Des Mings aux Aztèques

L'autre Histoire du monde

La revue Sciences Humaines publie dans son numéro 185 (Août-Septembre 2007, 6,50 euros) un dossier remarquable et complet sur l'« Histoire globale ».

Des Mings aux Aztèques

L'Histoire globale (global history disent les Anglo-Saxons) est une tentative de traiter de l'Histoire comme d'un ensemble de phénomènes étendus à la planète et en relation les uns avec les autres. Elle met l'accent sur les interactions entre des phénomènes de même nature, dans le temps et surtout l'espace, les comparant et étudiant leurs éventuelles relations.

Les migrations de la haute Antiquité et les Grandes Invasions, l'expansion des Huns au début du premier millénaire et celle des Mongols, au début du deuxième, les conquêtes d'Alexandre le Grand et des Romains, l'expansion arabe et les croisades, la traite saharienne et la traite atlantique, les explorations maritimes et les Grandes Découvertes, la colonisation du Nouveau Monde et la course aux épices, la colonisation du continent africain et l'immigration actuelle vers l'Occident... sont autant de phénomènes planétaires qui mettent en relation les différentes civilisations, bousculent l'ordre établi et changent la face du monde (note).

Une Histoire pas si moderne

On peut subtilement distinguer l'Histoire globale de l'Histoire universelle (world history) qui est quant à elle la juxtaposition de différentes histoires nationales et néglige tout ce qui les lie les unes aux autres. L'une et l'autre s'opposent à l'Histoire traditionnelle, généralement focalisée sur un territoire ou un thème.

Très bien implantée aujourd'hui dans les pays anglo-saxons, la démarche « globaliste » puise ses origines dans les traditions historiographiques du Vieux Continent« L'Histoire globale n'est pas une invention contemporaine », rappelle l'historien  André Burguière, auteur du Dictionnaire des sciences historiques (PUF, 1986).

Au Moyen Âge, l'Église, qui n'avait d'autre objectif que le salut de l'humanité, avait l'Histoire universelle (ou globale) pour horizon naturel. Cela n'empêchait pas les moines et les clercs de rédiger la chronique des hauts faits de leur souverain. Nulle part l'on ne trouvait la trace d'une Histoire nationale.

Tout change à partir du XVIe siècle avec l'émergence des États-Nations, jusqu'à aboutir au XIXe siècle à la mise en concurrence des Histoires nationales. Le rétrécissement du champ d'étude n'altère en rien le talent littéraire des historiens, à preuve Jules Michelet ou encore Augustin Thierry.

En réaction aux abus de l'Histoire événementielle et nationale, quelques pionniers regroupés dans l'École des Annales autour de Lucien Febvre et Marc Bloch développent au XXe siècle l'étude sur la longue durée des phénomènes sociaux, économiques et culturels. À quelques exceptions près comme Fernand Braudel, les tenants de cette école finissent par sombrer dans des recherches oiseuses.

Faisons une place particulière à l'historien René Grousset (1885-1952). Adepte de l'Histoire événementielle mais également spécialiste de l'Asie, de l'Orient comme de l'Extrême-Orient et des steppes, il su mettre en évidence dans son chef-d'oeuvre L'empire des steppes (1939) comme dans ses autres ouvrages les interactions étroites entre les différentes civilisations de l'Eurasie, liées entre elles par les nomades, pour le pire et le meilleur.

Aujourd'hui, l'Histoire globale renoue le fil avec l'École des Annales et prolonge son effort. Ce n'est pas tout à fait un hasard si elle est contemporaine de la « mondialisation ». Pour le géographe et historien Christian Grataloup, « l'Histoire mondiale participe de la désoccidentalisation du monde ; elle répond au besoin de reconnaissance des pays émergents et à l'effacement de l'Europe ».

Les grands inventeurs de l'Histoire globale

- Fernand Braudel

L'un des promoteurs de l'Histoire globale au XXe siècle est l'historien Fernand Braudel (1902-1985), disciple et continuateur de Lucien Febvre et Marc Bloch. Il a écrit Civilisation matérielle (1979), une histoire du monde sur quatre siècles qui privilégie les aspects économiques et sociaux.

Selon lui, le monde était au XVe siècle constitué de plusieurs « économies-mondes » relativement étanches, coexistant avec des échanges extrêmement limités. Avec l'essor du capitalisme aux XVIe et au XVIIe siècle, on est passé à une « économie-monde » globale, orientée autour d'un pole dominant, Amsterdam, puis Londres, enfin New York.

- Olivier Pétré-Grenouilleau

Olivier Pétré-Grenouilleau, les traites négrièresAujourd'hui, Olivier Pétré-Grenouilleau s'inscrit dans la démarche globaliste avec son ouvrage majeur : Les traites négrières, qui porte d'ailleurs en sous-titre Essai d'histoire globale (Gallimard, 2004).

Lui-même s'est donné pour ambition de rapprocher et confronter tous les travaux concernant les traites négrières à travers le monde en vue d'« oeuvrer à une décentralisation de l'histoire du monde ».

Il écrit dans Les traites négrières : « Comme toute bonne histoire, l'histoire globale est forcément comparative. Cela semble aller de soi dans le cadre du trafic négrier, étant donné la variété des régions et des acteurs concernés. La chose, pourtant, est loin d'être fréquente  » (pages13-14). Et l'historien de pointer la méconnaissance par les spécialistes de la traite dans l'empire ottoman et de la traite atlantique des travaux respectifs des uns et des autres, par exemple sur le taux de profit des négriers !

