La crise européenne

L'Europe à reculons

4 décembre 2022 : les Européens s’inquiètent devant la récession qui se profile, une crise énergétique inédite, une vague migratoire hors de contrôle et qui plus est, la menace que font peser sur leur industrie les mesures protectionnistes des États-Unis. Tout cela n’a rien de fatal. Nous y voyons la conséquence d’un choix idéologique et politique en rupture radicale avec tout ce qui a fait la prospérité et la grandeur de l’Europe dans les siècles précédents...

En un millénaire, jusqu’à l’aube du XXe siècle, l’Europe occidentale a davantage changé le monde que toutes les civilisations qui l’ont précédée ou accompagnée. Par ses avancées scientifiques et sociales, elle a permis à la plupart des hommes de doubler leur espérance de vie et d’accéder à de confortables conditions de vie. Cet exploit appartient au passé.

Aujourd’hui, le monde entier défie l’Europe occidentale, y compris même ses alliés « naturels » : la Russie, qui a pris le parti de s’en détacher complètement et de la combattre au risque de se détruire elle-même, et les États-Unis, qui ont entrepris de détruire l’industrie européenne en subventionnant outrancièrement leur propre industrie ainsi que leurs énergies fossiles.

De même que l’Allemagne a cru profiter de la démocratisation de l’Europe orientale et de l’Ukraine en particulier pour approvisionner ses usines en main-d’œuvre qualifiée et bon marché, de même les États-Unis se disent-ils qu’au bout du compte, ils pourront profiter d’une immigration massive de tous les jeunes Européens éduqués, empressés de fuir un continent en voie de déclassement.

Les difficultés qui se profilent n’ont rien de fatal. Elles découlent des choix idéologiques des classes dirigeantes européennes, soucieuses de dissoudre au plus vite les vieux États-nations dans une Union européenne uniforme.

Les parlements nationaux ont délégué à des cours européennes la réécriture de leur droit, le même à Copenhague (Danemark) et La Valette (Malte), et à la Commission européenne l’initiative de la politique industrielle et commerciale : traités de libre-échange, cession des champions européens à des tiers chinois ou américains, etc. Jusqu’aux dates d’ouverture de la chasse aux oiseaux migrateurs, désormais fixées à Bruxelles et non plus dans les préfectures.

Chacun mesure aujourd’hui les conséquences de cette suradministration européenne dans la crise de l’énergie et la récession qui menacent toute l’Europe : les causes directes tiennent au démantèlement de la filière nucléaire française, à l’alignement du prix de l’électricité sur le prix du gaz ainsi qu’à l’interdiction faite aux constructeurs automobiles de poursuivre la fabrication de véhicules thermiques au-delà de 2035.

Cette perte d’autonomie des États-nations est une rupture brutale avec ce qui a fait la singularité de la civilisation européenne, à savoir l’émulation constructive entre toutes ses composantes.

L’Europe ancienne : « unie dans la diversité » (devise de l’UE !)

Pourquoi la modernité (révolution industrielle, émancipation des femmes, démocratie parlementaire, etc.) est-elle apparue en Occident plutôt qu'en Chine ou en Inde ? Peut-être du fait de la division politique de l'Europe !

Il y a deux mille ans, le monde euro-méditerranéen et l’Extrême-Orient étaient dominés par deux grands empires, Rome et la Chine, qui avaient fait la synthèse de tous les acquis du demi-millénaire antérieur : les apports de la Grèce et de l’hellénisme d’une part, ceux des Royaumes Combattants de l’autre.

Après les secousses du premier millénaires (épidémies, invasions hunniques, régression démographique), la Chine a retrouvé sa splendeur sous la dynastie des Song cependant que la partie orientale de l’empire romain s’est rétablie sous la forme de deux grands empires, Byzance et Bagdad.

Malgré les faux-semblants de la restauration de l’Empire d’Occident par Charlemagne, l’extrémité de l’Europe a quant à elle sombré dans le plus grand dénuement et ce dénuement a permis à l’Europe de se reconstruire sur des bases inédites.  

Après la disparition des cités antiques, centres de consommation et de pouvoir, qui pressuraient la paysannerie, le territoire européen a été partagé entre des guerriers et ceux-ci se sont efforcés vaille que vaille de protéger leurs paysans car ils en dépendaient absolument pour leur survie.

