Monarques et Révolution

De l'effroi à la folie

9 avril 2023. Dans la période charnière que constituent la Révolution et l’Empire (1789-1815), nous nous focalisons le plus souvent sur les dirigeants français. Il vaut néanmoins la peine de nous interroger aussi sur les souverains européens de ce quart de siècle historique. Leur santé mentale dit beaucoup de l'époque...

Les événements survenus en France à l’été 1789 et, plus encore, l’arrestation puis la mise à mort du roi quelque temps plus tard, ont fait entendre à travers l’Europe un premier tocsin. Tous les monarques européens furent fatalement en empathie avec leur homologue français, craignant de voir la Révolution faire tache d’huile, menaçant leur royaume, leur couronne, leur vie même.

L’ordre mondial était alors en train de basculer dans l’inconnu, et l’idée de monarchie devait être suffisamment solide pour endiguer la menace et étouffer la république. Or, par définition, la monarchie est l’affaire d’un seul homme, ou du moins d’un seul dirigeant de droit divin. Des capacités de chaque souverain dépendait donc le sort du principe monarchique à long terme. Petit tour d’Europe des monarques en question…

- Marie Ière, reine du Portugal (1734-1816) :

Giuseppe Troni, La reine Marie Ière du Portugal, 1783, Lisbonne, Palais royal de Queluz.Marie Ière du Portugal (1734-1816) est faite reine à partir de 1777. Mariée à son oncle, elle a de lui trois enfants. Son fils aîné, Joseph, épouse sa tante (sœur cadette de la reine) à seulement seize ans. Marie Ière perd son époux en 1786.

Profondément pieuse jusqu’à la superstition (mais beaucoup le devinrent après le fameux séisme de Lisbonne survenu en 1755), elle refuse, pour des questions religieuses dit-on, de faire inoculer ses enfants contre la variole (le vaccin ne sera effectif qu’en 1798). Deux d’entre eux meurent de la maladie en 1788. Déjà affectée par ces trois décès successifs, la reine est profondément troublée par la Révolution française et sombre dans la démence dès 1791. Elle règne néanmoins jusqu’à sa mort, son dernier fils, Jean, assurant la régence.

- George III, roi d'Angleterre (1738-1820) :

Allan Ramsey, Le roi George III, 1761-1762, Royal Collection. Agrandissement : Benjamin West, George III, 1783, musée d'art à Cleveland.George III (1738-1820) fut roi de Grande-Bretagne durant soixante ans, de 1760 à sa mort. En 1788, il est déclaré mentalement inapte à l’exercice du pouvoir. Les deux principaux hommes politiques du moment en Angleterre s’opposent alors sur la conduite à tenir dans un tel cas.

Si la régence du Prince de Galles est une évidence, William Pitt le Jeune souhaite limiter les pouvoirs de ce dernier devant le Parlement, tandis que Charles James Fox désire qu’il reçoive les pleins pouvoirs. George III met tout le monde d’accord en recouvrant la santé… pour quelques années seulement. Atteint de démence intermittente, il replonge régulièrement dans la maladie, si bien que le pouvoir est assuré par le Premier ministre en charge, notamment Pitt le Jeune. Ce n’est qu’en 1811 que George III admet qu’il n’est plus en état de gouverner et que la régence est enfin mise en place.

- Charles IV, roi d'Espagne (1748-1819) :

Charles IV (1748-1819) ne devait pas être roi d’Espagne en 1788. Son frère aîné devait logiquement régner, mais celui-ci est très vite écarté du trône pour déficience mentale aggravée. Dans des conditions géopolitiques normales, les capacités limitées de Charles eurent suffi. Mais face au torrent révolutionnaire français, il est rapidement dépassé par les événements et laisse son épouse Marie-Louise de Parme gouverner avec l’appui du secrétaire d’État Manuel Godoy (que l’on a longtemps présenté comme l’amant de la reine).

