7 août 2021

Passeport sanitaire et liberté individuelle

Quelques centaines de milliers de Français sont dans la rue pour protester contre l’obligation d’un « pass » [passeport] sanitaire. Il ne s’agit plus simplement d’un mouvement d’humeur mais d’une révolte populaire qui n’est pas sans rappeler le mouvement des Gilets jaunes (2019) et celui des Bonnets rouges (2013).
Pas question ici de prendre position sur l’obligation du passeport sanitaire. Nous ne nous demanderons pas s’il s’agit d’une mesure de salut public ou d’une atteinte insupportable à la liberté. Mais nous nous interrogerons sur la notion de liberté et le respect des procédures démocratiques par le gouvernement français...

Dans le droit fil de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, nous tendons à penser que la liberté « consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (Article IV de la Déclaration). Ainsi puis-je revendiquer le droit de ne pas me vacciner, ne pas attacher ma ceinture de sécurité, ne pas inscrire mes enfants à l'école, mais aussi porter un voile (si je suis une femme) ou encore payer une femme pour qu'elle porte un enfant conçu à partir de mes gamètes.

L'application stricte de cette définition conduit à une impasse. Il faut beaucoup de contorsions en effet pour justifier d'un côté le refus de se faire vacciner, d'autre part l'acceptation de la ceinture de sécurité. Si j’accepte l’obligation de porter la ceinture de sécurité en voiture ou encore de me faire vacciner contre la fièvre jaune quand je vais dans certains pays, pourquoi devrais-je contester l’obligation du passeport sanitaire dans les magasins et les lieux de spectacle ?

On pourra rétorquer que le vaccin contre la fièvre jaune a été validé par l’expérience, ce qui n’est pas le cas du vaccin contre le covid. C’est affaire de débat et c’est là le nœud de l’affaire. Qui peut juger du bien-fondé d’une contrainte ? Face à un enjeu collectif, chacun est-il habilité à agir selon son opinion personnelle, ce qui revient à supprimer toute contrainte ?...

La loi, garante de la liberté

Chaque société, pour conserver sa cohésion, doit imposer des règles de conduite communes, comme par exemple, en France, inscrire ses enfants au cursus scolaire commun, respecter le code de la route, ne pas dissimuler son visage, ne pas faire commerce de ses organes, etc. Toutes ces obligations et bien d’autres, qui limitent de fait la liberté individuelle, sont admises par l’ensemble des citoyens. Pourtant, elles ne coulent pas de source et plusieurs d’entre elles sont ignorées par des pays tout aussi démocratiques que la France.

Les députés de l’Assemblée nationale de 1789 ont eux-mêmes convenu de la nécessité d’imposer des bornes à la liberté individuelle. Ils ont pris soin de souligner que « ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » (Article IV) en précisant : « La loi est l'expression de la volonté générale » (Article VI). En d’autres termes, la loi doit émaner du Peuple souverain (j'aime bien cette formule qui nous vient de Rousseau). C'est essentiel pour l'acceptabilité de la loi car toute loi contient des obligations susceptibles d'affecter telle ou telle catégorie de citoyens. Une loi qui ne gênerait personne et ne contiendrait que des obligations consensuelles serait inutile.

Si une loi est promulguée sans débat comme il est de règle dans les régimes despotiques, les catégories affectées par cette loi vont tendre à s’y opposer de toutes les façons possibles (révolte ou désobéissance massive) en arguant de son illégitimité. Le gouvernement n’aura d’autre solution que de mettre au pas les récalcitrants par la répression et les tribunaux.

Si par contre une loi est véritablement débattue au Parlement, alors les citoyens auront le loisir de peser les termes de l’enjeu et d’en discuter entre eux s’il en est besoin. Au final, ils seront portés à accepter le vote de leurs députés et il ne sera pas nécessaire de mobiliser policiers et juges pour faire appliquer la loi. C’est tout l’avantage de la démocratie (étymologiquement, le « gouvernement par le peuple ») sur le despotisme (le « pouvoir d’un seul »)... Et c'est d'évidence ce qui a manqué à la loi sur le passeport sanitaire, dont le vote, acquis d'avance, n'a pas fait l'objet d'un débat approfondi et contradictoire.

L'arbitraire, ennemi de la liberté

Dès lors que les gouvernants jouent le jeu de la démocratie, dès lors que les citoyens connaissent et comprennent les règles sociales qui s'appliquent à chacun et les limites qui s’appliquent à leurs pulsions et leurs désirs, chacun peut vivre dans la sérénité. L'ennemi de la liberté, ce ne sont pas les limites à cette liberté, sous réserve qu'elles aient fait l’objet d’un vote démocratique, mais c'est l'arbitraire et l'opacité.

