France, ta gastronomie f… le camp !

La complainte de la blanquette de veau

16 avril 2023. Produits alimentaires ultra-transformés, street food... L'américanisation des moeurs et la mondialisation vont-elles tuer le repas gastronomique à la française ? Faut-il dire adieu à la blanquette de veau et autres recettes longuement mijotées qui ont égayé nos repas familiaux ? Les grands chefs et cheffes étoilés ont pris le parti de résister. Et nous ?...

Il en a fallu des siècles pour parvenir à ce chef-d’œuvre de viande tendre, carottes frétillantes et crème fraîche. Vous salivez ? Oubliez cette « blanquette de veau des grandes occases » dont se régalait Bérurier dans San-Antonio. Aujourd'hui, le fameux commissaire devrait se satisfaire d’une pizza à l'ananas livrée par Uber et réchauffée en deux minutes chrono au micro-ondes.

La blanquette mais aussi le pot-au-feu et le bœuf en daube sont en passe de finir au rayon des antiquités, victimes du mode de vie urbain qui ne nous laisse plus le temps de cuisiner, victimes aussi de l’américanisation des mœurs et de l’industrialisation de notre nourriture, ainsi que des injonctions diététiques. Notre art de vivre est-il en péril ? Devons-nous nous en affliger ?

Isabelle Grégor et André Larané

Cocorico, la gastronomie est née en France !

Les plaisirs de la table sont certes aussi anciens que l’humanité mais c’est au Siècle des Lumières, le XVIIIe, qu’ils se sont véritablement épanouis. Et pas n’importe où, dans la France aristocratique, bourgeoise et paysanne, forte de sa diversité et de son opulence ! N’est-ce pas à Paris que fut inventé le « restaurant », le mot et la chose s’étant acquis une diffusion planétaire ? Et c’est aussi en France que fut inventé le mot « gastronomie » pour désigner l’art de bien manger. Le pâtissier Antonin Carême devint la première star mondiale des fourneaux, relayé plus tard par Auguste Escoffier et plus près de nous par Paul Bocuse. Enfin, c’est un bon bourgeois de province, Anthelme Brillat-Savarin, qui mit le goût culinaire en mots...

Choix des aliments, équilibre des mélanges, finesse de la présentation, plaisir de la table, tout cela a fait la réputation de la France et de Paris. Ce ne sont pas les heureux convives du Festin de Babette, film danois de 1987, qui nous démentiront ! En 2010, l’UNESCO a inscrit le « repas gastronomique des Français » au patrimoine immatériel de l'humanité, parmi deux cents autres pratiques culturelles. Il n’était que temps.

À l’épreuve de la mondialisation

Mondialisation aidant, la France est aujourd’hui confrontée à une rude concurrence jusque dans ses domaines d’excellence que sont la gastronomie ou le luxe. Laissons ce dernier de côté et tenons-nous-en à la table.

Le Guide Michelin, vénérable ancêtre des guides gastronomiques, demeure la référence la plus diffusée dans le monde. Ses étoiles font l’objet d’un véritable culte et l’on meurt parfois pour elles comme le grand Bernard Loiseau. Mais nos éternels rivaux anglo-saxons ne pouvaient supporter cette suprématie...

Depuis 2002, chaque année, la compagnie londonienne William Reed se fait fort de désigner The World’s Best 50 Restaurants (« les 50 meilleurs restaurants du monde »). Et savez-vous quoi ? Un seul restaurant français, le Mirazur (Menton), a eu l’honneur d’une première place en vingt ans et il est tenu par le chef italo-argentin Mauro Colagreco. Le seul chef français reconnu par le Best 50 est le Stéphanois Pierre Gagnaire, qui a pu accéder trois ou quatre fois à la 3e place. Les grands favoris de ce guide ô combien surprenant sont un Catalan, El Bulli, et un Danois, Noma.

