François Bayrou

« Des bébés pour sauver notre modèle social »

François Bayrou a publié en qualité de Haut-Commissaire au Plan un rapport sur la natalité et l’immigration. Soyons-lui reconnaissants de relancer le débat sur ces thèmes cruciaux même si son analyse demeure très timide et comporte des erreurs manifestes…

Le Haut-Commissariat au Plan a vocation à inspirer la politique de long terme du gouvernement français. Il importe donc que ses analyses soient précises. À ce propos, on peut s’étonner d’une phrase que François Bayrou a repris dans toutes ses interventions médiatiques : « Il manquerait 40 à 50 000 naissances par an pour assurer le renouvellement des générations. »

En 2019, la France a compté 753 000 naissances et cela correspondait à une fécondité moyenne de 1,86 enfants par femme. Si l’on avait voulu assurer un strict renouvellement des générations (ni augmentation, ni diminution), il eut fallu 2,05 enfants par femme (100 femmes donnant en moyenne naissance à 100 filles et 105 garçons) (note).

Une règle de 3 nous indique que cela correspond à : 753000*2,05/1,86 = 830 000 naissances, soit un supplément de 77 000 naissances. C’est 70% de plus que ne l’écrivent les rapporteurs du Haut-Commissariat au Plan ! Au vu de cette erreur, ne prenons pas pour argent comptant leurs assertions et examinons-les avec soin.

Une fécondité en forte diminution dans tous les pays modernes

Dans tous les pays développés, en Occident et en Extrême-Orient, l’indicateur conjoncturel de fécondité a chuté au cours des dernières années très en-dessous du seuil de 2,05 enfants par femme, indispensable à la simple stabilité de la population. Or, comme le note judicieusement le rapport Bayrou, « le désir idéal d’enfants qui est mesuré régulièrement par des enquêtes montre que les Français continuent à vouloir trois enfants. »

Si les couples font en définitive nettement moins d'enfants qu'ils ne l'auraient souhaité, c'est en raison des obstacles qu'ils rencontrent sur leur route : « Difficultés à vivre pour soi (sorties, activités de loisir), à articuler vie familiale et vie professionnelle, principalement pour les femmes, plus encore lorsqu’elles sont peu épaulées par les conjoints pour les tâches ménagères ». Le fait est que l’effondrement de la fécondité touche tous les pays modernes, y compris les émirats du Golfe qui bénéficient d’un mode de vie « avancé » grâce à la rente pétrolière.

Il n’y a plus que l’Afrique subsaharienne et quelques pays islamistes (Afghanistan, Pakistan, etc.) rétifs à la modernité qui conservent une fécondité très au-dessus du seuil de renouvellement. Du coup, aujourd’hui, la fécondité moyenne de la population humaine est d’environ 2,4 enfants par femme mais n’est plus que de 2,1 si l’on retire l’Afrique noire !

À l’exception notable de la population subsaharienne, qui connaît une explosion sans précédent historique par son intensité et sa durée, la population mondiale pourrait bientôt diminuer ainsi que l’écrit le démographe Gilles Pison (Perspectives et enjeux démographiques). À la fin du XXIe siècle, la Chine pourrait compter un tiers à moitié moins d’habitants qu’aujourd’hui et se trouver à peine aussi peuplée que le Nigéria avec environ 800 millions d’habitants.

Notre population diminue ; est-ce grave ?

La baisse de la natalité dans nos pays ne saurait compenser l’explosion démographique de l’Afrique. Comme le notait avec humour le grand démographe Alfred Sauvy, on ne soigne pas la boulimie de son voisin en devenant soi-même anorexique !

La fécondité est déjà en-dessous d’1 enfant par femme dans certains pays comme la Corée. Ce plancher pourrait être bientôt atteint par la Chine ou encore par l’Italie d’après-Covid. Qu’est-ce à dire ? Cette année, 600 000 Italiennes ont donné le jour à autant d’enfants, dont environ 300 000 filles. Ces dernières, dans une trentaine d’années, donneront à leur tour le jour à 150 000 filles, lesquelles engendreront 75 000 filles aux environs de 2080. Autrement dit, si la fécondité italienne se stabilise aux alentours d’un enfant par femme, le peuple qui a donné le jour à Michel-Ange et Raphaël aura disparu à la fin du siècle. Disons pour être plus précis qu’il ne sera quasiment plus représenté que par des vieillards nés au début de ce siècle.