C’est ainsi que dans cette société dite « féodale », chacun s’est habitué à respecter le droit coutumier. Il s’en est suivi des rapports de confiance, avec l’assurance que nul ne serait indûment privé du fruit de son travail. Les investissements de long terme ont permis le développement économique et la renaissance des villes, non plus comme centres de consommation et de pouvoir mais comme lieux de production et d’échanges.

Ce développement a été facilité par un redoux climatique (XIe-XIIIe siècles) et l’absence d’invasions. Il s’est accompagné d’un grand brassage de populations (marchands, pèlerins, intellectuels, moines, guerriers). Par-delà les différences locales, il a contribué à forger l’identité européenne.   

Au sein de cette Europe unie par une commune civilisation et une même religion, les seigneuries féodales en sont venues à se regrouper sous la forme de grands États monarchiques rivaux.

Ce phénomène s’était déjà produit à l’autre extrémité du monde, dans la Chine, à l’époque des « Royaumes combattants » (Ve-IIIe siècles avant notre ère), brutale mais très féconde (émergence du confucianisme, de la littérature chinoise et des fondements de la civilisation chinoise).

Mais alors que ces royaumes avaient fini par tomber sous la férule du Premier Empereur, Qin Shi Huangdi (260 à 210 av. J.-C.), ils ont en Occident conservé leur souveraineté et, par un savoureux paradoxe, leurs rivalités ont assuré à la civilisation européenne les succès que l’on sait. En effet, chaque fois qu’un pays européen s'essoufflait dans une entreprise de progrès, un autre prenait le relais.

Ainsi, la pensée philosophique occidentale (Abélard, Bernard de Chartres, etc.), l’art gothique ou encore le mouvement communal sont-ils nés dans le Bassin parisien, au cœur de la Chrétienté médiévale mais quand la France a basculé dans les tourments de la guerre de Cent Ans, ces innovations ont été relancées dans les pays voisins (Angleterre, Italie, Allemagne).

Au siècle suivant, les marins portugais se sont lancés dans l’exploration des côtes africaines, la création des premiers comptoirs ultramarins (Ceuta en 1415). À la fin du siècle, ils ont abordé les côtes de l’Inde et se sont engagés dans le fructueux commerce des épices. Mais entretemps, leurs succès avaient attisé la convoitise de leurs voisins espagnols, lesquels ont lancé de Séville une expédition sous le commandement de Christophe Colomb… À leur tour, les marchands hollandais se sont lancés dans l’aventure. Ils ont évincé les Espagnols avant d’être à leur tour contrecarrés par les Anglais...

Au XVIIe siècle, cette dernière s’est dotée d’une puissante industrie textile grâce à des lois protectionnistes d’une extrême rigueur. Auparavant, l’Angleterre se contentait de vendre la laine de ses moutons aux tisserands hollandais et flamands. Désormais, elle tisse cette même laine et aussi, de plus en plus, le coton en provenance des autres continents. Il s’ensuit la première révolution industrielle. Mais au milieu du XIXe siècle, l’Allemagne et les États-Unis, à leur tour, reprennent les recettes anglaises (protectionnisme, soutien massif à l’industrie) et font tomber l’Angleterre de son piédestal.

Rien de tel en Chine où la concentration du pouvoir entre les mains d'un seul homme a stérilisé les efforts des uns et des autres. Quelle meilleure illustration que les grandes expéditions de la « Flotte des Trésors » ! Cette flotte de 200 jonques géantes et 30.000 hommes va de 1405 à 1433 explorer l’océan Indien, jusque sur les côtes africaines, avec l’aval de l’empereur Yongle et de son fils. Las, voilà que les lettrés confucéens convainquent le nouvel empereur de renoncer à cette entreprise coûteuse et dont ils ne voient pas l’intérêt. C’est ainsi que, sur un mot de l’empereur, la Chine aura abandonné aux Portugais et à leurs suiveurs les richesses de l’Asie des épices !

Au XVIIe siècle, en recevant à Pékin les missionnaires jésuites tel Matteo Ricci, la cour impériale prend acte de l’avance imparable acquise par les Européens dans les sciences. Quel contraste avec l’arrivée de Marco Polo, trois siècles plus tôt : le marchand vénitien avait alors été subjugué par les performances de la civilisation chinoise.

Un esprit malveillant pourrait en conclure que l'Union européenne risque de briser l'élan créatif des Européens en corsetant les initiatives locales ou nationales dans des réglementations tatillonnes ou dogmatiques, de la même façon que la cour impériale de Pékin a bridé la créativité chinoise depuis le XVe siècle...

