Petit Pays

Une enfance brisée par la guerre

Eric Barbier, qui avait déjà dirigé La Promesse de l'aube en 2017, renouvelle sa performance cinématographique avec l’adaptation d’un autre roman inspiré de la vie de son auteur : Petit Pays de Gaël Faye (2016).

L’auteur franco-rwandais et né au Burundi, y raconte la guerre du Burundi et le génocide du Rwanda à travers les yeux d'un jeune garçon, Gabriel. Bien qu'étant une fiction, avec un personnage inventé, le roman comme le film est inspiré de faits réels et notamment de l'enfance de Gaël Faye.

Racontées à travers les yeux de l’enfant, la vie de sa famille et l’évolution de son groupe d’amis se retrouvent mêlées aux conflits entre Hutus et Tutsis, dans un récit où petite et grande histoire s’entrecroisent.

Gaël Faye, auteur de Petit Pays, et Eric Barbier, réalisateur de son adaptation au cinéma.

Le conflit vu par les yeux d’un enfant

L’histoire commence en 1992 au Burundi, à Bujumbura. Gabriel habite avec son père français, sa mère rwandaise (Tutsie) réfugiée au Burundi, sa petite soeur, ainsi que plusieurs domestiques Hutus et Tutsis. Entre le Burundi et le Rwanda, petits pays d’Afrique centrale, ce film suit la vie de cette famille catholique aisée qui n’échappe pas aux conflits entre Hutus et Tutsis. Cependant, les violences ne sont toujours évoquées qu’indirectement dans leurs conséquences pour les personnages, filtrées par le regard d’un enfant qui n’a qu’une compréhension limitée des événements.

Les différents personnages gravitent autour de Gabriel comme pour montrer tous les aspects du conflit : l’héritage colonial avec Jacques, ami du père et ancien colon ; le conflit armé avec l’oncle Pacifique, qui part se battre pour les Tutsis au Rwanda ; les domestiques Hutus et Tutsis de la maison qui symbolisent la coexistence puis les tensions montantes entre les deux groupes… Partant d’une histoire personnelle, le film met donc en scène toute une fresque de la société burundaise et rwandaise. Le contexte historique est introduit par la diversité des personnages, mais aussi par des extraits de radio et de télévision, qui permettent de re-situer des événements historiques précis.

Cependant, c’est toujours par les yeux et les oreilles de l’enfant que nous parvient, progressivement et à petites touches, le contexte historique : il écoute aux portes les discussions des adultes, épie à travers les fissures d’un mur les militaires qui passent, et est tenu informé par ses amis. Par exemple, l’élection au Burundi de 1993, première élection libre du pays, apparaît à l’écran lorsque Gabriel aide un aveugle à voter en entrant avec lui dans l’isoloir.

Gabriel (Djibril Vancoppenolle) jouant avec ses amis, symbole de l'insouciance de l'enfance.

Une société de plus en plus violente

Les différences entre Hutus et Tutsis sont introduites au spectateur pour la première fois lors d’une classe du jeune Gabriel alors que les élèves regardent un extrait du film sur Cyrano de Bergerac, avec la célèbre tirade du nez. Une dispute éclate entre les élèves : ce serait par la longueur du nez que les Hutus et les Tutsis sont censés être reconnus. Les séparations entre Hutus et Tutsis sont ainsi perçues chez les enfants, et se retrouvent dans la configuration changeante du groupe d’amis de Gabriel qui intègre un nouveau garçon, justement parce qu’il est lui aussi Tutsi.

La violence du conflit parvient à l’enfant à travers son meilleur ami, qui le somme d’abord de choisir son camp, puis lui propose de s’entraîner à tirer avec un pistolet sur un journal Hutu proférant des clichés à l’égard des Tutsis. Si Gabriel essaye au mieux d’échapper à ce cercle vicieux de la violence, notamment en se plongeant dans la littérature, il ne peut complètement échapper à cette société qui se radicalise.

Bien que la violence du génocide rwandais ne soit pas directement vécue par Gabriel, qui se trouve au Burundi, elle est introduite de façon remarquablement puissante par sa mère, Yvonne, qui part au Rwanda chercher sa famille, et ne revient que plus tard, complètement métamorphosée.

Les traumatismes de guerre

Gabriel et sa petite soeur Ana (Djibril Vancoppenolle et Dayla de Medina) fuyant les violences.Les images de violence de guerre sont quasiment absentes de ce film, mais elles sont indirectement rapportées par les personnages. Il y a d’abord des récits par les témoins, la grand-mère notamment, mais surtout la mère de Gabriel. Partie à la recherche de sa famille au Rwanda pendant le génocide, elle est retrouvée ensuite traumatisée, comme folle et incapable de parler. Sans parole, le jeu d’actrice de Isabelle Kabano nous laisse voir ce que peuvent être les conséquences d’un génocide sur les survivants traumatisés.

