Une menace pèse sur la diversité linguistique de l'Europe... En cause, un texte technique : le « protocole de Londres » sur les brevets européens.
Le 26 septembre 2007, les députés français ont ratifié le « protocole de Londres » sur les brevets. Celui-ci n'attend plus que son adoption définitive par le Parlement français pour entrer en vigueur dans la douzaine de pays qui l'ont déjà ratifié.
À part le gouvernement Jospin qui l'a porté sur les fonts baptismaux en 2000, tous les gouvernements français ont jusqu'ici repoussé le protocole de Londres sur les brevets parce qu'il supprime la traduction française des brevets avec des conséquences sur notre langue mais aussi sur notre vie quotidienne et notre avenir professionnel..
Le protocole n'a été ratifié à ce jour que par 11 États (Allemagne, Angleterre, Danemark, Islande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Monaco, Pays-Bas, Slovénie, Suède) sur 32 concernés. Plus de la moitié des pays, dont l'Italie, l'Espagne, la Finlande, la Grèce... le refusent obstinément.
En France, au nom de la diversité linguistique, 150 personnalités réunies autour du linguiste Claude Hagège et de l'académicien Erik Orsenna appellent les députés à bien réfléchir avant de le ratifier !
Aujourd'hui, une entreprise qui désire protéger une invention en Europe doit d'abord déposer sa demande soit en anglais (66% des cas), soit en allemand (27%) soit en français (7%). Une fois le brevet délivré (après 4 ou 5 ans), elle doit le traduire dans toutes les langues des pays où elle souhaite une protection.
Dans le coût d'obtention d'un brevet, les frais de traduction s'élèvent à 3.400 € en moyenne sur un total de 27.000 €. À ce coût d'obtention s'ajoutent les taxes annuelles (de l'ordre de 90.000 € sur 20 ans).
Le protocole de Londres, se focalisant sur la réduction des frais de traduction, limite l'obligation de traduction aux « revendications », soit 2 à 5 pages par brevet (à l'exclusion des « descriptions »).
Les principaux bénéficiaires du protocole de Londres sont les multinationales, en particulier les laboratoires pharmaceutiques qui dépensent des sommes colossales en brevets, et les entreprises américaines et asiatiques qui pourront se protéger à moindre coût, n'ayant plus besoin de traduire en français leurs brevets européens.
Les perdants potentiels sont les petites et moyennes entreprises qui devront traduire à leurs frais les descriptions en anglais ou en allemand des brevets concurrents pour s'assurer qu'ils ne réalisent pas de contrefaçon à leur insu.
Le gouvernement français, par la bouche de Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la Francophonie, se justifie de ratifier le protocole de Londres en assurant que le français sera au même rang que l'anglais et l'allemand... à ce détail près qu'il ne concerne déjà plus que 7% des demandes de brevets.
La hâte du gouvernement à vouloir ratifier le protocole s'explique par son souci de se faire pardonner le vote négatif des Français sur la Constitution européenne (29 mai 2005).
Dans le même ordre d'idées, il a approuvé le « traité simplifié » en remplacement du projet de Constitution. Il a aussi renoncé à s'opposer aux négociations d'adhésion de la Turquie et se dispose même à abroger l'amendement anti-adhésion de 2005...
Pour Claude Hagège et Erik Orsenna, les fallacieuses économies sur les coûts de traduction cachent une volonté d'avancer vers la société mondialisée anglophone dont rêvent quelques cadres et dirigeants de haut vol.
Dans cette société-là, malheureux seront les cadres, techniciens et commerciaux incapables de penser, écrire, débattre et argumenter en anglais. « Si le français n'est plus utilisé par le monde scientifique, alors il deviendra une langue vernaculaire, que nous n'utiliserons que lors des conversations familiales », prévient Bernard Lecherbonnier, linguiste à l'université Paris XIII.
Le président Sarkozy plaide pour une « France bilingue ». Lui-même est fasciné par les Français qui vivent et parlent à l'américaine, comme Christine Lagarde, dont il a fait, en partie pour cette raison, son ministre de l'Économie.
Il va de soi que c'est une bonne chose que beaucoup de jeunes Français sachent tenir de petites conversations en anglais ; c'est aussi une bonne chose que les entreprises puissent recruter des cadres parfaitement à l'aise avec l'anglais pour des besoins spécifiques (*).