Qui peut admettre cela ? Pas les Français en tout cas. Un ancien diplomate, Philippe Faure, a relevé le gant en 2015 et lancé à son tour La Liste, soit le classement des mille meilleurs établissements du monde. Ici, pas d’inspecteurs pour goûter les plats mais un traitement algorithmique de toutes les bases de données de la planète (ce n’est pas pour rien que les mathématiques figurent parmi les domaines d’excellence de la France).

Évidemment, le résultat est sans appel : La Liste a élu Guy Savoy meilleur chef au monde ces six dernières années. Son établissement, à l’hôtel de la Monnaie, quai de Conti, Paris 6e, a bénéficié qui plus est de trois étoiles au Michelin de 2002 à 2022. Parmi les autres chefs et cheffes régulièrement classés par La Liste et le Michelin, citons Hélène Darroze, originaire de Mont-de-Marsan, et Anne-Sophie Pic, originaire de Valence.

Forts de leur grande réputation, les grands chefs et cheffes français gèrent aujourd'hui de véritables multinationales, avec des tables à leur nom et des boutiques dans les grandes métropoles, que ce soit Londres, Tokyo, New York ou encore Lausanne. Cette expansion leur est devenue indispensable pour leur assurer des recettes à la mesure de leurs besoins. Des repas à cinq cents euros ou davantage ne supportent pas l'improvisation !

Les atouts du terroir

Si les grands chefs français tiennent encore leur rang, ils le doivent à l’héritage exceptionnel dont bénéficie leur pays. Il y a bien sûr une tradition gastronomique très ancienne que raconte l’exposition en cours à la Conciergerie (île de la Cité, Paris) : Paris capitale de la gastronomie du Moyen Âge à nos jours (jusqu’au 16 juillet 2023). Mais il y a plus encore une diversité de terroirs qui fait la richesse de notre cuisine.

Cette diversité s’observe avant tout dans les marchés de province. Louhans (Saône-et-Loire) se flatte ainsi de posséder le plus ancien marché de France, sinon d’Europe ou du monde (pas de fausse modestie). Il remonte à 1270, l’année qui fut fatale à notre roi Saint Louis. Son produit phare est la volaille de Bresse, mise à l’honneur par le chef Georges Blanc à Vonnas (trois étoiles au Michelin, quatre toques au Gault-Millau).

Les amateurs de truffe se retrouvent quant à eux à Brive-la-Gaillarde (Corrèze), ceux de foie gras n’ont que l’embarras du choix, de Sarlat (Dordogne) à Eauze (Gers)… Plus généralement, tous les chefs-lieux de canton, toutes les petites villes conservent leur marché hebdomadaire où les producteurs locaux proposent leur marchandise issue de l’agriculture dite « raisonnée ».

Les restaurateurs sont les clients les plus assidus de ces marchés. Parmi eux, il y a les grands chefs mais aussi tous ceux, encore nombreux, qui aiment leur métier et se font fort de privilégier les produits naturels, de saison et d’origine locale. Plus de trois mille affichent le label de qualité Maître Restaurateur, créé par l’État en 2007. Sans compter les nouveaux-venus qui tirent leur notoriété des réseaux sociaux et d'internet, faisant connaître aux internautes leurs recettes d'exception à l'image de la jeune Nina Métayer, deux fois classée pâtissière de l'année.

Un avenir incertain

Ces acquis dont s’honore la France demeurent fragiles.  Le recrutement est le premier défi que doit affronter la restauration, autant les chefs étoilés que les restaurants de moyenne gamme. Sauf à être passionnés, les jeunes gens y regardent à deux fois avant de s’engager dans la restauration tout comme dans la boulangerie, la pâtisserie ou la charcuterie. Rémunérations, horaires et conditions de travail n’y ont rien d’affriolant.

