît aujourd'hui de graves difficultés sociales, même si le coût de la cérémonie sera largement couvert par les retombées touristiques et les taxes sur les goodies de tous ordres. 

Notons tout de même que la cérémonie fut plus modeste que la précédente, quand le Royaume-Uni figurait encore parmi les puissances majeures de la planète, victorieuse du IIIe Reich et à la tête d'un Commonwealth prestigieux (dico).

Ce 6 mai 2023, le parcours du carosse royal et de son cortège a été réduit à deux kilomètres au lieu de huit, la cérémonie a duré trois heures au lieu de huit, et le nombre d'invités limité à 2200 au lieu de 8000. Mais il y a plus important que ces chiffres : la présence réduite des membres de la Chambre des Lords, quarante sur 910, et pas moins de 820 représentants des organisations caritatives et philanthropiques auxquelles s'intéresse le nouveau souverain depuis ses débuts dans la vie publique.

Les changements les plus marquants furent dans la cérémonie elle-même. On vit plusieurs dignitaires religieux issus de l'immigration antillaise ou africaine participer à la messe et aux rituels du sacre. Un Gospel entonné par une chorale antillaise a  aussi égayé l'église gothique. Notons encore des chants et des prières en gallois, gaélique écossais et gaélique irlandais.

C'est une femme, Lady Sarah Mullally, évêque anglicane, qui a lu l'Évangile, témoignant de l'ouverture récente du clergé aux femmes. C'est aussi une femme, Penny Mordaunt, Leader de la Chambre des Communes (ministre en charge des relations avec le Parlement), qui a remis au nouveau souverain l'épée du sacre. Le gant du couronnement a été quant à lui remis à Charles III par un représentant de la religion sikh coiffé du turban traditionnel. Plus fort encore, on vit le Premier ministre Rishi Sunak, connu pour sa foi hindoue, lire l'épître de saint Paul aux Colossiens. 

Le nouveau « défenseur de la foi anglicane » eu soin d'accueillir à Westminster les représentants de toutes les confessions du pays. Il a ainsi invité le grand rabbin à dormir dans son palais pour lui éviter d'avoir à monter en voiture, ce dont sa religion lui fait interdiction le jour du Shabbat. Dans sa prestation de serment, Charles III a enfin demandé à Dieu qu'il puisse « être une bénédiction pour tous les enfants, de toutes les fois et de toutes les convictions ».

La tradition, clé d'entrée dans la modernité

Toutes ces innovations se sont enchaînées avec naturel, sans ostentation ni crispation. Elles témoignent de ce que les Britanniques ont entériné mieux que quiconque les changements de ces dernières décennies, communs à l'ensemble des nations du Vieux Continent : d'une part la diminution de la population proprement européenne par l'effet d'une fécondité très inférieure au niveau requis pour son renouvellement, d'autre part l'arrivée en masse d'immigrants des autres continents.

À travers cette cérémonie du sacre, tous les enfants britanniques ont motif de se sentir partie prenante de la communauté nationale. Les petits anglais blondinets se rassurent en constatant que leur nation perdure vaille que vaille à travers les siècles avec ses rituels, son souverain et ses vieux carrosses. Leurs compatriotes à peau brune peuvent tirer fierté de voir leurs représentants pleinement intégrés aux fastes d'une nation encore imprégnée de sa gloire passée.

Cette manière très anglaise de cultiver le « désir de vivre ensemble » (Renan) inverse le célèbre aphorisme du prince Salinas dans Le Guépard (livre de Giuseppe Tomasi di Lampedusa porté à l'écran par Luchino Visconti) : le prince comprend que l'intérêt des grandes familles comme la sienne est d'accompagner la révolution pour retrouver leur place prédominante : « Il faut que tout change pour que tout reste comme avant ! » (« Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi ! »).

À leur façon, les Britanniques nous disent l'exact contraire : « Il faut que tout reste comme avant pour que tout change ! » Cette formule plaide pour le conservatisme et un respect raisonné de la tradition, de façon à ne braquer personne.

Elle s'oppose à l'idéal progressiste« faire table rase du passé pour aborder l'avenir », lequel se traduit de ce côté-ci de la Manche par une bougeotte déraisonnable, avec des révisions de la Constitution qui en viennent à paralyser la vie politique, avec le chamboulement des institutions (ENA, corps diplomatique, etc.), avec aussi un autoritarisme qui contraste avec la vigueur démocratique du Royaume-Uni.