L’Europe du XXIe siècle : désunie dans l’uniformité ?

Jusqu’à l’aube du XXe siècle, les rivalités européennes se sont soldées par de nombreuses guerres dynastiques ou nationales. Celles-ci débouchaient régulièrement sur des paix de compromis. Elles étaient au demeurant bien moins ravageuses que les guerres intestines qui ont périodiquement affecté l’empire chinois.  

Cela a changé avec la Grande Guerre qui a brisé l’élan européen. On peut en voir l’origine dans l’extrême concentration de l’Europe en 1914.

À l’issue des traités de Westphalie de 1648, l’Europe et notamment l’Allemagne étaient sorties plus divisées que jamais. Les trois cents principautés allemandes, empêchées de se faire la guerre, ont alors rivalisé avec éclat dans les arts (musique, philosophie, etc.). Leibniz, Bach, Mozart, Beethoven, Kant, Goethe, etc. sont les fruits goûteux de ces traités.

Deux siècles plus tard, au nom du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », voilà que l’Italie et l’Allemagne refont leur unité. En 1914, l’Europe est dominée par trois grands empires multinationaux et autocratiques, la Russie, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne. Et c’est de leur confrontation que vont surgir les deux guerres mondiales, la Première portant en germe la Seconde.

À la chute du nazisme, l’Allemagne, à nouveau divisée, a retrouvé une nouvelle jeunesse et une grande créativité (industrie, littérature, cinéma), du moins dans sa partie occidentale. La construction européenne, conçue comme une arme de guerre face à la menace soviétique, a tenu ses promesses : elle a évité jusqu’à la chute de l’URSS, le retour de la guerre sur le Vieux Continent.

Dans le même temps, les États de la Communauté économique européenne ont eu à cœur de renforcer leur solidarité naturelle sans pour autant porter atteinte à leur souveraineté. Jusqu’en 1989-1991, les réalisations intergouvernementales (Airbus, Ariane, Erasmus, Schengen, etc.) ont consolidé la place de l’Europe à l’avant-scène mondiale. Les Américains eux-mêmes, malgré leur supériorité militaire, culturelle et économique, ont dans cette première phase de la construction européenne considéré leurs cousins comme des alliés et non comme des vassaux ou des protectorats.

Avec l’effondrement de l'URSS et la fin de la guerre froide, la principale raison d’être de l’Union européenne a disparu. Le président François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl ont alors perdu l'occasion de resserrer leurs liens politiques en oeuvrant pour une Europe solidaire et stratégiquement autonome, « de l'Atlantique à l'Oural » selon le mot du général de Gaulle. Les deux dirigeants européens ont cru plus urgent de faire entrer l'Europe dans la mondialisation économique, sous l'égide des États-Unis.

La première étape fut l’union monétaire, consacrée par le traité de Maastricht. La même année, par un sombre présage, la guerre faisait son retour sur le Vieux Continent, en Yougoslavie, et avec elle survenaient les premiers différents politiques entre Français et Allemands, les premiers soutenant les Serbes, les seconds les Croates. 

Une génération plus tard, la guerre est plus que jamais présente en Europe et, au sein même de l'Union européenne, les États cachent mal des divergences de fond, sur l'attitude à l'égard de la Russie, sur les relations commerciales avec la Chine et les États-Unis, sur la politique énergétique, sur les options stratégiques et même sur les droits humains. Souhaitons que la prochaine génération retrouve la sagesse des Pères de l’Europe et remette au premier plan la solidarité intergouvernementale et l'autonomie commerciale et militaire de l'Union, sans plus se soucier d'acheter des armes aux États-Unis ou de multiplier les accords de libre-échange avec le reste de la planète.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2022-12-05 14:56:38
Volpi Rémy (06-12-2022 18:51:46)

