Tous les dignitaires nazis n’ont pas été jugés au tribunal de Nuremberg. Certains ont réussi à passer à travers les mailles du filet de cette juridiction militaire instaurée au lendemain de la Deuxième guerre mondiale. Ils ont même réussi une brillante reconversion à partir des années 1950 avec un cynisme qui défie toute morale.
C’est le parcours d’une douzaine d’entre eux qu’a retracé avec beaucoup de précision, le journaliste Eric Branca dans son livre Le Roman des damnés (Perrin, 426 p, 24 €). L’enquête est minutieuse, documentée, servie par une plume alerte.
On pourrait la lire comme un roman d’espionnage ou policier s’il ne s’agissait d’une page d’histoire écœurante qui voit les vainqueurs de la guerre, notamment les Américains, protéger, recruter et recycler des responsables nazis avant que ces derniers ne conquièrent discrètement, au fil du temps et de l’oubli, des positions politiques ou sociales scandaleuses au regard de leur passé.
Si les cas de Speer et de Von Braun sont célèbres, d’autres ex-responsables nazis moins connus constituent les chapitres les plus instructifs. Le cas le plus ahurissant est sans doute celui d’Otto Skorzeny, l’ancien chef des opérations spéciales de la SS, expert en infiltrations, en désinformation et en opérations de commando (c’est lui qui a sorti Mussolini de sa prison en 1943).
Il est récupéré par la CIA qui pense que « dans le conflit qui se profile entre l’Est et l’Ouest après la défaite hitlérienne, ne serait-ce pas une faute majeure que de laisser un tel homme inutilisé ? » Sous un faux-nom, il devient homme d’affaires en cheville avec la CIA.
Par l’intermédiaire des Américains, il prend contact avec la DST en France où il met en place des centres d’entraînement secrets destinés aux membres des Stay Behind, cellules de l’OTAN destinées à prévenir l’infiltration communiste. Il parfait la formation du bataillon parachutiste de choc, bras armé du SDECE. Dans la foulée, il organise l’élimination d’agents communistes en Afrique et en Indochine, « aide » l’OAS et ses anciens amis nazis en cavale. Incroyable paradoxe, cet ancien SS est recruté… par le Mossad qui le charge « d’éliminer, capturer ou, a minima obtenir le départ d’Égypte des ingénieurs allemands travaillant sur les missiles ».
« Les Israéliens n’auront pas à se plaindre de leur nouvelle recrue : lors de plusieurs voyages en Égypte, elle met au jour les coordonnées des ingénieurs qui, pour la plupart, s’y étaient installés grâce à lui et en localise d’autres arrivés depuis. Et quand ce n’est pas lui-même qui se charge de les éliminer (comme Krug à Munich), c’est le Mossad qui officie », raconte Eric Branca.