Les restaurateurs se plaignent aussi de la pression réglementaire et fiscale. Mais qui ne s’en plaint ?... Plus gravement, la clientèle se fait désirer du fait du déclassement économique du pays qui lamine les classes moyennes. Après les chaînes de distribution du prêt-à-porter (Camaïeu, H&M, etc.), balayées en quelques mois, les restaurateurs peuvent craindre d’être à leur tour affectés, du moins ceux qui ont fait le choix de la qualité.

Le mouvement sera imperceptible car il portera sur de petits effectifs. Il gagnera de proche en proche. Dans tel village, c’est un chef qui part à la retraite et n’est pas remplacé. Dans tel quartier de métropole, c’est un restaurant remplacé par une pizzeria ou un kebab. Sur environ 175 000 restaurants, on compte déjà plus d’un tiers de « restauration rapide », fast food ou street food (dernier vocable à la mode).

Cette restauration bon marché a toujours existé et son utilité demeure incontestable, pour les étudiants, les salariés modestes ou pressés par le temps, les touristes en goguette, etc. Si nous remontons à l’époque des Trois Mousquetaires ou à la « Belle Époque », c’est dans de très modestes auberges de village qu’ont émergé de nombreuses innovations culinaires et que se sont révélés les grands chefs et cheffes, à l’image de la mère Brazier. 

La street food contemporaine se distingue de ces lointains prédécesseurs par son étroite implication dans la mondialisation des échanges, avec des produits issus de l’agro-industrie, préassemblés en usine et généralement surgelés, qu’il s’agisse de hamburgers ou de döner kebabs. C’est aussi, reconnaissons-le, le travers qui nous guette au sein de nos foyers.

Autrefois adeptes des repas du dimanche interminables, nous nous mettons peu à peu comme tous les Occidentaux à l’heure du McDo. Déjeuners pris sur le pouce et hamburgers avalés en trois bouchées. Plus le temps de cuisiner et même plus le temps de manger. Adieu les ragoûts mijotés des heures et bonjour le coup de sonnette du livreur Uber payé des clopinettes.

Mais le pays de Rabelais et de Gaulle sait aussi résister. Il le démontre encore aujourd’hui, à rebours des autres Européens, sur des enjeux aussi différents que la laïcité ou la retraite. Contre la street food et les « fermes de mille vaches », la France n’a sans doute pas encore dit son dernier mot.

Publié ou mis à jour le : 2023-04-20 22:08:35
jmpoux (16-04-2023 20:06:33)

Cela fait des années que nous n'allons plus au McDo ! La riposte française, qui s'est fait attendre près de 40 ans existe bel et bien aujourd'hui : des hamburgers mitonnés par des grands chefs Lyo... Lire la suite

Volpi Rémy (16-04-2023 15:38:04)

Eternel "bastian contrario" (contradicteur) je m'empresse de souligner que la cuisine italienne, plus naturelle, moins sophistiquée, variée, saine et savoureuse, ce n'est pas mal non plus. D'autant que contrairement à la dimension décidément élitiste de la grande cuisine française, la cuisine italienne est incontestablement plus démocratique. En témoigne que la concurrence des "fast boof born in the USA", que les Français prétendent détester tout en les fréquentant assidument, ce sont les ristoranti italiani qui en ville semblent proliférer au moins aussi vite que les promoteurs de burgers.

Americana (16-04-2023 12:32:26)

Comme pour corroborer votre article, Pierre Orsi (MOF 1972) va fermer définitivement son restaurant gastronomique du 6e arrondissement de Lyon inauguré en 1975. Longtemps étoilé Michelin, il inc... Lire la suite

Philippe MARQUETTE (16-04-2023 12:02:35)

Cet article me donne envie d'appeler José Bové au secours.

Chrysostome (16-04-2023 11:33:01)

Je me permets d'apporter un élément qui est parallèle à ce que nous vivons actuellement. Les Gilets Jaunes, les Bonnets-Rouges, les syndiqués qui défilent dans nos avenues, la distanciation de c... Lire la suite

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