Yves Petit je vous sais gré de votre réaction tant elle met bien en lumière l'écart entre nos deux perceptions. Tout d'abord le nazisme. Il a été analysé (Bernard Barthalay) comme étant "la forme extrême de la dégénérescence de l'État national". Et vous-même évoquez le "fanatisme porté à son paroxysme", en omettant toutefois de préciser à propos de quoi. Or c'est précisément à propos de l'État national ("Deutschland über alles!). Par ailleurs, on se méprend totalement quand perçoit les européistes fédéralistes comme ennemis des nations et des identités nationales ("le mondialisme"). Ils en sont tout au contraire les meilleurs amis quand on a bien saisi les méfaits tragiques du souverainisme. Quand aux capitalistes, ou plutôt les entrepreneurs, que j'ai fréquentés professionnellement toute ma vie, je les sais majoritairement protectionnistes. Un marché protégé c'est plus facile. Ce sont les politiciens, et les économistes, qui ont poussé à la roue pour un grand marché unique continental. Les premiers pour la paix intra-européenne (deux guerres mondiales et trois totalitarismes dus au national-souverainisme, ça fait mal). Les seconds pour que les économies d'échelle rendues possibles par la dimension continentale du marché contiennent les prix, et ceci grâce à "la concurrence libre et non faussée". Cela dit, il est incontestable que la croissance "non stop" est une tragique impasse. Mais est-ce intrinsèquement le fait du capitalisme? Où cela est-il écrit? Pour ma part je considère que cette croissance incessante n'est pas l'oxygène du capitalisme ainsi qu'on le prétend volontiers. Je pense que le marché - vous et moi - est en large part responsable: nous n'achetons pas du Coca Cola ou des hamburgers poussés par la force des bayonnettes. A moins de nous considérer comme d'humbles larves destructrices. Non. Nous sommes, en régime libéral, ou capitaliste si vous voulez, dans un univers régi par l'influence. Autrement dit, nous sommes tous responsables de ce que nous faisons. Le penseur Ivan Illich était bien de cet avis, lui qui préconisait, comme façon révolutionnaire de vivre, "la convivialité", qu'il définissait comme l'austérité joyeuse: moins d'avoir inutile, plus d'être. Devenir de meilleurs humains, en somme. Ce qui, comme la liberté, demande un travail exigeant sur soi. C'est sans doute là l'obstacle majeur: la recherche de boucs émissaires est quand même autrement plus tentante, comme le voyait René Girard dans sa magistrale analyse.

Yves Petit (05-12-2022 22:05:36)

Volpi, vous oubliez les capitalistes dans votre analyse. Ce sont eux dans leur soif incessante de croissance qui désirent plus que tous une Europe marché unique, lois et réglementation uniformes. Cette belle uniformité leur faciliterait la tâche de commercer sans entraves indues des nombreux gouvernements. Or, le sentiment national existe et c'est plutôt une bonne chose qu'une mauvaise. La barbarie nazie n'était pas du nationalisme, c'était du fanatisme porté à son paroxysme. La fuite en avant doit s'arrêter maintenant, non pas pour déplaire aux mondialistes comme vous ou vos amis capitalistes mais pour sauver la planète d'une auto-destruction dû à une hyper-croissance, à l'image d'un cancer généralisé qui caractérise un corps incapable de s'autorégulé.

Volpi Rémy (05-12-2022 14:46:52)

J'insiste, ce sont pas les élites qui ne comprennent pas l'Europe. D'autant moins que, contre toute attente, ce sont les élites éclairées qui l'ont créée. Mais comme disait finement Jean-Claude Juncker, "les hommes politiques savent ce qu'il faut faire mais ils ne savent pas comment être réélus s'ils le font". Autrement dit, c'est l'opinion publique, qui en dernière analyse gouverne. Mais qui, par inertie mentale, en est restée à une vision du monde inculquée par les Ernest Lavisse. Celle de la narration nationaliste narcissique en guise de grille d'analyse historico-politique. Or, si le patriotisme c'est l'amour des siens, le nationalisme c'est la haine des autres. Et c'est cette matière hautement explosive qui, à l'évidence, est la cause même du suicide européen. Et c'est bien l'opinion publique, qui ne parvient pas à se désintoxiquer des vapeurs opiacées des nationalismes de la fin du XIXè siècle, qui freine des quatre fers pour empêcher que l'Europe de la raison, une Europe fédérale unie, ne se constitue. Opération qui, techniquement, ne demande pas des décennies et des décennies de louvoiements, mais quelques mois, si on se réfère aux précédents (Suisse, RFA, Autriche). Aussi, par la volonté de l'opinion publique tétanisée par le concept rationnel d'une Europe forte dans un monde de brutes, l'Europe, géant économique est politiquement un nain dans le concert des nations ("L'Europe? Quel numéro de téléphone?" ironisait Henry Kissinger). Quand aux nations européennes seules, elles ne font plus et de loin le poids, comme le remarquait justement à la fin des années quarante Paul-Henry Spaak. Pendant que la Russie, en proie aux vieux démons nationalistes d'un autre âge s'emploie consciencieusement à se ruiner, un dragon asiatique qui vient de s'éveiller, tel Raminagrobis ne fera qu'une bouchée des protagonistes européens. Bien joué les nationalistes!