En 1808, Charles est poussé à abdiquer, puis à l’exil. Napoléon place son propre frère Joseph sur le trône espagnol jusqu’à sa chute en 1814. C’est alors Ferdinand VII, fils de Charles, qui ceint la couronne et va plonger, durant vingt années de règne et par une politique rétrograde, son pays dans une fâcheuse période. L’Espagne, pour un siècle, devient ainsi une puissance de second ordre.

Francisco de Goya, le roi Charles IV et sa famille, 1800, Madrid, musée du Prado. Ferdinand VII qui succédera à son père se trouve à gauche, vêtu de bleu.

- Christian VII, roi de Danemark (1749-1808) :

Christian VII (1749-1808) fut quant à lui roi de Danemark et de Norvège entre 1766 et 1808. Très tôt il perd sa mère. Le père de Christian (Frédéric V), excessivement porté sur l’alcool et les parties fines, ne prête guère attention à son fils. Christian monte sur le trône à la mort de son père ; il n’a alors que dix-sept ans. Plutôt malveillant, il semble dénué de la moindre empathie. En 1766, il épouse la princesse Caroline-Mathilde de Grande-Bretagne, qui est à la fois sa cousine germaine et la sœur du susnommé roi George III.

Lors d’un voyage en Europe, il fait la connaissance du médecin Johann Friedrich Struensee, qui, le premier, diagnostique les problèmes mentaux du roi en 1768 (la schizophrénie est évoquée). Cette rencontre ne fut bénéfique pour Struensee que pour quelques années seulement. Devenu l’amant de la reine et exerçant le pouvoir à la place du roi diminué, il est victime d’un coup d’État et meurt décapité en 1772 sur ordre du roi. S’ensuivent deux régences, l’une jusqu’en 1784 exercée par la belle-mère de l’intéressé, l’autre par son fils Frédéric jusqu’au décès du roi en 1808.

- Paul Ier, tsar de Russie (1754-1801) :

Paul Ier (1754-1801) tsar de Russie de 1796 à sa mort, est le fils de la Grande Catherine. Très perturbé par la mort de son père, assassiné, il nourrit une certaine méfiance à l’encontre de sa mère qu’il juge impliquée dans le complot. Catherine II, elle aussi, se méfie de son fils, qu’elle ne juge pas apte à lui succéder. Dans ses mémoires, elle déclarera qu’il n’est pas le fils du tsar, mais de son amant d’alors, le compte Sergei Saltykov.

Parvenu au pouvoir à la mort de Catherine, Paul Ier, animé d’une rancune tenace et de la volonté d’éclipser l’œuvre de sa mère, devient rapidement paranoïaque et inconséquent. C’est finalement de son fils qu’il aurait dû se méfier. Au moment où Paul se rapproche de Bonaparte en 1801, Alexandre le fait assassiner avec l’appui du gouvernement britannique, puis monte sur le trône.

Gerhard von Kugelgen, Paul Ier avec sa famille, 1800, Saint-Pétersbourg, musée-réserve d'État de Pavlovsk. Alexandre, fils de Paul Ier, se trouve à gauche du tableau.

- Ferdinand Ier, empereur d'Autriche (1793-1875) :

Ferdinand Ier (Vienne, 19 avril 1793 ; Prague, 29 juin 1875), empereur d'Autriche du 2 mars 1835 au 2 décembre 1848 (portrait par Johann Georg Edlinger)François Ier (1768-1835) fut empereur d’Autriche à partir de 1804. S’il dispose pleinement de ses facultés mentales, ce n’est malheureusement pas le cas de son fils. Ferdinand, appelé à lui succéder, est pour sa part handicapé mental et atteint d’hydrocéphalie.

Ferdinand devient malgré tout empereur d’Autriche en 1835, ce jusqu’en 1848, mais il n’est alors que la marionnette de Metternich. Tous deux seront balayés par le « le printemps des peuples ». Ce cas déborde, il est vrai, notre chronologie, mais il est, lui aussi, symptomatique de l’agonie des monarchies.