Au magazine Sciences Humaines, il déclare à propos de l'émergence d'un mouvement visant à abolir la traite et l'esclavage dans le monde occidental : « Les modes historiographiques ont changé, mais on a toujours tendu à mettre l'accent sur un facteur présenté comme déterminant », comme si un phénomène pareil pouvait être réduit à un seul facteur : philanthropie, religion ou encore résistance des esclaves !

Pour mieux le comprendre, il faut alors se demander comment les abolitionnistes percevaient le monde et l'on découvre qu'ils luttaient contre l'esclavage mais aussi la pauvreté, l'alcoolisme et toutes les formes de désordre moral.

Ainsi procède Olivier Pétré-Grenouilleau : en reliant l'événement, l'individu ou la conjoncture à d'autres dimensions.

- Jérôme Baschet

Médiéviste, auteur de La civilisation féodale (Aubier, 2004), Jérôme Baschet met en évidence les racines médiévales de l'expansion occidentale dans un bel article de Sciences Humaines.

L'historien assène un coup au concept de Renaissance. Pour lui, l'idée de renaissance est consubstantielle à la société médiévale, « toujours en quête d'une autorité dans le passé, d'un âge d'or en arrière ». Cette quête se traduit par une profonde dynamique d'essor et de transformation.

« C'est dans cette dynamique qu'il convient de rechercher les ressorts d'une expansion qui aboutit à l'occidentalisation à peu près généralisée de la planète», écrit Jérôme Baschet. Quelques indications suffisent à donner la mesure de la dynamique médiévale comme le doublement de la population et de la production durant les XIe-XIIIe siècles.

À cette dynamique interne qui se prolonge naturellement au XVIe siècle, celui de la Renaissance, Jérôme Baschet ajoute une dynamique d'essor vers l'extérieur, attestée par la conversion au christianisme de l'Europe centrale et de la Scandinavie, par la Reconquête de l'espace ibérique sur les musulmans, par les croisades et les missions vers l'empire mongol.

Le voyage de Christophe Colomb s'inscrit dans la continuité de cette expansion et non en rupture ! « De fait, Christophe Colomb est un voyageur médiéval lancé sur les traces de Marco Polo, obsédé par la conversion du Grand Khan et par la reconquête de Jérusalem », rappelle l'historien. « Quant aux conquistadores, ils ont l'esprit plein de romans de chevalerie et rêvent de se voir concéder en fief de véritables seigneuries, comme au temps de la Reconquista ».

- Christopher Bayly

Christopher Bayly (Cambridge, Angleterre) a publié La naissance du monde moderne 1780-1914 (traduction L'Atelier, 2006).

Dans le prolongement de Jérôme Baschet, il estime que la véritable rupture dans la civilisation occidentale se situe au XVIIIe siècle.

Pour lui, une mondialisation archaïque existait déjà bien avant sous la forme de réseaux informels et d'échanges commerciaux aussi bien qu'humains. Les empereurs Ming, en Chine, aussi bien que les tsars russes, se montraient ouverts aux gens et aux concepts étrangers. Dans les colonies et les comptoirs, les mariages interraciaux ne faisaient guère de problème...

Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, selon l'historien anglais, les États-nations européens entrent dans la danse et la mondialisation change de nature !...

Néanmoins, nous n'irons pas jusqu'à dire comme Christopher Bayly et Sciences Humaines que rien n'est joué en 1750 !

À cette date, dans le droit fil de la dynamique enclenchée au XIe siècle, l'Occident dispose depuis belle lurette des outils tels que l'État de droit, l'instruction de masse, la pensée rationnelle et la démarche scientifique qui lui permettront d'asseoir sa domination sur le reste du monde... Rien de semblable dans la Chine des Qing et dans les empires despotiques que sont la Turquie ottomane et les Indes des Grands Moghols.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2019-05-22 17:38:31
leonnoel (14-12-2018 15:31:10)

Le premier camp de concentration ne serait-il pas, plutôt, Andersonneville, inauguré en 1864 sur le sol des USA pendant la guerre de sécession et appelé aussi Camp Sumter. Camp de prisonniers de... Lire la suite

itsas (08-09-2016 10:33:39)

Bonjour, Par curiosité j'ai cherché, sur votre site, un article sur Fernand BRAUDEL. Je n'ai trouvé que quelques lignes pour ce célèbre historien et souvent, vous semblez nous diriger vers des r... Lire la suite

Jérôme Chiffaudel (06-09-2014 01:13:18)

Merci pour cet article qui m'a beaucoup appris. Je réagis sur l’alinéa de conclusion :
En 1750 l'Occident dispose de la démarche scientifique moderne, en effet depuis belle lurette (plus d'un siècle).
L'Etat de droit ? C'est l'époque où écrit Montesquieu, l'état de droit me semble naissant.

Mais l'instruction de masse ?
Là je ne comprends plus : En France je la vois plutôt naître au XIXè (les lycées et les grandes écoles de Napoléon, puis l'école de la IIIè Répulique), et prendre son essor au XXè avec les universités et la massification de l'enseignement.

Le Japon peut d'ailleurs fournir une comparaison intéressante : La fulgurance de son industrialisation au XIXè repose sur un niveau d'instruction général sans doute au moins égal à celui de la France de l'époque.

Autre point concernant la conclusion : Comment un empire peut-il être anarchique ? N'y a-t-il pas antinomie ?

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