Les trois millions d’Italiens de moins de vingt ans cohabiteront alors avec dix ou douze millions de plus de 65 ans (loin de la parité actuelle). Autant dire que les soins nécessités par le grand âge prendront le pas sur l’attention requise par les nourrissons nés ou à naître. Nous pouvons nous représenter ce que cela signifie en observant les campagnes françaises, d’ores et déjà très affectées par le vieillissement et dans lesquelles le principal débouché offert aux jeunes consiste en l’aide aux personnes âgées.

Les faux-semblants de l’immigration

La France n’échappe pas au vieillissement. Elle devrait compter « 76 millions d’habitants au 1er janvier 2070, contre 66 millions au 1er janvier 2013, soit 10 millions de plus » mais cette augmentation résultera seulement du doublement du nombre de personnes de 70 ans ou plus car, ainsi que le note Gilles Pison, « en dessous de 70 ans, les effectifs restent à peu près les mêmes » !

Le Haut-Commissariat au Plan s’inquiète de la chute de la fécondité, passée en France de 2,02 enfants par femme en 2010 à 1,83 en 2019 (hors Mayotte). Si elle est moins mauvaise que dans les autres pays européens, cela tient en bonne partie à ce que la France, en raison de son histoire coloniale, compte une immigration africaine et musulmane plus importante et plus ancienne que tout autre pays européen.

Dans le millénaire précédent, jusque dans les années 1960, l’Europe occidentale n’a connu aucune vague d’immigration. C’est une exception historique qui a permis l’émergence d’institutions stables cependant que le grand brassage de populations du Moyen Âge européen a engendré une civilisation à nulle autre pareille. Mais la décolonisation a bousculé cet ordre millénaire en amenant en Europe des populations fuyant les nouveaux États indépendants, aussi bien l’Algérie que le Surinam (ex-Guyane néerlandaise).

Cette immigration a été jusqu’ici sous-évaluée par les démographes du fait d’une définition restrictive de l’immigré : « toute personne née à l’étranger dans une nationalité étrangère ». Prenons l'exemple de Fatoumata, adolescente de la région de Kayes (Mali). Elle a été mariée par son père à un cousin installé en France. Ce dernier a conçu un enfant lors de vacances au pays puis a fait venir sa jeune femme en France où elle a accouché de quelques autres enfants. L’aîné de la fratrie, né à l'étranger, est rangé dans la catégorie « immigrés » et ses frères et sœurs dans la catégorie « Français » sans que rien distingue les uns des autres. C'est sur cette base que nos statisticiens peuvent garantir à une opinion incrédule que les proportions d’immigrés et de naissances d’enfants d’immigrées restent stables, respectivement aux environs de 9% et 15%. 

Le modèle social face au double choc de la dénatalité et de l’immigration

Si l’on choisit de poursuivre la politique actuelle d’immigration, il faut alors s’en donner les moyens par une assimilation vigoureuse des nouveaux entrants (logements d'urgence, éducation prioritaire, sécurité civile, etc.). Quoi qu’il en soit, c’est une politique qui coûte très cher et va peser de plus en plus sur les épaules des contribuables. Cette charge va s'ajouter à l’assistance aux personnes âgées. Ces deux postes, immigration et grand âge, vont requérir une fraction croissante de la richesse nationale, laquelle sera produite par des actifs en nombre de plus en plus restreint.

Ne comptons pas sur les robots et l'automatisation pour suppléer au manque de bras et de cerveaux. Les machines augmentent la productivité des travailleurs mais ne peuvent remplacer totalement ceux-ci ni assurer la redistribution des richesses vers les inactifs. Ne comptons pas non plus sur les immigrants. Ils ne peuvent pas combler les déficits des caisses de retraite, comme l'ont démontré par l'absurde les démographes de l'ONU, que cite le rapport Bayrou (Les migrations de remplacement : solution au déclin et au vieillissement des populations ?) : leurs cotisations bénéficient aux retraités d’aujourd’hui mais nullement à ceux de demain et eux-mêmes sont appelés à vieillir et piocher dans les caisses de retraite.