Parions que si le gouvernement français avait laissé les parlementaires dé-battre du passeport sanitaire sans leur forcer la main, nous n'en serions pas venus à nous battre dans la rue à son propos ! Dès le début de la pandémie, notons-le, il a requis l’état d’urgence. En s'appuyant sur une majorité de députés « godillots », il a pu faire passer des mesures coercitives d’une rare violence (confinement général) et parfois ubuesques (auto-attestations de sortie, limitation à 30 du nombre de fidèles dans les lieux de culte, cathédrale ou chapelle, etc.). 

Les manifestations contre l’obligation du « pass sanitaire » traduisent l’exaspération de citoyens privés d’un débat démocratique et ouvert sur ces questions comme sur bien d'autres. Cette exaspération a des racines profondes. Elle vient en premier lieu de la judiciarisation de la loi, qui a débuté avec l’extension du droit de saisine du Conseil Constitutionnel en 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Depuis lors, les magistrats français et européens, sans autre légitimité que d’avoir été nommés à leur poste par des homologues bienveillants, n’ont de cesse de grignoter des parcelles de pouvoir. Ils en viennent à encadrer la loi sans que les représentants du Peuple souverain aient leur mot à dire.

La classe politique a accepté cette judiciarisation parce qu’elle sert son dessein, qui est de déléguer aux instances européennes les instruments de la souveraineté nationale : monnaie, maîtrise des frontières, droit de la citoyenneté, etc. Chaque fois qu’émerge une tentative de renforcer la souveraineté nationale, autrement dit la maîtrise de leur destin par les citoyens, il se trouve un tribunal (Conseil Constitutionnel, Conseil d’État, Cour de justice européenne) pour y faire obstacle avec les meilleures intentions du monde.

Si les députés s’inclinent si facilement, c’est que depuis l’introduction du quinquennat en 2000 et l’alignement du mandat présidentiel sur la législature, il n’y a plus de débat véritable au Parlement. Les élections législatives suivant de quelques semaines l’élection présidentielle, les électeurs sont naturellement portés à donner une majorité très confortable à l’hôte de l’Élysée, lequel se trouve dès lors assuré pendant cinq ans d’un pouvoir quasi-absolu, plus important que celui dont pouvait jouir Louis XIV !

L’illustration la plus percutante de cette dérive antidémocratique nous a été fournie en 2005 (16 ans déjà !) par le référendum sur le traité constitutionnel européen. Au terme d’une campagne intense et richement argumentée, ce texte a été clairement rejeté par les citoyens et malgré cela imposé par la classe politique, tous bords confondus, sous le nom de traité de Lisbonne.

Sauf sursaut démocratique comme nos cousins britanniques en ont donné l’exemple en restaurant leur souveraineté, il est à craindre que nous nous éloignions de l'idéal démocratique avec un pouvoir qui ne laisse aucune chance au vote populaire chaque fois que celui-ci cherche à exprimer sa différence ou ses inquiétudes, que ce soit sur les institutions européennes, l'écotaxe ou le passeport sanitaire. 

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2021-08-18 14:26:36
BC (13-09-2021 09:14:15)

Vous déclarez ne pas prendre position sur l obligation du pass sanitaire et tout votre article montre le conraire !

Bédos (17-08-2021 13:41:24)

Il est remarquable que ce vaccin ( qui n'en est pas un ) a la capacité de vider certains cerveaux de tout esprit critique . Si dans cette affaire, le volet vaccinal est plus que critiquable car on ... Lire la suite

Christian Dion (17-08-2021 13:14:02)

J'en profite pour faire un commentaire qui n'est pas totalement en lien direct avec le texte, mais là je voix que l'on utilise ici le mot ``passe`` sanitaire. Je ne sais pas si c'est moins un anglici... Lire la suite

MIJH (14-08-2021 09:13:58)

On ne parle pas beaucoup du virus et de ses effets. Il est pourtant le "maître des horloges" avec une fonction temps exponentielle. Comment bien faire vivre la démocratie dans cet espace temps contr... Lire la suite

Julia Marie (13-08-2021 12:35:50)

Je suis surprise d'un tel article. Comment peut-on comparer des vaccins qui ont passés toutes les phases obligatoires et dont on connaît parfaitement efficacité et surtout innocuité. Et cette esp... Lire la suite

HERAULT (11-08-2021 13:15:05)

" On pourra rétorquer que le vaccin contre la fièvre jaune a été validé par l’expérience, ce qui n’est pas le cas du vaccin contre le covid. C’est affaire de débat et c’est là le nœud... Lire la suite

Jean (10-08-2021 09:19:19)

