L'Histoire revisitée

Pour Berlin, l'Holodomor ukrainien est un génocide

30 novembre 2022 : le Bundestag vote aujourd'hui une résolution qualifiant de génocide la « Grande famine » qui a frappé le sud de l'URSS et tout particulièrement l'Ukraine en 1932-1933. Après leurs homologues ukrainiens, roumains, moldaves et irlandais, les députés allemands s'érigent ainsi en experts en génocides, contre l'avis de la plupart des historiens et en dissonance avec l'ONU...

En 1932, alors que le monde occidental sombrait dans une crise économique sans précédent, le gouvernement de l'URSS, sous la férule de Staline, se flattait d'exporter tant et plus de céréales. C'était afin de financer l'industrialisation du pays. Mais ce succès apparent ne fut obtenu qu'au prix de réquisitions forcées d'une extrême brutalité. Privés du minimum vital et empêchés de se réfugier dans les villes, des millions de paysans allaient périr en quelques mois. C'était une réédition de la famine qui avait accompagné la guerre civile entre Rouges (bolchéviques) et Blancs (démocrates et monarchistes) une dizaine d'années plus tôt (3 millions de morts).

Mais alors que cette première famine avait surtout frappé les populations russes des bords de la Volga, cette fois furent principalement frappés les paysans des terres fertiles du sud : Kazakhstan (1,4 million de morts sur 4 millions d'habitants), bord de la Volga et nord du Caucase (plusieurs centaines de milliers de morts) et surtout Ukraine (3,5 millions de morts environ sur 35 millions d'habitants). « Ce sont les régions agricoles les plus riches et les plus dynamiques, celles qui avaient à la fois le plus à donner à l’Etat et le plus à perdre du système d’extorsion de la production agricole mis en place au terme de la collectivisation forcée des campagnes », explique l'historien Nicolas Werth.

Les Ukrainiens « redécouvrent »  le crime commis à leur encontre

Le drame fut longtemps relégué parmi les multiples crimes du régime soviétique et c'est seulement à la fin des années 1980 qu'il réapparut en pleine lumière à l'initiative des Ukrainiens. Ils baptisèrent alors Holodomor (« extermination par la faim » en ukrainien) le drame qui frappa la République socialiste soviétique d'Ukraine. Après l'indépendance de 1991, « la "redécouverte" de la famine a joué un rôle crucial dans le débat politique, dans la confrontation entre tenants d’une rupture avec la Russie et partisans d’un maintien de liens étroits avec le "grand frère russe" », écrit Nicolas Werth.

Le 16 mai 2003, le Parlement ukrainien adoptait une résolution qualifiant la grande famine de 1932-1933 de « génocide du peuple ukrainien ». Le 28 novembre 2006, le président Viktor Iouchtchenko a fixé au 25 novembre le jour du souvenir du Holodomor tandis que le Parlement a rendu passible de poursuites pénales la contestation dudit génocide.

Dans le même temps, les députés ont entamé la réécriture de leur Histoire en vue d'effacer toute forme de lien historique, culturel ou sentimental avec le grand voisin russe. En 2014, ils ont poussé l'audace jusqu'à enlever à la langue russe, parlée par un cinquième des Ukrainiens, son statut de langue officielle au côté de l'ukrainien, ce qui a eu pour effet de déclencher le soulèvement du Donbass russophone et l'intervention armée de la Russie, avec les conséquences que l'on sait.

Quoi qu'il en soit, conformément à la définition donnée par le juriste Richard Lemkin, l'ONU s'en tient pour l'heure à la reconnaissance officielle de trois génocides : les Juifs d'Europe (1941-1945), les Arméniens (1915) et les Tutsis (1994). Quant aux historiens, ils dénient pour la plupart le qualificatif de génocide à la « Grande famine ». Il y voient plutôt, comme Alain Blum, l’épisode paroxystique de la « guerre contre la paysannerie » menée par le pouvoir bolchévique depuis les années 1920 et le résultat de « l’obstination du pouvoir stalinien et de Staline lui-même » (note).

Pour les députés allemands, « Holodomor-Shoah, c'est du pareil au même » !

Le 25 novembre 2022, neuf mois après l'invasion russe et 90 ans après la « Grande famine », le gouvernement ukrainien a donné un retentissement international à la commémoration d'Holodomor (on n'a pas le souvenir qu'il ait commémoré de façon aussi solennelle l'an dernier le 90e anniversaire du massacre de Babi Yar). Émus par cette commémoration et l'appel du président Zelensky à imiter son pays, les députés de trois pays européens, la Roumanie, la Moldavie et l'Irlande, ont sans attendre voté une résolution qualifiant Holodomor de génocide.