Le « bilinguisme » français-anglais généralisé est-il pour autant inéluctable et même souhaitable ? Faut-il se féliciter que de grandes entreprises imposent à leurs cadres l'usage de l'anglais en réunion, y compris parfois lorsque la réunion se tient exclusivement entre Français !?
Notons en premier lieu que le bilinguisme n'est pas indispensable à la réussite personnelle. Le président Sarkozy en administre la preuve, lui qui a échoué à cause de l'anglais au concours de sortie de Sciences Po.
J'ai pu constater que nos meilleurs patrons (y compris à la tête d'une très grande entreprise aéronautique européenne) sont réticents à tenir une conversation approfondie dans la langue de Shakespeare...
J'ai aussi pu constater que Boutros Boutros-Ghali, qui fut un excellent Secrétaire général de l'ONU, met un casque de traduction lorsqu'un Américain intervient à la tribune !
A contrario, je ne m'étendrai pas sur les performances entrepreneuriales de deux grands patrons, Jean-Marie Messier (Vivendi) et Jean-Yves Haberer (Crédit Lyonnais), qui l'un et l'autre se flattaient de vivre et parler en Américains.
Le président Mitterrand, qui se gardait de parler autrement qu'en français à l'étranger, a souligné l'intérêt de la traduction dans une négociation politique aussi bien que commerciale : elle laisse à chacun du temps pour réfléchir et préparer ses réponses !
Les entrepreneurs français devraient y songer avant d'étaler leur anglais scolaire : une négociation en direct est toujours déséquilibrée entre celui qui parle et pense dans sa langue maternelle et celui qui doit plus ou moins chercher ses mots.
La maîtrise de l'anglais n'est pas indispensable dans la compétition économique. Ainsi les Japonais ont-ils pu tailler des croupières aux Occidentaux dans les années 1980 sans rien renier de leurs traditions, leur langue et leur écriture, et sans être devenus massivement bilingues.
Dans l'avenir, il est douteux que 1,5 milliard de Chinois se mettent à l'anglo-américain. D'ores et déjà, on assiste à un recul significatif de l'anglais sur la Toile : sur les 1,2 milliard d'internautes, 31% emploient la langue de Shakespeare, 16% le chinois, 9% l'espagnol, 8% le japonais, 5% l'allemand, autant le français etc.
Le monde du XXIe siècle ne sera pas globish mais polyglotte. Chinois (mandarin), Chinois (cantonais), Tamouls, Français, Irlandais, Russes... nous devrons nous résigner à dialoguer autrement qu'en anglais. Autant nous y préparer en cultivant au mieux la diversité linguistique au sein même de l'Europe. Peut-être bénéficierons-nous bientôt de traductions instantanées via nos mobiles qui rendront vaines les gesticulations autour du bilinguisme ?
Au moment où l'on s'inquiète en France de ce qu'un quart des enfants quittent l'école sans maîtriser la langue française, sans doute l'urgence est-elle de ce côté-là plutôt que dans la généralisation de l'anglais en maternelle ou au primaire...
NB : si vous ne comprenez pas les titres de cet article, je crains que vous soyez mal engagé dans la voie du bilinguisme radieux promis par nos hyperactifs élus :-)
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Epicure (04-02-2017 15:27:27)
Nos amis Esperantistes oublient que le but de Zamenhof était de permettre la compréhension de tous entre tous...(ceux qui ont vraiment envie d'écouter Autrui !!!!) mais croire que cette intelligente construction va évincer supprimer annihiler le Narcissisme Nationaliste Linguistique est une illusion lyrique!
L'essentiel des Humain est très con et de plus profondément narcissique (Il faut être assez intelligent et de plus très Mature,(mental) pour dépasser cette structure fondamentale de l'Humain jaloux et apeuré...On va donc continuer de discuter sur la Langue des Anges!Tant que les Chinois n'atteignent pas la majorité de la population mondiale et ne finissent par faire la Loi?
Epicure (04-02-2017 15:19:38)
Mon fils, 53 ans, est Chef Manager d'une éqipe de 10 personnes dans une grande entreprise de biochimie qui compte parmi ses cadres environ 60 Nationalités différentes...