Francis (05-12-2022 14:33:39)

Curieux article, dont j’ai quelque peine à adopter le cheminement malgré le caractère séduisant -mais forcément simplificateur - des grandes chevauchées historiques, enjambant siècles et continents. La méthode n’est pas sans rappeler celle qu’affectionnent les amateurs de géostratégie, qui visent ainsi à trouver un peu de rationalité dans un monde contemporain pour le moins déboussolé.

Christian (05-12-2022 07:01:00)

Très bon article ! Il est juste de rappeler que le "retour de la guerre en Europe" remonte à plus de trente ans (avec l'éclatement de la Yougoslavie) et que c'est la Russie qui a pris le parti de se détacher complètement de l'Europe occidentale "au risque de se détruire elle-même".

Xuani (04-12-2022 18:03:49)

Merci à André Larané pour ses articles toujours documentés, qui nous offrent de la matière à penser. Mais sur le plan du diagnostic, je rejoindrais plutôt Rémy Volpi. L'Europe semble n'avoir jamais réussi à dépasser le stade initial de la communauté économique, et l'unification sociale et politique reste très en-deçà de ce qu'on aurait été en droit d'espérer il y a 30 ans. Résultat, l'Europe, qui était tout de même une réalité où l'on sentait le souffle de l'esprit, a troqué son projet contre une monnaie unique, et son âme contre un paquet de billets de banque. N'est-ce pas faute d'un projet politique fort que nous sommes désormais vassaux et non plus partenaires des USA?
J'ajouterais que, effectuant le suivi de la politique européenne dans un domaine, très étroit il est vrai, je dirais que les décisions - ou au moins les propositions - les plus intéressantes viennent de la Commission plutôt que des Etats membres, ceux-ci étant souvent désastreux tant au sein du Conseil qu'en comitologie - pour utiliser l'un des affreux néologisme dont l'UE a le secret. L'Europe est affligée de certains maux - la puissance des lobbies notamment (que nous nous présentions en parangons de la démocratie face aux Russes ou aux Chinois me fait parfois rigoler...), et une technocratie parfois pesante. Mais quand une institution a des défauts, on ne l'élimine pas, on la réforme. Alors oui plus d'Europe, mais une Europe réformée, plus proche de ses citoyens et plus indépendante des pouvoirs économiques.

Lebrun (04-12-2022 16:12:18)

Faire seulement des comparaisons et transpositions entre la Chine et l'Europe, dans les périodes avant JC et depuis, oui. Il y avait peut-être aussi une communauté de pensées, de culture, INDO-européenne qui traverse et structure bien plus largement sur plusieurs millénaires d'est en ouest et du nord au sud le continent européen. Sinon, cette grille de lecture de la crise européenne que décrit André, me convient bien quand même. Une des ressources dont on néglige souvent l'importance en Europe, c'est la diversité des langues. La tour de Babel européenne était une force dont la mondialisation anglo-saxonne a détruit et continue à démolir ses capacités et son imaginaire (la Bible a prédit ce qu'il en adviendra). Nos élites européennes "éduquées" lui construisent des temples et laissent sur les parvis la majeure partie de ses forces vives. Pour la période récente (30 ans) je pense plutôt que c'est le décrochage des élites qui plombe nos espérances. L'Europe a bradé notre industrie à la Chine pour asservir nos ouvriers et la finance aux US pour quelques papiers-dollars de plus dont on voit aujourd'hui la fragilité inflationniste.