Oublieux de sa prudence jésuitique, le pape François a lui aussi qualifié Holodomor de génocide et même dressé une comparaison avec « le martyre de l’agression » de l’Ukraine par la Russie. Serait-ce à dire que l'invasion de l'Ukraine est à mettre sur le même plan qu'un génocide, autrement dit que la Shoah ?

On peut craindre que ces proclamations donnent du grain à moudre à tous les révisionnistes désireux de minorer l'horreur indicible de la Shoah. D'autre part, comment justifier que soient exclus de la compassion universelle les Kazakhs et les paysans de la Volga ? Auraient-ils moins d'humanité que les paysans ukrainiens ?

En ce mercredi 30 novembre 2022, les députés du Bundestag se disposent à joindre leur vote à leurs confrères européens avec un projet de résolution selon lequel la direction soviétique « s’est efforcée de contrôler et de réprimer les paysans ainsi que le mode de vie ukrainien, la langue et la culture », avec pour objectif la « suppression politique de la conscience nationale ukrainienne ». Ce « crime politique » entre ainsi dans la « classification historico-politique du génocide du point de vue actuel ».

Notons que les députés allemands n'osent pas arguer de la « classification juridique du génocide » qui ne tiendrait pas devant le droit international. Ils ont inventé pour le coup une « classification historico-politique » dont on ne sait pas trop ce qu'elle veut dire. Cela n'enlève rien à l'indécence de leur démarche.

Même si nos amis allemands ne portent aucune responsabilité dans les crimes nazis, leurs députés devraient éviter de faire la leçon à autrui en matière de génocide et de crimes. Ils en viendraient autrement à nous faire oublier les magnifiques démonstrations d'humanité des chanceliers Konrad Adenauer et Willy Brandt

Pour ne rien arranger, la résolution du Bundestag intervient quelques jours après que la chambre haute allemande, le Bundesrat, a élargi la loi concernant le négationnisme, jusque-là limitée à la négation de la Shoah, passible de peines d’amende et de peines de prison. Désormais sont également punissables « l’approbation publique, la négation ou la banalisation grossière du génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ». De quoi faire condamner l'auteur du présent article !...

André Larané
 
Publié ou mis à jour le : 2022-11-30 22:31:31
Yann (16-05-2023 19:52:02)

Je pense que Nestor Makhno doit vous parler un minimum ! Pourtant, vous ne relevez pas la concordance entre l’intervention de l’Armée Rouge en Ukraine et la trahison de celle-ci envers la «Makhnovchtchina»… Il ne s’agissait donc pas d’une simple guerre contre la paysannerie mais bien contre un peuple qui avait gagné son indépendance sur les Allemands, les Autrichiens et les Russes Blancs !
Wikipedia : « Nestor Ivanovitch Makhno (ukrainien : Нестор Іванович Махно), né le 26 octobre 1888 à Gouliaï Polié (ou Houliaïpole) — ville de l'ouïezd d'Aleksandrovsk du gouvernement de Iekaterinoslav, alors située dans l'Empire russe — et mort le 25 juillet 1934 dans le 20e arrondissement de Paris (France), est un communiste libertaire d'origine cosaque zaporogue, fondateur de l'Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne, qui, après la révolution d'Octobre et jusqu'en 1921, combat à la fois les « Armées blanches » tsaristes contre-révolutionnaires et l'Armée rouge bolchévique.
En 1898, à l'âge de dix ans, il quitte l'école pour aller travailler chez un paysan. Il y apprend l'injustice, l'humiliation puis la révolte.
En 1906, à l'âge de dix-sept ans, et à la faveur de la révolution russe de 1905, Makhno rejoint un groupe anarchiste local et s'implique dans des activités d'« expropriations » au cours desquelles un gendarme est tué. Il est arrêté, puis condamné à mort en 1910. En raison de son jeune âge, sa peine est commuée en peine à perpétuité. Il est également condamné aux travaux forcés puis est transféré à la prison de la Boutyrka à Moscou qui accueille les prisonniers politiques.
Libéré en 1917 après la révolution de Février, il rentre à Gouliaï Polié et participe à l'organisation des comités autonomes de paysans et d’ouvriers (soviets) et appelle à la collectivisation des terres et des usines.
En 1918, les armées austro-hongroise et allemande, puis nationaliste ukrainienne et enfin l’Armée des volontaires du général Dénikine et de Wrangel se livrent, successivement, au saccage de la région, voulant établir leur propre pouvoir et rétablir les anciens propriétaires. Makhno et ses compagnons parmi lesquels Maria Nikiforova organisent alors un mouvement de résistance armée. Cet élan révolutionnaire est brisé en mars 1918 par la signature du traité de Brest-Litovsk qui cède l'Ukraine à l'Allemagne et à l'Autriche en échange de la paix.
En 1919, les groupes de guérilla se transforment en une véritable armée, l'armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne (dite « Makhnovchtchina »), qui compte jusqu'à 50 000 hommes. Pour combattre les Armées blanches, il s'allie à l'Armée rouge qui se retourne finalement contre lui en 1920.
En 1921, vaincu, il fuit la l’Ukraine. Expulsé de plusieurs pays européens, il s'installe finalement à Paris en 1925, où il travaille comme ouvrier chez Renault à Boulogne-Billancourt.
En 1926, cherchant à tirer les leçons de la défaite, il rédige avec cinq autres anarchistes russes en exil un projet de « Plate-forme organisationnelle de l’union générale des anarchistes » d'inspiration communiste libertaire. Voline et Sébastien Faure s'y opposent et proposent, en réponse, la synthèse anarchiste.
Il meurt le 25 juillet 1934 et est incinéré au cimetière du Père-Lachaise en présence de centaines de personnes dont Voline qui prononce son éloge funèbre. »