Par sa présence à la maison et son comportement, la mère transmet le traumatisme à la génération suivante, celle de Gabriel et de sa soeur, qui n’ont pourtant ni participé ni assisté aux violences. Le film rend bien compte de ces mécanismes d’un traumatisme qui s’étend sur plusieurs générations, bien que l’expérience de la violence s’estompe avec les années.

Mais le traumatisme n’est pas seulement celui des victimes ; il touche aussi les combattants, dont Eric Barbier, dans une moindre mesure, laisse à voir les séquelles après avoir commis des violences.

Le film ne renseigne donc pas le spectateur des tenants et aboutissants du conflit burundais ni des causes et du déroulement du génocide rwandais. Cependant, la mise à l’écran de l’expérience vécue d’un jeune garçon, de sa famille et de ses amis est très puissante. En n’abordant le conflit que de manière indirecte, à travers ses conséquences sur les personnages, Gaël Faye, et Eric Barbier après lui, parviennent à nous montrer un monde où les enjeux nationaux et les conflits ethniques sont mêlés aux joies et tristesses de l’enfance. Poésie de l’enfance et violences d’un monde en guerre s’entrecroisent et, paradoxalement, c’est par ce mélange que l’expérience du spectateur devient plus puissante.

Publié ou mis à jour le : 2023-04-04 18:00:16
pmlg (13-09-2020 16:05:35)

Bonjour,
J'ai lu Petit pays, le livre de Gaël Faye. J'ai beaucoup entendu parler du film que des amis ont vu et dont ils m'ont parlé. Je ne doute pas de la valeur pédagogique du film pour ceux qui n'ont pas lu le livre. Personnellement je n'ai pas envie de voir le film car je souhaite sur l'excellente impression que je garde du livre. Je l'ai lu après m'être beaucoup documenté sur le génocide au Rwanda en 1994 parce que je voulais essayer de comprendre comment il a été possible. L'un des meilleurs livres reste pour moi Le Génocide des Tutsi du Rwanda de Florent Piton. C'est un remarquable travail universitaire qui va au fond des choses sans prendre parti parce que ce n'est pas le rôle de l'historien mais sans rien dissimuler des réalités qui permettent de prendre conscience de ce génocide et surtout de comprendre comment il a été rendu "possible".
Quelques extraits fragmentaires du livre :
p 167
« ... J'aurais voulu dire à Gino qu'il se trompait, qu'il généralisait, que si on se vengeait chaque fois, la guerre serait sans fin...
Je me disais que son chagrin était plus fort que sa raison. La souffrance est un joker dans le jeu de la discussion, elle couche tous les autres arguments sur son passage. »
p. 180
« Le bonheur ne se voit que dans le rétroviseur. Le jour d'après. Regarde-le. Il est là. A massacrer les espoirs, à rendre l'horizon vain, à froisser les rêves. ... Plus je priais et plus Dieu nous abandonnait et plus j'avais foi en sa force. Dieu vous a fait traverser les épreuves pour qu'on lui prouve qu'on ne doute pas de lui. Il semble nous dire que le grand amour est fait de confiance. On ne doit pas douter de la beauté des choses même sous un ciel tortionnaire. Si tu n'es pas étonné par le chant du coq ou par la lumière au-dessus des crêtes, si tu ne crois pas en la beauté de ton âme, alors tu ne te bats plus, et c'est comme si tu étais déjà mort. »
p 185
« Le génocide c'est une marée noire [*], ceux qui n'y sont pas noyés sont mazoutés à vie. »
[*] Je ne sais pas s'il s'est rendu compte du «jeu de mots» !
p. 192 [n° 27] Lettre à Christian
[son cousin Tutsi, mort tué dans le génocide]
« J'ai tardé à t'écrire. J'étais trop occupé ces temps-ci à rester un enfant.
... Mon père s'est forgé une cuirasse de fer pour que la méchanceté ricoche sur lui. »...
« Maman n'est jamais revenue de chez toi. Elle a laissé son âme dans ton jardin. »
... « Et toi, Christian , tu ne diras plus jamais rien. »
p. 196
« La mort avait le visage banal du quotidien. Vivre avec cette lucidité terminait de saccager la part d'enfance en moi. »

p. 208 Lettre à Laure [fiancée imaginaire]
« Des jours et des nuit qu'il neige sur Bujumbura. »
... Il est vraiment nécessaire de beaucoup se documenter pour éviter de porter, y compris ... peut-être surtout, une jugement hâtif sur les responsabilités. Il n'est reste pas moins que la mort de plus de 800 000 personnes (Tutsi en majorité) en trois mois dans le silence (peut-on appeler autrement la passivité !) des pays impliqués (par leur histoire) ainsi que des organismes internationaux. Est-il trop tôt ? trop tard ? pour juger non l'histoire mais la responsabilité de tous ceux qui sont impliqués. Il faudra pour que l'avenir puisse avancer en toute sérénité connaître toute la vérité, sans rien cacher de part et d'autres.

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