Leur langue Véhiculaire est évidemment l'Anglais alors que la Vernaculaire (locale) est l'Allemand....
Vous me dites comment faire travailler ensemble cette équipe et ses sous équipes...???? Merci.(NB: le destin des citoyens lambda n'a rien à voir avec celui de ces Cadres et je ne vois pas pourquoi ce Protocole imbécile devrait justifier NON-la traduction des Brevets et modes d'emploi!!??
Pierre BOVIS (07-02-2016 18:17:09)
Un grand MERCI à André Laramé et à babilema ,je me sens moins seul!!..
babilema (30-09-2007 04:49:01)
Bien sûr, Dorville, votre remarque est pertinente, mais le problème est valable pour n'importe quelle traduction, dans n'importe quel pays. Vous connaissez aussi bien que moi l'adage traduction = trahison. Cependant, les erreurs de traduction resteront l'exception , si on s'adresse à des interprètes qualifiés. Dans les cas, peu nombreux, de litiges, il suffira d'entendre un traducteur assermenté. ET pour finir, je remonte sur mon cheval, et propose que les brevets soient rédigés en espéranto et que la langue de Zamenhof devienne la langue officielle des échanges internationaux. Ce pourrait être aussi le motif d'une des innombrables réformes que nous concocte notre nouveau président, et ce ne serait pas la plus sotte, et peut-être même pas la moins..... controversée
Dorville (28-09-2007 18:05:42)
Pour avoir participé à l'élaboration de la normalisation européenne, j'ai observé combien la traduction des textes normatifs dans chacune des trois langues officielles était difficile et aboutissait parfois à des interprétations. Ces textes, normes, réglementations, brevets, seront opposables en justice en cas de litige. Et qui validera les textes, traduits en français, présentés aux magistrats dont le Français est la langue officielle de la République ?
babilema (26-09-2007 07:58:54)
Le protocole de Londres prévoit que les brevets soients déposés dans une des trois langues officielles de l'Office des Brevets.
Ces trois langues sont l'allemand, l'anglais et le français ( dans l'ordre alphabétique ). Il est évident que pour respecter la parité de ces trois langues, des copies de chaque brevet doivent être étables dans chacune d'elles, sauf à en privilégier une, ce que cherchent de toute évidence les anglais, afin de favoriser leurs amis amériacains.
L'idéal - je remonte sur mon cheval - serait de déposer les brevets en espéranto, langue facile à apprendre, même pour un grand breton , ce qui de plus réduirait les frais de traduction à néant.
Le problème serait alors instantaément résolu .
Il est tant de résister enfin à la tentative d'hégémonie des anglos saxons sur la culture mondiale.
Quod erat démonstrandum diraient en rigolant les vieux latins ...
babilema (25-09-2007 11:47:32)
Contrairement à ce qu'affirme Philippe ( 24/09 à 10 h 55) l'espéranto est parlé dans les pays asiatiques ( Japon, Chine, en particulier ). J'ai pour ma part des correspondants chinois, qui ne parlent ni n'écrivent le français ni le fogtalk ( parler brumeux de la perfide Albion)avec qui je converse régulièrement en espéranto, puisque je ne pratique ni le mandarin, ni le han, ni, bien sûr le fogtalk. Et, tenez-vous bien, nous nous comprenons. Je suis à votre disposition, Philippe, pour vous éclairer sur la internacia lingvo (langue intenationale).
MA de Colbert (24-09-2007 15:31:47)
Bien qu'habitant l'Afrique du Sud depuis 14 ans, je vote toujours en France et je viens d'envoyer à mon député, votre remarquable article sur le Protocole de Londres. Je suivrai avec attention le vote français du 26 septembre...
hébert Philippe (24-09-2007 11:32:10)
Je parle personnellement l'anglais très bien, l'espagnol très très bien, le portugais couramment, et suffisamment d’allemand pour survivre en Allemagne. Je fais de mon mieux en français. Quand à savoir quel anglais il faudrait parler… ? J’ai déjà entendu des collègues anglais réclamer à nos collègues états-uniens des notices en…. anglais !