Les citoyens britanniques savent que leur bulletin de vote compte, y compris pour les décisions les plus lourdes de conséquences, que ce soit la sortie de l'Union européenne (Brexit) ou, pourquoi pas ? l'indépendance de l'Écosse. Les citoyens français se sont convaincus du contraire, pas tout à fait à tort comme l'atteste le référendum de 2005.

Le système monarchique anglais repose sur deux piliers :
• Le monarque, héritier d'une vieille dynastie, se présente comme le serviteur de la nation. Il rappelle qu'il y a au-dessus de lui comme de chacun de ses sujets un intérêt général et des valeurs collectives qui priment sur les désirs et les droits individuels.
• Le Premier ministre, qui exerce le pouvoir exécutif, est lui-même le serviteur de la majorité parlementaire qui l'a élu. En cas d'impopularité ou d'incapacité criante, il est à la merci d'une éviction et cette menace n'est pas de pure forme comme l'ont vérifié Liz Truss, Boris Johnson, John Major, Margaret Thatcher, etc. Rien à voir avec notre président de la République, assuré de finir son mandat sauf à démissionner volontairement.

Bien entendu, il est hors de question pour les Français de rétablir un roi. Mais l'exemple anglais mériterait réflexion et l'on peut débattre des mérites comparés d'une république dirigée par un président irresponsable devant les électeurs, et d'une démocratie parlementaire avec à sa tête un symbole respecté, président élu ou monarque héréditaire.      

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2023-05-08 11:30:58
YANN (22-05-2023 18:58:45)

Un article intéressant mais qui semble ne pas tenir compte du fait qu'un britannique sur quatre serait favorable à l'établissement d'une république en Grande Bretagne, même 37% chez les jeunes !

thierry (17-05-2023 10:57:48)

Le respect de la Tradition est elle supérieure à la bougeotte permanente de notre République et de nos régimes antérieurs ? Nous avons2 puissances européennes qui sont parties à égalité durant le Moyen-Age avec un avantage démographique certain pour la France. Force est de constater que l'échec de notre monarchie (et de nos Républiques) est patent par rapport à la Monarchie britannique. Une langue parlée aujourd'hui par 1 milliard 500 millions d'individus à travers le monde avec un statut de langue internationale incontestable contre une langue parlée par (soyons généreux) par 300 Millions d'individus et qui lutte pour sa survie. Nous avons peut-être gagné la guerre de 100 ans mais nous avons largement perdu la guerre de 1000 ans. Vive la Tradition !

E.NICOLAS (15-05-2023 09:08:19)

Très bon article M. Larané, merci pour votre analyse.
Une remarque d'ordre sémantique, ne pas confondre "évangéliste" : celui qui a écrit un évangile, ou qui a le ministère d'évangéliser ; et "évangéliques" : branche protestante attachée à la fidélité aux Evangiles par opposition au protestantisme libéral.

Osmane (12-05-2023 12:00:04)

Pourquoi dites vous qu'il est hors de question de rétablir la monarchie alors qu'en France rien n'a jamais vraiment marché depuis la révolution et que nous subissons actuellement le pire des regimes politiques?

Georges Bloyer (10-05-2023 15:06:13)

Nouvel abonné, me voici empli du regret de ne pas l'avoir fait plus tôt. Merci pour cette analyse dont la pertinence mériterait qu'elle soit largement diffusée. Non point qu'il me vint à l'esprit quelque soudaine attirance pour la royauté, mais combien est-il vrai que celle de nos voisins d'outre manche respire mieux que la nôtre, pardon, que nôtre république.

John Desma (10-05-2023 09:12:06)

Votre texte est, comme habituellement, frappé du bon sens cher Monsieur Larané !
Il n'est pas nécessaire d'être anglophile pour admirer la permanence de- l'institution royale anglaise : merci de cette analyse !

