L'emballement du monde

Énergie et domination dans l’histoire des sociétés humaines

L’Emballement du monde (écosociété, 2022) est un essai dense et stimulant consacré aux rapports entre les humains et les énergies au fil de l’Histoire. L’auteur, Victor Court, est enseignant-chercheur en économie à IFP Énergies nouvelles.

Dans cet ouvrage, il conteste le terme Anthropocène par lequel d’aucuns désignent une nouvelle ère géologique caractérisée par l’influence de l’Homme (du grec ancien anthropos, « homme », et kainos, « nouveau »), en référence aux dégâts environnementaux et surtout au dérèglement climatique générés par nos activités...

L'emballement du monde (Victor Court, écosociété, 508 pages, 27 euros) Depuis 1950 environ, l’empreinte écologique de l’humanité s’aggrave certes de façon quasi-exponentielle. Mais, note Victor Court, cette aggravation est due à une fraction très réduite de l’humanité qui a fait le choix au XIXe siècle de privilégier les sources d’énergie fossiles (charbon, pétrole, gaz) au détriment de solutions pérennes.

D’où les réticences de l’auteur à évoquer un hypothétique Anthropocène : « À l’heure actuelle, parmi tous les habitants du monde, les 10% qui émettent le plus de gaz à effet de serre (GES) sont responsables de 48% du total des émissions mondiales, alors que les 50% qui en émettent le moins sont responsables d’à peine12% des émissions globales » (page 13).

Quoi de comparable entre le 1% (à Singapour, aux États-Unis, etc.) qui émet 200 tonnes d’équivalent CO2 par an et les plus pauvres (Rwanda, Malawi, etc.) qui s’en tiennent à 0,1 tonne par an ?

De l’invention du feu à l’enjeu climatique actuel, l’auteur survole avec brio l’Histoire universelle sous le prisme de l’énergie. Il met en lumière l’essor des techniques par lesquelles les humains ont pu domestiquer les énergies primaires. Il ne néglige pas non plus les passions mauvaises, en premier lieu la cupidité, qui ont pu conduire aux excès actuels.

Victor Court souligne en particulier la rupture que constitue la révolution industrielle en Angleterre. Les paysans chassés vers les villes par le mouvement des enclosures (privatisation des terres communales) n'ont plus d'autre choix que de s'embaucher à temps plein comme salariés dans les usines naissantes.

Ce travail salarié, rigoureusement fractionné et cadencé, n'a plus rien à voir avec le travail du paysan ou de l'artisan. Beaucoup plus aliénant, il conduit aussi les travailleurs à s'unir pour améliorer leur sort. Ce mouvement est initié par les mineurs qui bénéficient dès le milieu du XIXe siècle de la capacité de bloquer l'économie en arrêtant l'extraction du charbon ou, mieux, en sabotant les puits.

Ainsi les mineurs seront-ils longtemps les fers de lance de la classe ouvrière mais leur force de pression durera aussi longtemps que l'économie reposera sur le charbon. La victoire de Margaret Thatcher sur les mineurs britanniques en 1984-1985 clôt cette parenthèse et marque le triomphe du néolibéralisme (dico), du capitalisme financier... et du pétrole.

« En s'éloignant du charbon, les populations occidentales ont perdu sans le savoir l'instrument de leur émancipation démocratique », écrit Victor Court (page 294). Mais ne croyons pas pour autant que les humains consomment moins d'énergie. Simplement, à la consommation de charbon, toujours en croissance, s'ajoutent d'autres énergies primaires, essentiellement le pétrole, le gaz et le nucléaire, et pour une part encore très minoritaire, les énergies dites renouvelables, l'eau, le bois, le soleil et le vent, qui font leur retour après avoir occupé tout l'espace avant le XIXe siècle.

Regrettons seulement que l'auteur ait occulté les autres passions, l’altruisme et l’empathie, le dépassement de soi, la soif de connaissance, l’aspiration à la beauté, etc., qui ont permis à la plupart des hommes d’accéder à l’aube du XXIe siècle à un niveau de bien-être sans équivalent dans le passé.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2023-03-06 19:25:02
Jean-Michel Gindt (11-03-2023 11:53:35)

Ah, l'éternelle antienne de la contrition et de l'accusation des autres: les pauvres disent que c'est la faute aux riches, les pays non ou moins développés disent que c'est la faute aux occidentaux etc...
La (re)lecture de Jacques ELLUL est essentielle, il a montré qu'au-delà de tout cela, la vraie cause est la déification de la technique qui engendre une croyance au progrès, tout cela sous l'angle exclusivement matériel bien entendu. C'est collectivement que nous devrions, sans doute, retrouver le goût de moins de technologies, de technologies conviviales (ça c'est l'apport de I. Illich...) et appropriées (c'est là l'apport de E. Schumacher). Tout a été théorisé . . . mais rien n'a été mis en oeuvre, ou quasi.
Espérons !
Merci en tout cas d'avoir attiré notre attention sur cet ouvrage.