Lebrun (03-12-2022 09:52:06)

Pour la suite ... qualifier de génocide de nombreux conflits meurtriers en adaptant la définition au fur et à mesure des besoins politiques du moment, c'est la meilleur manière de brouiller les re... Lire la suite

Christian (03-12-2022 05:54:20)

"Ce terme (de génocide) fait fortement écho aux famines de 1933 et aux massacres commis par les Russes contre les Ukrainiens. Or, l’identité nationale ukrainienne s’est largement bâtie ou rebÃ... Lire la suite

Edzodu (02-12-2022 16:08:30)

Lorsque je lis l'ensemble des réactions sur le sujet de savoir QUI des pays sont les plus "génocidaire" il n'y a pas de doute dans mon esprit. Lorsque des êtres humains sont au faite du pouvoir, si... Lire la suite

Christian (02-12-2022 13:00:34)

«Staline savait. Il avait étendu la pratique de la famine provoquée (en Ukraine) à d’autres régions, au nord du Caucase où vivaient de nombreux Ukrainiens, aux cosaques du Kouban… et même a... Lire la suite

Christian (01-12-2022 18:32:56)

Après relecture, je trouve assez curieux le titre figurant en première page de cette "Lettre d'Hérodote": "Berlin désigne Staline comme génocidaire". Comme je ne pense pas qu'il s'agisse de réha... Lire la suite

Philippe MARQUETTE (01-12-2022 09:37:33)

La transition de l'Union Soviétique en fédération de Russie est une prouesse. 70 ans de communisme et les dictatures consécutives de Lénine et de Staline n'ont pas abattu ce pays dont beaucoup d... Lire la suite

Michel (01-12-2022 08:59:06)

Formellement, pour être un génocide, le crime doit concerner un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Mais les communistes ont introduit une autre notion de groupe, celle liée à une cl... Lire la suite

Christian (01-12-2022 08:34:04)

Il est juste de rappeler qu'en février 2014, dans un contexte particulièrement troublé, il s'est trouvé une majorité de députés ukrainiens pour enlever à la langue russe son statut de langue ... Lire la suite

Ernestine (01-12-2022 00:38:45)

Si tacuisses, cher Deutscher Bundestag …Lorsque l’Assemblée Nationale a condamné, en 2001, le génocide des Arméniens ( en caractérisant le génocide dans les termes suivants : « Le caractèr... Lire la suite

Daumier (30-11-2022 19:11:15)

Les polonais pourraient peut être également leur soumettre le massacre des civils polonais en Volhynie par les ukrainiens pendant l'occupation allemande. La Pologne ne semble d'ailleurs pas s'ê... Lire la suite

Durand (30-11-2022 18:18:08)

Les politiques disent l'histoire depuis la loi Gayssot: ce n'est pas seulement stupide et illégitime, ça débouche aussi sur les attaques contre la liberté d'expression et de recherche.

Grabinoulor (30-11-2022 16:51:46)

Les politiques disent l'histoire depuis la loi Gayssot. Ils disent aussi la morale, et voulu dire la science. L'Eglise en en a fait autant. Jusqu'à la révolution de 1789.

Edzodu (30-11-2022 14:06:27)

Je ne suis pas plus royaliste que le roi, et mon érudition est bien mince. Aussi ai fais-je appel au dictionnaire Larousse pour connaitre la définition du mot tant galvaudé en ce moment que "Génoc... Lire la suite

Chantereau (30-11-2022 13:10:08)

Quitte à parler de génocide, la République Française s'honorerait en reconnaissant le génocide vendéen, qui correspond à la définition de 1948 (Essentiellement :population cible officiellement... Lire la suite

Germano Taquin (30-11-2022 13:08:57)

Je pense que l'on pourrait rendre la monnaie de leur pièce aux Allemands qui sont devenus (au moins les politiques) de plus en plus anti-français. Pourquoi le Parlement Français ne qualifierait pas... Lire la suite

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