- Gustave IV Adolphe, roi de Suède (1778-1837) :

Lorens Pasch le jeune, Gustav IV Adolphe enfant, Stockholm, Nationalmuseum. Agrandisssement : Per Krafft, Gustav IV Adophe, âgé de 15 ans, roi de Suède, 1793, Stockholm, Nationalmuseum.Gustave IV Adolphe (1778-1837) fut roi de Suède de 1792 à 1809. Il n’a que treize ans lorsqu’il succède à son père, mort assassiné. Jusqu’à sa majorité, la régence est assurée par un homme proche de son oncle, tyrannique et impopulaire. Gustave est rapidement soucieux de combattre les idées de la Révolution en empêchant qu’elles ne se propagent à travers toute l’Europe. Sa haine l’aveugle à tel point qu’il se jette dans les bras de la Russie, faisant perdre à son pays la Poméranie suite à la débâche de 1805, puis surtout la Finlande en 1809, que lui reprend la Russie dans une guerre fratricide et vengeresse.

Inquiet de sa faiblesse mentale, son oncle le dépose et se fait couronner sous le nom de Charles XIII cette même année 1809. Sans descendance, en pleine crise de régime durant laquelle le comte de Fersen perd la vie dans d’horribles conditions, Charles fait du général français républicain Jean-Baptiste Bernadotte son digne successeur.

C'est faire trop d'honneur à la Révolution que de lui imputer le renversement de l'ordre ancien

L’Italie, la Suisse et les Provinces-Unies sont alors aux mains de la France révolutionnaire, puis impériale. La Pologne est démantelée par ses voisins autrichiens, russes et prussiens. La Grèce est sous domination ottomane, l’Irlande sous domination britannique. Ainsi s’achève notre tour d’Europe.

Seules la France et la Prusse peuvent alors s’enorgueillir de n’avoir pas à leur tête un souverain veule, « faible », voire dérangé mentalement.

Autrement dit, le principe monarchique ne survit plus qu’au travers de la tradition et de l’ordre établi, mais pas de ses représentants directs. La monarchie est devenue un lieu vide au moment même où la France devenait l’épicentre de la violence révolutionnaire, des guerres de masse, de l’ébullition politique, de la promesse d’un nouvel ordre mondial. Certes, la chute de Napoléon mettra entre parenthèses pour quelques décennies la remise en cause générale des monarchies, mais en 1848, le cas français ne fera plus figure d’accident de l’Histoire, mais d’exemple à suivre, pour le meilleur comme pour le pire.

Imputer à la seule Révolution française la fin d’un ordre ancien est lui faire trop honneur. Les monarchies européennes étaient minées de l’intérieur depuis déjà longtemps. Au XVIIIe siècle, à de très rares exceptions près (comme Frédéric le Grand, 1712-1786), les rois ne sont plus ni soldats ni stratèges et ne font, bien souvent, que de la figuration, laissant l’administration et la défense du royaume aux ministres, aux intendants et aux maréchaux.

L’inceste n’éveille plus aucun scrupule et il n’incombe plus au Vatican de veiller à la régularité des mariages. Le siècle commence d’ailleurs par la longue guerre de Succession d’Espagne, suite à la mort sans héritier de Charles II, consanguin au dernier degré, chétif et stérile. Quant au progrès social, les excès révolutionnaires qui vont l’accompagner sont en proportion des efforts que son ébauche aura nécessités. La monarchie absolue, devenue hors-sol, a ainsi creusé sa propre tombe, d’abord en France, puis en Europe.

Publié ou mis à jour le : 2024-03-01 11:59:11
tabeau17 (11-04-2023 14:30:20)

Tous ces "fous" n'ont existé que grâce au soutien de valets nombreux guidés par leur intérêt pour les chefs et par leur stupidité pour les autres soumis.
Rien ne prouve que cette situation n'existe plus actuellement nonobstant dans les "démocraties" .

Jihème (09-04-2023 21:30:24)

Dans cette histoire des monarchies décadentes et dégénérescentes de l'Europe au 19e siècle, ce n'est pas le principe monarchique en lui-même qui est en cause mais c'est l'endogamie familiale ent... Lire la suite

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