L’Église en procès

La réponse des historiens

L'Histoire bimillénaire de l'Église est régulièrement l'objet de controverses et de polémiques sans grand rapport avec les faits. Sous la direction de Jean Sévillia, des historiens se sont attachés à rétablir un certain nombre de vérités dans un ouvrage, L'Église en procès (Texto Tallandier), qui face à une « persistante légende noire » n'entend pas pour autant légitimer « la bienveillante légende dorée qui dissimule les faiblesses, les fautes et parfois, malheureusement, les crimes commis par les hommes d'Église. »

En dix-huit chapitres, autant d'historiens tentent de relever ce pari d'une vision équilibrée, depuis les preuves de l'existence de Jésus jusqu'au scandale des prêtres pédophiles. Les croisades, l'Inquisition, les guerres de religion, l’épopée des Conquistadors, la colonisation, l'antisémitisme, l'argent du Vatican, les confrontations entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux, tels sont les autres principaux thèmes abordés.

De ce kaléidoscope à travers les siècles, on retiendra l'excellent chapitre d'Olivier Hanne intitulé « une papauté avide de pouvoir ? » L'auteur y retrace de manière fort instructive les relations conflictuelles entre la papauté et les différents souverains. Si Pépin le Bref se montra "un auxiliaire zélé de l'Église", en revanche, sous le règne de Charlemagne « la mise sous tutelle de l'Église fut sans précédent, et la soumission du clergé totale, jusqu'à pousser le roi à définir la mission du pape sur terre. »

L'Église réagit grâce à un vaste mouvement rénovateur, la « réforme grégorienne » dont Grégoire VII (1073-1085) fut le grand artisan qui s'opposa à ce que les évêques tiennent leur autorité du pouvoir monarchique. « Ainsi bien avant la séparation de 1905, le principe de l'autonomie des pouvoirs séculier et spirituel était acquis, et ce en raison de l'insistance de la papauté », observe l'auteur.

Et quand le pape Boniface VIII (1294-1303) crut qu'en tant que seul représentant du Christ, il pouvait juger les rois, Philippe le Bel « le fit déclarer hérétique et schismatique par une assemblée de prélats français. » Ainsi, déjà au Moyen-Age, émergeaient les prémisses de la laïcité.

Dans le chapitre sur les Croisades, Martin Aurell, rappelle à juste titre que « la croisade est un pèlerinage pénitentiel vers la Terre sainte, mais en armes. » et « qu’il n’est pas tant une guerre sainte » qu’une « guerre sanctifiante » puisque le pape Urbain II assurait aux expéditionnaires qu’ils seraient lavés de leurs péchés et qu’ils gagneraient la vie éternelle.

Avec la croisade -cette appellation n’existait pas à l’époque-, « l’idée puis la notion même d’indulgence plénière apparaît en Occident », observe l’auteur. La croisade devait même accélérer la Parousie (le retour du Christ), grâce à la libération des Lieux saints appelés à revenir sous domination chrétienne après leur occupation « par la seule violence d’un islam conquérant ».

Arrivée des croisés à Constantinople. Bataille entre Français et Turcs en 1147 et 1148, Jean Fouquet, Grandes Chroniques de France, Tours, vers 1455-1460, Paris, BnF. Agrandissement : Massacre de Juifs à Metz pendant la Première croisade, Auguste Migette, XIXe siècle, Metz, musée de la Cour d'Or.

La violence de la chevalerie occidentale

Reste que l’un des objectifs de la croisade, à savoir exporter en Orient le trop-plein de violence de la chevalerie occidentale, demeure bien peu charitable. Et si Urbain II « enjoint à l’aristocratie guerrière de jurer la paix et la trêve de dieu pour respecter les hommes et femmes sans armes, les églises et les monastères ainsi que les jours sacrés », il fallait être bien naïf pour y croire. La preuve, c’est que chemin faisant, des pèlerins, sous la conduite de chefs fanatiques, se livrèrent à des pogroms quelque peu occultés dans ce chapitre.