Le Haut-Commissariat au Plan insiste donc sur la nécessité de maintenir la natalité à un niveau satisfaisant pour garantir la perpétuation de notre modèle social. Il s'illusionne toutefois en opposant le modèle français de la redistribution au modèle anglo-saxon de la capitalisation. Dans le premier cas, les besoins liés au chômage, à la santé et à la vieillesse sont financés par les cotisations prélevées sur les revenus des actifs ; dans le second par l'épargne des intéressés. Mais dans les deux cas, on se ramène à un prélèvement sur la richesse nationale future. Peu importent donc le mode de prélèvement et les taux de cotisation. L'important pour le maintien de notre prospérité commune est de s'assurer que notre production de biens sera suffisante pour subvenir aux besoins de tous : actifs et inactifs.

La richesse nationale est la somme des valeurs créées par les producteurs : paysans, ouvriers, ingénieurs, informaticiens, etc. Ces producteurs génèrent une valeur ajoutée dix ou vingt fois supérieure à leur rémunération du fait d'une très haute productivité liée à leur savoir-faire et à leur organisation. La différence est redistribuée sous la forme de services de confort (coiffeurs, livreurs de pizzas, journalistes, etc.), de services sociaux (santé, aides sociales) ou de services régaliens (police, administration). La valeur créée par les travailleurs de ces services-là est rarement supérieure à leur rémunération du fait de leur faible productivité (coiffeurs, livreurs et journalistes ne font pas plus de prestations à l'heure en France qu'en Égypte ou au Mali).

Notre modèle social et notre prospérité commune dépendent en définitive du nombre et surtout de la qualité des futurs producteurs. Ceux-ci se recruteront parmi les enfants nés ou à naître, moins sûrement parmi les pauvres hères qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2021-06-03 18:46:17
Ppcnil (01-06-2021 07:10:15)

Mon commentaire d'hier. Pardon pour faute dans le texte : lire Sébile et non sébille Malheureusement découvert après édition. Avec mes excuses.

josé (31-05-2021 19:25:07)

J'imagine qu'il est difficile d'estimer l'effet de l'allongement des études sur la baisse de fécondité, mais c'est probablement un des facteurs qui entrent en jeu. Y-a-t-on pensé quand on a incité nos jeunes à poursuivre des études longues ?
Bien sûr, on pourra trouver beaucoup d'autres causes...

Ppcnil (31-05-2021 07:38:49)

Analyse globalement claire et lucide par l'auteur de l'article, qui n'apparaît pas habituellement comme un "trublion complotiste". Bien sûr, le sujet est vaste et inépuisable et se projeter dans ... Lire la suite

pmlg (30-05-2021 16:25:42)

Merci pour cet article intéressant qui aborde un sujet préoccupant qui a et aura de plus de conséquences notamment en inversant le rapport de force de certaines nations (Chine par exemple). Il est ... Lire la suite

Bertrand (30-05-2021 16:10:04)

Outre l’absurdité du propos (en quoi l’entretien de millions de chômeurs et d’assistés sociaux venus d’ailleurs sauverait-il nos retraites ?), aborder la démographie sous l’angle de lâ... Lire la suite

Norbert Delagrange (30-05-2021 14:33:07)

Pourquoi à la fois s'affoler à la fois de l'inexorable montée du nombre d'habitants sur la planète et des baisses de natalité dans tant de pays dont le notre ? Il n'y a pas si longtemps la France... Lire la suite

Christian (30-05-2021 13:53:58)

Assurer le renouvellement c’est assurer un chiffre d’affaire constant, voire en hausse, et assurer une collecte d’impôts qui permette à nos élus de dépenser, donc d’exister. On évite ai... Lire la suite

Goria (30-05-2021 11:38:50)

Comment peux t'on donner un poste aussi important a cet homme qui n'a jamais été capable de suivre des idees

jb501 (30-05-2021 10:45:09)

les 200000 avortements éliminent autant de futur français

Michel (30-05-2021 09:42:23)

Attention aux stats de la natalité française pour 2020 et 2021 mais qui a vécu le "bordel " de ces années dans l’enseignement ( sauf les prépas ?) et "parcoursup"(sic) de m.... ne peut malheur... Lire la suite

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