Francis Chouville (09-05-2023 15:58:02)

Cher Monsieur Larané, dans ces quelques lignes, vous avez dit l'essentiel. Ou presque : il y a dans la royauté un élément qui fait défaut à notre système politique et institutionnel désincarné, je veux parler du Sacré. D'ailleurs, ce que les Britanniques appellent le "Couronnement" est en réalité le "Sacre" du Roi, sa liturgie comporte tous les aspects symboliques qui caractérisaient le sacre de Rois de France. Et ce sacré est ce qui confère au Souverain une force qu'aucune élection ne peut donner, car le Sacre lui donne le caractère "absolu" qui fait qu'il ne peut dépendre d'aucun parti ni d'aucune chapelle. Le Roi règne, il ne gouverne pas, il protège son peuple car il le respecte et la présence active au Couronnement de Charles III de représentants de tous les cultes, autres qu'anglican, démontre ce respect, bien plus que toutes les mantras républicaines invoquant la "laïcité". « Les Rois sont établis pour rendre justice, et non pour entrer dans les passions des particuliers. » écrivait Henri IV au duc de Nevers en 1590.
Mais je ne comprends pas la conclusion dans laquelle vous écrivez que "il est hors de question pour les Français de rétablir un roi" alors qu'en même temps vous posez bien le débat entre une "république" autoritaire et une démocratie parlementaire avec à sa tête un monarque héréditaire. Pour ma part, je préfère d'ailleurs la royauté à la monarchie qui relève d'un concept différent (régner n'est pas gouverner).

Jean MUNIER (09-05-2023 04:43:27)

il subsiste aussi des injustices dans le droit des particuliers (des sujets) héritage pour l'ainé avec préférence masculine etc.. ce qui diminue la dispersion de la propriété foncière.

Regalia (08-05-2023 08:45:23)

Tout à fait d'accord avec cet article. Même si l'Angleterre a décapité son roi Charles Ier, elle a su revenir à la tradition avec une assurance et une continuité enviables. Le roi représente et le 1er ministre gouverne. Mais l'un reste et l'autre s'en ira bientôt. En France nous n'avons qu'un premier ministre-président, l'autre n'étant qu'un exécutant selon le bon mot de Chirac. Il n'y a aucune responsabilité dans nos institutions, le Président pouvant gouverner et rester autant qu'il lui plait. Enfin, un président élu avec 25 % des suffrages (1er tour) c'est difficile à muer en président de tous les Français. Et aujourd'hui cela fonctionne moins que jamais. Alors oui, on peut envier nos cousins Grands-Bretons.

Hadrien 1000 (08-05-2023 08:01:14)

D'accord avec ce bon article !La seule contradiction que je ne comprends pas c'est le Brexit.Car justement rester dans l Europe aurait marié la tradition et la modernité. Moderne c'est être de son temps et l'actuelle G B n'est plus celle de L'empire.

Herodote.net répond :
De fait, les Britanniques ont de quoi être déçus par les résultats économiques du Brexit. Mais peut-être que le plus important à leurs yeux, quand ils ont rejeté l'Union européenne, était-il de rester maîtres de leur destin et de leur droit de vote? Peut-être voulaient-ils que leurs choix électoraux ne soient pas bafoués et niés par un quelconque conseil européen ou des magistrats sans légitimité démocratique?

Lutecium65 (08-05-2023 07:58:46)

Le Royaume Unii connaît comme nous en France l'établissement d'un Royaume Désuni. Que d'enclaves dans des zones où les "british" sont exclus...... l'assimilation , l'intégration n'ont pas fonctionné. Evidemment l'investiture du Président de notre République par Laurent Fabius expédié en moins de 1 heure ça ne fait pas le poids.

Philippe MARQUETTE (08-05-2023 04:47:19)

S’il n’y avait pas ce climat pourri, j’aurais sans doute choisi le Royaume-Uni pour y passer ma retraite.
J’y ai de la famille, je suis sûr que je me serai fait des relations et peut-être des amis.
La mentalité british est beaucoup plus saine que la complainte perpétuelle et lancinante des français, qui choisissent toujours le pire en occultant l’avenir par bêtise et couardise, c’est devenu un peuple d’assistés et de parasites. Quand à 14 ans on pense à sa retraite, c’est que la fin est proche.
Là-bas, tout ce qui n’est pas explicitement interdit est autorisé, en France tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. Cherchez l’erreur.
Le français n’est parlé qu’en France et encore, quel français qui ressemble de plus en plus à celui du 9-3, ou en Afrique où il est beaucoup mieux parlé qu’en France.