La conquête de l’Amérique latine par les Espagnols constitue aussi un point d’histoire controversé. Non, il n’y a pas eu génocide comme certains le prétendent. Car Jean-Louis Benoît, explique que « la colonisation n’a pas eu pour but de faire disparaître les populations autochtones, mais de les vaincre pour prendre leurs terres ». Cette conquête s’est-elle déroulée sous un prétexte religieux, à savoir convertir les Indiens à la foi chrétienne ? À partir de la fameuse controverse de Valladolid (1550 et 1551) se pose également une autre interrogation : cette évangélisation a-t-elle été forcée ?

Frontispice du livre de Bartolomé de Las Casas, Narratio regionum Indicarum per Hispanos quosdam devastatarum, gravure de Jean Théodore de Bry, XVIe siècle, Paris, BnF.L’auteur expose les différentes thèses qu’incarnent notamment le dominicain Bartolomé de Las Casas qui dénonce la série de massacres dont il a été le témoin direct, et un autre missionnaire, le franciscain Motolinia qui prône une conversion brutale sans pour autant faire table rase de la culture des peuples Indiens au mœurs parfois barbares (sacrifices humains, cannibalisme). Un des chapitres les plus passionnants.

Frédéric Le Moal montre combien l’épineux sujet des relations de l’Église avec les totalitarismes du XXe siècle a été idéologisé. Que ce soit le communisme, le fascisme ou le nazisme, ils ont tous trois considéré l’Église comme une ennemie qui a signé, certes, des concordats avec eux pour garantir ses droits et la protection des fidèles mais qui ne sont « en aucune façon une approbation de l’idéologie de l’État ».

« Cela n’empêchait pas certains ecclésiastiques ou prélats d’espérer des ententes, de travailler à des rapprochements au nom du combat commun pour la justice sociale ou de la lutte contre le communisme athée ou même contre le judaïsme » avec le national-socialisme, reconnait l’auteur qui commente : « Mais ce ne fut jamais la ligne officielle. »

Il réfute l’accusation visant à faire de Pie XII « le pape de Hitler », expliquant la « prudence » de celui-ci sur le génocide des Juifs par la crainte qu’une protestation publique et officielle de sa part n’attise la haine des nazis envers les catholiques. Le sujet est loin d’être épuisé.

Enfin, Bernard Leconte est catégorique sur la condamnation de l’Église dans les affaires de pédophilie qui l’ont secouée ces dernières années. Déni, omerta, résistance de la Curie, « la plus vieille institution du monde s’est fourvoyée dans une impasse », écrit-il. Malgré les efforts de Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, pour tenter de réformer son fonctionnement, elle a réagi trop tard « au nom de la préservation de l’image de l’Église ». Un repli finalement vain qui n’empêchera pas les nombreux scandales d’éclater au grand jour.

Jean-Pierre Bédéï
Publié ou mis à jour le : 2021-07-09 22:35:11
vasionensis (11-07-2021 15:44:07)

Concernant Pie XII : Non seulement le sujet n'est pas épuisé - il ne le serait qu'avec l'obtention d'une vérité définitive, qui n'est pas d'une démarche d'historien - mais il est tenu au mieux d... Lire la suite

LEVY (11-07-2021 12:16:55)

"Une prise de parole publique aurait pu entraîner des représailles plus terribles encore" ("L'ouverture des archives du Vatican sur les silences de PieXII", Le Monde, 9 juillet 2021) n'indique pas des représailles contre les Chrétiens. Contre les Juifs, on ne voit pas ce qui pouvait être pire. "Mgr Pacelli a présidé la cérémonie d'ouverture du Congrès eucharistique mondial de Budapest, le 25 mai 1938, évoquant "les ennemis de Jésus qui criaient "Crucifiez-le" dont les livres le maudissent qui dans leours coeurs le rejettent encore aujourd'hui", ajoutant "L'Eglise n'a pas vocation à intervenir dans les décisions d'un Etat"

Piguet (11-07-2021 11:18:38)

C'est intéressant, mais ce qu'il manque, c'est le débat théologique. Par exemple quelle justification à l'exécution de Huss. À l'époque, c'était pourri de la tête aux pieds. Il y a eu de timi... Lire la suite

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