Volpi Rémy (04-12-2022 16:03:48)

Cet article clair est intéressant en ce qu'il est le reflet fidèle d'une vision du monde assez largement répandue. Pour autant qu'il soit permis au métèque que je suis, né à Paris pendant la, guerre d'un père italien et d'une mère russe, époux d'une Polonaise du couloir de Dantzig, d'exprimer son profond désaccord sur un certain nombre de points clefs.
Il est vrai que l'Europe, qu'Emmanuel Levinas définissait comme "la Bible et les Grecs" (et l'on pourrait sans risque d'être démenti ajouter les Romains), a dominé au XIXè siècle l'univers. Il est vrai que les avancées matérielles, médicales, sociales ont apporté aux Occidentaux en un temps record un niveau de vie jamais atteint dans l'histoire de l'humanité. Mais il est non moins vrai que la partition de l'Europe en Etats-nations souverains, certes source d'émulation, et grande œuvre du XIXè siècle, a mené en droite ligne l'Europe de la première moitié du XXè siècle à devenir le "continent des ténèbres" (The Dark Continent" dit l'historien britannique Mark Mazower). C'est qu'avec la disparition progressive d'une instance supérieure, ressort de l'histoire du second millénaire, les relations internationales européennes (la "Realpolitik") sont devenues celles régnant au sein d'un panier de crabe. Ordre et civilisation à l'intérieur, retour à la barbarie à l'extérieur par la possibilité exercée sans timidité de donner libre cours aux pulsions primaires du paléo-encéphale reptilien: deux guerres totales mondiales, trois totalitarismes tous plus abjects les uns que les autres. Autrement dit, l'Europe ne peut s'en prendre qu'à elle-même si "son exploit appartient au passé". Cet article se lamente de ce que l'Europe ne soit plus constituée selon le mode qui a mené à son suicide. Mais quelle absurdité! De plus, et là on atteint le comble, on lit que "[les difficultés actuelles de l'Europe] découlent des choix idéologiques des classes dirigeantes européennes soucieuses de dissoudre au plus vite les vieux Etats-nations dans une Union européenne uniforme". C'est là une contre-vérité flagrante, c'est pourquoi je me permets d'insister peut-être lourdement mais en tout cas comme il se doit. Lorsque Robert Schuman a présenté le 9 mai 1950 le projet de la CECA, entité supranationale de nature économique, il précisait qu'il s'agissait de la première étape vers une fédération européenne, et que le but était la paix, en Europe et dans le monde. Et il ajoutait que cette entité aura pour mission urgente le développement de l'Afrique. Mon interprétation de la raison d'être de cet étonnant projet est que l'Europe, pointe avancée de l'aventure humaine, capable du meilleur comme du pire, après s'être vautrée de manière obscène dans le pire se devait vis-à-vis du reste du monde de donner dans le meilleur. De devenir une "soft power", une source d'inspiration positive pour le reste du monde en devenant un espace modèle de paix, de prospérité et d'éthique. Robert Schuman parlait de fédération au motif que cette forme d'association préserve plus que toute autre les identités nationales, régionales, locales. La Confédération helvétique est en réalité depuis 1848, une fédération. Or c'est bien le pays où les identités sont hautement vivaces, où les cantons (un canton suisse est en fait une "nation"), de taille, d'économie, de langue, de droit, de mœurs, de religion différents, fonctionnent sous l'égide d'un gouvernement fédéral démocratiquement élu et démocratiquement contrôlé. Les décisions fédérales, d'intérêt commun, s'imposent aux cantons, tandis que par le principe de subsidiarité, les autres questions sont traitées souverainement aux niveaux subalternes. Pour l'Europe, un gouvernement fédéral serait de même une entité supranationale souveraine, élue et contrôlée démocratiquement, en charge de toutes les affaires d'envergure continentale. C'est-à-dire celles qui ne peuvent être gérées efficacement qu'au niveau continental: politique extérieure, défense, écologie, énergie, criminalité organisée, immigration, etc... De cette forme, absurdement perçue comme attentatoire à l'identité et à la souveraineté (qui en réalité dans le système fédéral n'est pas abandonnée mais déléguée), l'opinion publique ne veut pas. Et par une entourloupette de type "self-fulfilling prophecy", prophétie autoréalisatrice, on impute à l'Europe actuelle, inachevée du fait même de l'opposition de l'opinion à tout niveau, les maux dus à son inachèvement. Et l'on aspire à un retour au statu quo ante, dont on voit avec le comportement actuel de la Russie les consternantes conséquences tragiques. Le pauvre Descartes doit se retourner dans sa tombe!

Desmons (04-12-2022 13:58:38)

Tout l'esprit de cet article est dans son chapeau (...[Nous y voyons là...]...). Quand l'anamnèse est fondée sur un euroscepticisme viscéral, il ne faut pas s'étonner de voir posé un diagnostic erroné.
Tout le mal viendrait donc de la disparition (?) des pouvoirs des États, la souveraineté étant le nec plus ultra de la créativité et de l'efficacité.
Vraiment ?

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