Quelles surprise et déception en voyant le nom du signataire de ce texte.
Quelques remarques :
Nous sommes en guerre le pays a été envahi ; nous ne sommes pas des collabos de l’envahisseur Covid. Alors résistons. Chacun d’entre nous s’il était en responsabilité aurait pris des mesures analogues à celles qui viennent d’être mises en place. Peut-être même la vaccination obligatoire. Vite, vite. Ne regrettons pas les 3ème ou 4ème République à l’efficacité limitée et ne rattachons pas trop le virus à nos options politiques.
Et voila justement des louanges du Brexit et un souhait de Frexit ! Le Général avait bien énoncé toutes les raisons qui devaient éviter l’entrée de l’Angleterre dans l’Union Européenne où elle a apporté plus de problèmes que de solutions. La France, elle, est une nation continentale. Pour des raisons techniques ( communications infiniment plus faciles qu’au temps des diligences), économiques, politiques et culturelles son appartenance à L’UE a un sens. Au plan politique elle peut nous éviter de devenir une colonie de la Chine ou un vassal des États-Unis ou encore un voisin apeuré de la Russie.

Erwan Barillot (09-08-2021 09:01:59)

Liberté collective et liberté privée sont consubstantielles. Bien sûr, tu as raison de le souligner, tout ramener à la liberté "individuelle" (mon corps, mon choix, mon droit, etc, comme le pro... Lire la suite

didier (09-08-2021 00:46:39)

Votre talent de polémiste ne peut faire oublier . D’abord le refus du vaccin « nuit à autrui » plus que les accidents de la route causés par la consommation de stupéfiants (en 2019 731 tués.... Lire la suite

Vincent Rosset (08-08-2021 21:53:14)

Le vrai sujet de cet article est la disparition du débat démocratique dans nos sociétés, et la judiciarisation de la loi. Tous les États d'Europe, membres ou non de l'UE, en sont affectés, mais ... Lire la suite

Jean-Michel Duprat (08-08-2021 20:47:52)

Cher André Larané, bravo ! C'est une belle analyse des dérives successives qui nous ont conduit à cet état de "démocrature", autrement dit dictature masquée sous un vague vernis de démocratie... Lire la suite

Bonnel (08-08-2021 19:14:45)

Bonjour Après votre brillant édito du 23 juillet : le grotesque envahit l'agora, celui ci est bien décevant. Votre conclusion contredit l'introduction, par une prise de position subjective, partis... Lire la suite

XJ (08-08-2021 18:52:54)

Considérer que le projet est passé du fait que les députés qui soutiennent le président ont été élus parce que les élections législatives suivent les présidentielles s'apparente au complot... Lire la suite

XJ (08-08-2021 18:48:02)

Considérer que le projet est passé parce que les députés qui soutiennent le président ont été élus parce que les élections législatives suivent les présidentielles s'app contrairement aux... Lire la suite

Sylvie Guimet (08-08-2021 15:09:46)

Bonjour monsieur, Pour avoir suivi les travaux en Commissions et les débats à l'A.N. (pléthore d'amendements) je conteste que la loi sur le passe-sanitaire etc ait été conçue dans l'opacité . ... Lire la suite

MEPLOMB (08-08-2021 15:07:06)

La question posée est bonne. Je partage toute la réflexion fondée sur les fondements de la démocratie, car elle permet de poser le cadre. S’agissant de l’abandon de souveraineté, je suis moin... Lire la suite

Matt (08-08-2021 13:03:18)

Bien analysé et rédigé.

nicole (08-08-2021 11:51:49)

Merci M. Larané, continuez a écrire d'aussi bons éditos

JF EPINOUX (08-08-2021 11:48:15)

Que d'histoires pour rien ! Face à la Covid, qui LIBREMENT frappe, comme, où et quand elle veut, dès lors que l'on fait son lit par indiscipline, ignorance et bêtise. C’est elle et elle seul... Lire la suite

Bertrand (08-08-2021 11:46:37)

Le pass sanitaire constitue, qu'on le veuille ou non, une rupture anthropologique majeure dans l'histoire de nos sociétés, notamment en Occident. Le fait de ne pouvoir, à terme, aller nulle part sa... Lire la suite

Maryse (08-08-2021 11:39:31)

Est-ce qu'une loi discutée par moins de la moitié des députés est-elle légitime ? Elle n'est surtout pas représentative du peuple !

Philippe Hébert (08-08-2021 11:00:23)

Enfin le débat est remis sur le fond, qui ne concerne pas que le "passe vaccinal". un peu de hauteur permet toujours de mieux respirer! Il faut souligner cependant, que la liberté qui « consiste... Lire la suite

JJT (08-08-2021 10:07:42)

Cette Loi a bien été débattue par les deux chambres de notre Parlement , puis un compromis a été trouvé entre députés et sénateurs qui ont voté un texte qui est la Loi promulguée . Les di... Lire la suite

Christian Euriat (08-08-2021 10:04:37)

Bonjour, je ne voudrais pas paraître tatillon, mais il me semble que vous vous écartez largement de la posture de l'historien en défendant une option souverainiste, certes respectable, mais franch... Lire la suite

Jean Paul MAÏS (08-08-2021 09:28:22)

Rien à ajouter

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