Bien que n’étant pas gêné par les problèmes de langue (je suis allé jusqu’à faire de la traduction quasi simultanée entre antre anglais et espagnol). Je suis partisan d’apprendre un français correct aux enfants (notamment rappeler que les liaisons ont leur importance avec l’Euro en particulier), et de leur apprendre correctement l’anglais pour les doter d’une langue véhiculaire. Cependant si le nombre de locuteurs doit guider le choix de la seconde langue à apprendre, je suggère l’apprentissage immédiat du mandarin et l’hindi (parlé par 40% des indiens, soit deux fois la population de l’Europe des 23), langues qui risquent à brève échéance de devenir véhiculaires par la force des choses.
Par pitié arrêtons de baisser les bras et ne nous précipitons pas dans le giron des états-uniens (le terme américains s’appliquant à tous les habitants des Amériques nord et sud, qui étaient là pour la plupart, bien avant les états-uniens). Parlons correctement le français, apprenons correctement l’anglais et non ce consternant « frogtalk » que l’on entend dans ces fameuses réunions en France entre français qui sont par ailleurs souvent incapables de faire une phrase de plus de dix mots en français, sans faire une ou deux phautent.
philippe (24-09-2007 10:55:38)
Merci pour cet article qui met en lumière les "dangers" qui se profilent avec ce superbe avenir productif efficace rationnel organisé modialisé, avenir dans lequel, bizarement, de plus en plus d'entre nous aura du mal à vivre, à travailler.
L'espéranto ne met sur un pied d'égalité que ceux qui ont une langue du genre des langues latines, les langues asiatiques sont totalement différentes.
L'europe pourrrait consacrer un budget à la recherche de la traduction automatique. En dehors du résultat pratique escompté cela ferait progresser plusieurs domaine de recherche scientifique avec un but concret.
Olivier Cadic (24-09-2007 10:20:00)
La France a longtemps fait du lobbying pour obtenir le traité de Londres. Cette simplification était demandée par les entreprises françaises.
Si la France ne ratifiait pas le traité qu'elle a voulu et signé en 2000 par le gouvernement Jospin, son image serait pour le moins fantaisiste.
J'éprouve beaucoup de tristesse devant ce débat qui affaiblit une nouvelle fois notre pays sur la scène européenne.
Bien à vous,
Olivier Cadic
Conseiller à l'Assemblée des Français de l'Etranger
Pierre Humbert (24-09-2007 08:35:38)
Comme l'a dit Astoul, l'espêranto est la solution idéale. Toutefois, il me semble qu'il y a lieu de s'inquiéter de l'inféodation qui se prépare de notre gouvervenement à celui des Etats-unis, et la gent anglo-saxonne en général. Le parler des grenouilles gauloise n'a rien à envier au dialecte de la perfide Albion, n'en déplaise à ceux qui le considèrent comme la langue universelle. Avec cette tentative d'hégémonie de la langue de Bush et consorts, on sent poindre l'inquiétude parmi les gens sensés (de toute nationalité).
Gerd Michelmann (23-09-2007 13:03:15)
Concernant l'article sur le protocole de Londres - il faudrait peut-être se réveiller et regarder une vérité en face : La France avec ses 60 millions d'habitants peut bien se retirer sur sa langue et devenir ainsi un pays musée dont l'économie dépendra des humeurs des touristes des autres pays - mais si la France veut continuer de jouer un rôle important dans le monde, il faudra bien accepter de se mettre à la langue vernaculaire internationalement acceptée.
Le petit gaulois qui résiste aux méchants maîtres du monde - c'était de la fiction !
Patrice (23-09-2007 13:01:04)
Nous n'allons quand même pas attendre les prochaines élections pour sanctionner le gouvernement avec des résultats pour le moins aléatoires. Et trop tard.
Le texte ci-dessus concerne l'ensemble des francophones: Français, Wallons, Suisses romans,Québecois, Africains francophones. Une pétition via Internet permettrait de récolter des dizaines de milliers de signatures en très peu de temps... Agissons. Vite.
Astoul (23-09-2007 12:45:38)
Pourquoi ne parle-t-on jamais de l'Esperanto ? Cette langue, facile à apprendre, et non ancrée dans un pays met tout le monde sur un pied d'égalité.