Illusions perdues

Flamboyant et ennuyeux

20 octobre 2021 : ce film inspiré du grand roman de Balzac n’est pas encore sur les écrans que, déjà, toute la bonne presse le noie d’éloges. Tant mieux pour son réalisateur Xavier Giannoli dont nous avions beaucoup apprécié le film Marguerite (2015) avec Catherine Frot dans le rôle d’une cantatrice ratée.

Pour notre part, nous oublierons ces Illusions perdues, malgré l’inspiration que le réalisateur est allé chercher chez Barry Lindon (Stanley Kubrick, 1975). Benjamin Voisin, dans le rôle de Lucien de Rubempré, est très loin de la roublardise de Ryan O'Neal dans celui de Barry Lindon et les deux heures que durent ses allées et venues dans les salles de rédaction parisiennes nous ont paru beaucoup plus longues que les trois heures à courir l’Europe avec l’Irlandais.

Illusions perdues, 2021Illusions perdues est l’un des romans les plus importants de la Comédie humaine, le grand œuvre d’Honoré de Balzac, tant par la taille (plus de 1000 pages) que par la qualité intrinsèque. Le romancier publie le livre en 1836-1843, sous le règne du « roi-bourgeois » Louis-Philippe mais il situe son action sous le règne de Louis XVIII et la Restauration, un régime parlementaire qui réserve le droit de vote à une étroite poignée de notables. L’opinion publique, c’est à l’époque, en France, tout au plus  200 000 personnes.

C’est l’époque qui voit naître le romantisme, un courant littéraire révolutionnaire dans le style et conservateur en politique dans lequel s’illustrent Hugo et bien sûr Balzac. C’est aussi l’époque qui voit renaître la presse d’opinion après le bref épisode révolutionnaire, avant de pleinement s’épanouir sous Louis-Philippe avec notamment l’arrivée de la publicité et des romans-feuilletons à l’initiative d’Émile de Girardin, qui fonde La Presse en 1836 … l’année des Illusions perdues.

On doit à Balzac l’expression de « quatrième pouvoir » à propos de la presse (note). Il l’emploie en 1840 alors même qu’il écrit et publie Illusions perdues, qui lui est pour l’essentiel consacré. Il est vrai qu’un homme d’État comme Adolphe Thiers devra toute sa carrière à son talent de journaliste. C’est en écrivant des articles incisifs et en publiant de gros ouvrages à succès sous la Restauration qu’il va entrer dès 1830 dans le petit cercle qui fait et défait les régimes. En plus intelligent, moins poète et beaucoup moins beau, Thiers, c’est un Rubempré qui a réussi.

Fallait-il donc une nouvelle fois adapter Balzac au cinéma ?

Le romancier se garde de grandes phrases ou de concepts fumeux pour décrire ce monde de la presse qu’il abhorre et adore à la fois. Il reste ancré dans le concret et c’est ce concret qui conduit le lecteur à une perception plus conceptuelle du milieu. Voilà par exemple comment le journaliste Étienne Lousteau, cynique entre tous, exprime ses espoirs : « Quand, au lieu de vivre chez Florine aux dépens d’un droguiste qui se donne des airs de milord, je serai dans mes meubles, que je passerai dans un grand journal où j’aurai un feuilleton, ce jour-là, mon cher, Florine deviendra une grande actrice ; quant à moi, je ne sais pas alors ce que je puis devenir : ministre ou honnête homme, tout est encore possible. »

Le film se concentre l’épisode parisien, celui qui voit le héros se brûler les ailes dans le milieu journalistique. Le réalisateur s’attache à respecter Balzac, par exemple dans la séquence où Lucien, tout juste débarqué de sa province, est invité à l’Opéra par sa maîtresse Louise de Bargeton et s’y montre d’un ridicule achevé.

Mais autant le roman se lit avec légèreté malgré le nombre important de pages, autant le film est boursouflé dans les images et pontifiant dans les formules, avec la voix off (Xavier Dolan) qui n’en finit pas de discourir sur le pouvoir de la presse, la corruption bien connue des journalistes, l’importance de l’argent, des actionnaires et de la « réclame » (la publicité), etc. C’est au point qu’on a parfois l’impression d’être dans un documentaire d’Arte ou France 5 avec une voix off sur des séquences muettes.

Quoi qu’il en soit du film, qu’on aille ou non le voir, l’occasion est bonne de lire ou relire le chef-d’œuvre de Balzac. Il est accessible en ligne en version intégrale dans l’excellente Bibliothèque électronique du Québec. Est-il besoin d’insister ? Il est d’une lecture autrement plus distrayante et aisée que la plupart de nos romans actuels, pour ne rien dire des essais politiques.

Et si l’on allait voir Eugénie Grandet ?

Eugénie Grandet, film de Marc Dugain, 2021Hasard du calendrier, trois semaines avant les Illusions perdues, nous avons eu droit à la sortie autrement plus discrète d’Eugénie Grandet.

Marc Dugain a adapté sans effet de style mais sans ennui et avec ce qu’il faut d’émotion cet autre roman de Balzac, qui raconte le malheur d’une jeune fille victime de l’extrême avarice de son père. Belle performance d’acteur d’Olivier Gourmet dans le rôle de cet ancien jacobin mettant le plus grand soin à dissimuler son immense richesse à tous, y compris à sa famille.

Voilà un film à voir en famille pour une découverte de l’univers balzacien, avec ses notables provinciaux de la Restauration (1815-1830) attachés à la rente, à la terre et à la richesse foncière, à des années-lumière des industriels du Second Empire (1851-1870) ou des Trente Glorieuses (1944-1974).

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2023-04-04 17:59:55
M. Bourg. (20-10-2021 17:50:32)

J'ai gardé un vif souvenir de l'adaptation de Maurice Cazeneuve, dans les années 65-66, avec Yves Rénier et Elisabeth Wiener, entre autres... On disait "feuilleton" et pas encore "mini-série", il n'y avait qu'une chaîne , deux couleurs et pas de publicité! En "prime time" on subissait Molière, Eschyle, Balzac ... Ah, on a souffert, ma bonne dame.

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