Liger (06-03-2023 02:54:05)

Consciemment ou non, beaucoup de personnes s'exprimant sur le changement climatique se réfèrent à un passé idéalisé, sorte de « paradis perdu » fait d'équilibre et de douceur garantis par la bienveillance de Mère Nature. En quelque sorte, on ressort le mythe de l'Âge d'or détruit par l'action des Hommes (bien entendu, les « Occidentaux ») assorti d'une nouvelle version du Péché originel.

Rien n'est plus faux. L'Histoire de la Terre a été marquée depuis des centaines de millions d'années par des variations climatiques parfois très fortes et très brutales au point d’avoir causé plusieurs fois l’extinction de la plupart de la flore et de la faune : eh oui, contrairement à la vision néo-rousseauiste des escrologistes, Mère Gaïa n'est ni gentille, ni douce, ni bienveillante. La grande majorité de ces changements se sont produits à des époques antérieures à l'apparition de l'Homme, phénomène très récent à l'échelle de l'Histoire de notre planète. En clair, des changements climatiques, parfois très forts, ont eu lieu régulièrement sans que l'Homme y ait joué de rôle.

Trop souvent, on confond 2 questions :

1) Y a-t-il actuellement (depuis 20 ou 30 ans ?) un changement climatique marqué notamment par un réchauffement ?
Il semble bien que oui puisque nombre de faits objectifs en attestent comme la fonte des glaciers, l'élévation des températures moyennes en Europe et son impact de fond sur la flore et la faune, etc. Au passage, ce n'est pas le seul changement climatique qui soit survenu depuis, mettons, 500 ans : que l'on se rappelle par exemple du petit âge glaciaire à la fin du règne de Louis XIV. Enfin, il est difficile de prévoir la durée de telles évolutions, voire leur arrêt.

2) Quel est l'impact de l'activité humaine sur ce changement climatique ?
C’est une question complexe et les vrais spécialistes de ce domaine ne se risquent pas à émettre des affirmations tranchées, contrairement aux « climatosceptiques » ou aux escrologistes.
Là, notamment de la part de ces derniers, on subit une avalanche de propos aussi péremptoires que non démontrés, le problème étant que la plupart des gens qui s'expriment sur le sujet, notamment par le truchement des médias grand public qui ne font absolument pas leur devoir d'examen critique ni de mise en perspective, sont incompétents, soit par manque de formation scientifique, soit parce que ce sont des personnes ayant des connaissances scientifiques mais dans d'autres domaines que la climatologie, discipline particulièrement complexe.
Beaucoup de ces personnes ne respectent pas les principes fondamentaux de toute réflexion scientifique et, en outre, font ab initio l'ablation de tout esprit critique : posant en principe que l'action de l'Homme (comprenons blanc des pays développés) est à l’origine du Mal, en l'espèce environnemental, ces gens bâtissent un « raisonnement » destiné à étayer cette conclusion prédéfinie. Cela rappelle les propos tenus depuis des décennies par maints marxistes, staliniens et maoïstes en tête, partant de la conclusion souhaitée érigée en Vérité absolue pour élaborer un pseudo-argumentaire.
Comme la logique et l'honnêteté intellectuelle ne sont décidément pas le fort de ces individus, ils continuent de s'opposer avec fanatisme à l'énergie nucléaire alors que celle-ci, avec l'hydroélectrique, est de loin celle qui entraîne (quasiment) aucun réchauffement de l'atmosphère et ne la pollue pas ou très peu, contrairement aux énergies fossiles qui sont indispensables pour pallier les intermittences considérables de l'éolien et du solaire.
On est bien dans le domaine de la croyance – pour ne pas dire de la superstition – et non de la réflexion rationnelle : que ce naufrage intellectuel se produise au XXIe siècle dans les pays les plus développés est navrant et témoigne d'un grand « malaise dans la civilisation », comme pourrait encore le dire le Dr Freud...

maïté (05-03-2023 20:38:17)

ces 10% empoisonnent l'ensemble de notre terre et de ses habitants, d'où leur responsabilité globale : le terme d'anthropocène concerne bien la responsabilité humaine dans la dégradation de notre environnement, même si c'est une une minorité qui en est responsable.

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