Rémy Volpi (07-05-2023 20:09:01)

Cet excellent article met en lumière le fait que les Français semblent ne pas avoir compris ce qu'est la démocratie, étymologiquement gouvernement par le peuple pour le peuple. Je voyais le dimanche 30 avril, à la une de La Voix du Nord, une photo de manifestants rigolards, goguenards, braillards dont l'un d'eux portait une pancarte "Nous sommes le peuple souverain". Sauf erreur de ma part, dans les pays civilisés, et après de longues et âpres luttes, le peuple souverain c'est l'ensemble des électeurs. Lesquels élisent des députés qui les représentent au Parlement pour désapprouver, amender, ou approuver les projets d'actions gouvernementales. Une fois adoptées, les lois s'appliquent à tous en raison du principe fondamental de la démocratie qui veut que ce qu'a décidé la majorité vaut pour l'ensemble. A ce titre, la démocratie peut se définir comme étant la "tyrannie" d'une majorité sur une minorité. Tandis que la dictature, c'est la tyrannie d'une minorité sur une majorité, par la violence. Dans la photo en question, nous sommes dans ce dernier cas de figure. D'autant qu'un autre manifestant arborait une pancarte: "Non aux violences policières". Il s'agit à nouveau d'une inversion de la réalité et je m'étonne que les commentateurs ne se fassent pas l'écho de ces attitudes proto-fascistes qui s'apparentent aux agissement des Squadristi de l'Italie du Premier après-guerre. Aussi je trouve particulièrement incongru que l'on parle "d'autoritarisme" à propos du gouvernement français, alors que ce sont les députés qui se sont révélés totalement incapables de débattre, transformant le parlement en cour de récréation d'école maternelle. C'est d'ailleurs ici que réside la principale différence entre Français et Britanniques, plutôt que dans le fait anecdotique d'avoir ou de ne pas avoir un roi: les Britanniques apprennent dès l'école à débattre, et le débat est l'essence même de la démocratie. Nous ne nous sommes pas donné les outils ad hoc et cherchons la voie facile, et autrement plus archaïque que la monarchie, du bouc émissaire: "la société tout entière se blanchit en noircissant la victime expiatoire", nous expliquait magistralement René Girard. Inquiétante régression culturelle qui n'augure rien de bon pour l'avenir.

Jean-Michel Duprat (07-05-2023 19:19:27)

Non décidément je n'arrive pas à envier L'Angleterre et son très démocratique traditionalisme . On aurait pu croire que nos meilleurs amis de toujours avaient, avec le "Brexit", fait le plus dur dans la démarche vers une indépendance retrouvée . Las, que voit-on chez eux, le même règne de confusion généralisée que celui que nous connaissons en notre monarchie républicaine . Le couronnement décrit avec minutie par l'article, et pittoresque à l'envi, en est l'aveu éclatant . Si ce n'était aussi dramatique on devrait en rire . Mais voilà, n'est-ce pas la perte de nos valeurs et la décadence de notre civilisation occidentale qui se donnent en spectacle ? J'ai souvent eu le souhait sincère de me tromper dans mes jugements ou appréciations ; hélas, ici le doute n'est même pas permis .

Jihème (07-05-2023 18:14:35)

Quand on voit à quelles dérives désastreuses nous conduit la "république" idéologique à la française, soumise à tous les vents mauvais, on peut tout de même se poser la question de savoir si une monarchie modernisée mais représentative de l'intérêt général sur le long terme ne serait pas la solution à la crise de régime actuelle.

Jean-Michel Gindt (07-05-2023 17:22:54)

En total accord avec votre vision.
Nous vivons à l'heure de la fin du modernisme, basé sur la raison, l'individualisme et le progressisme. Chacun de ces éléments est aujourd'hui remis petit à petit à sa place, il faudra juste que les élites s'en rendent enfin compte !
Et la vraie modernité est en effet dans un certain conservatisme, en prenant le meilleur de ce qui fut sans faire table rase de tout cela. D'ailleurs n'est-ce pas là la bonne compréhension de la tradition qui est un courant intégrant les nouveautés sans renier le passé?... Certains préfèrent la création d'un homme nouveau, de droite, de gauche ou simplement technocratiquement compatible: ce sont là les versions nouvelles du totalitarisme.

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