L'Himalaya fait rêver les amateurs de sensations fortes avec ses sommets avoisinant les 8 000 mètres. Mais pour les pays qui se partagent la région, cette barrière de 2400 km entre le sous-continent indien, le Tibet chinois et l'Asie centrale est aussi un enjeu stratégique capital.
On l’a encore vérifié avec les heurts du 15 juin 2020 entre soldats indiens et chinois dans la vallée de la Galwan, entre l'Aksai Chin et le Ladakh. Prenons un peu d'altitude pour mieux comprendre la situation actuelle.
Lorsque deux grandes puissances, toutes deux en possession de l'arme nucléaire et aux intérêts divergents, se retrouvent voisines, les étincelles ne peuvent manquer de surgir !
La rivalité entre l'Inde et la Chine, vieille de centaines d'années, est réapparue sous les feux de l'actualité lors de plusieurs événements, à commencer par l'invasion du Tibet par la Chine en 1950.
L'Inde de Nehru, occupée par un conflit avec son voisin pakistanais, n'intervint pas mais accueillit quelques années plus tard le chef religieux tibétain, le dalaï-lama, et son gouvernement en exil à Dharamsala.
C'est surtout la question des frontières communes qui ne cesse depuis lors d'agiter les deux pays. Tout a commencé avec une revendication chinoise sur l'Aksai Chin, une région d'environ 37 000 km2.
L'Aksai Chin est vitale pour la le gouvernement de Pékin car c'est par là que passe la route entre le Tibet et le Xinjiang (ou Turkestan chinois). Le gouvernement de Pékin n'a de cesse de combattre les velléités indépendantistes de ces deux régions et pour cela tient absolument à contrôler l'Aksai Chin.
En octobre 1962, profitant de ce qu'au même moment, le monde avait les yeux tournés vers Cuba, en proie à la crise des missiles, l'armée chinoise, dite Armée populaire de libération (APL), occupa donc cette région au terme d'un bref conflit et sans déclaration de guerre.
Pris de court, les Indiens firent appel à l'assistance militaire américaine. Les Chinois annoncèrent alors un cessez-le-feu unilatéral qui leur permit de conserver l'Aksai Chine et de remporter une victoire à forte teneur politique. Depuis lors, les deux armées se font face sur une « ligne de contrôle effectif » (ou LAC, pour Line of Actual Control en anglais). À New Delhi, ce traumatisme demeure très vif même après deux générations...
À peine quelques années plus tard, c'est le l'Arunachal Pradesh et le Sikkim qui servirent de motifs de dispute aux deux pays, provocations mutuelles qui allèrent durer des décennies.
Mais d'autres éléments entrent aussi en jeu : évoquons le soutien de la Chine au Pakistan qui revendique le Cachemire, la réalisation des Nouvelles routes de la soie qui pousse la Chine à regarder vers l'ouest ou encore la question des projets hydroélectriques d'envergure lancés par chacun dans la région au détriment du voisin.
Des avancées vers la paix ont cependant eu lieu : la reconnaissance en 2003 de la souveraineté de l'Inde sur le Sikkim, d'une part, et de celle réaffirmée de la Chine sur le Tibet, d'autre part. Mais en 2017, un premier avertissement arrive depuis le Bhoutan où Pékin s'attache à prolonger une de ses « routes de la soie », à la grande colère de New Delhi.
Puis, le 15 juin 2020, c'est le Ladakh qui fait parler de lui avec un corps-à-corps entre les deux armées, à coup de pierres et de gourdins (par accord tacite, les deux adversaires s'interdisent l'emploi d'armes à feu !). Il a fait vingt morts chez les Indiens et on ne sait combien chez les Chinois. Cette escarmouche illustre le lent grignotage auquel procède Pékin dans la région sans s'embarrasser de conventions diplomatiques et de traités de paix.
Le Ladakh est pour les Chinois une proie tentante et un enjeu stratégique car la région est mitoyenne de l'Aksai Chin à laquelle elle est reliée par la haute vallée de la Galwan, à 4300 mètres d'altitude. C'est là qu'a eu lieu l'affrontement de juin 2020... Le chaud et le froid continuent à souffler sur les régions de l'Himalaya.
Le Ladakh, un bout d'Inde pas comme les autres
« Le petit Tibet » : le surnom du Ladakh suffit à nous donner une idée de ces terres du bout du monde. Ce territoire autonome de l’Union indienne est contigu à l'État indien du Cachemire, à l'extrême nord-est de l'Inde.
Il s'étend sur les contreforts du « Toit du monde » et il n'est pas rare que les routes s’élèvent au-dessus des 3 000 mètres. Cernée par le Karakorum au nord et l'Himalaya au sud, cette région d'à peine 60 000 km2 est traversée par trois vallées principales, celles de l'Indus, du Zanskar et de Nubra.
Même si elle est protégée de la mousson, elle subit un climat rude qui aime les températures extrêmes, 30° l'été et -30° l'hiver.
Bien qu'il soit difficile d'accès, le Ladakh (« Le pays des hauts cols ») a toujours été une étape importante sur l'axe est-ouest. Les caravanes parcourant les routes de la soie y trouvaient le long de l'Indus un couloir leur permettant d'éviter les hautes montagnes. L'Inde, le Tibet ou le Xinjiang chinois s'y donnaient rendez-vous pour échanger leurs richesses dans les vieux marchés de Leh, la capitale.
Aujourd'hui, les routes étant régulièrement mises à mal par le climat, les déplacements y restent parfois difficiles pour les quelque 300 000 habitants (2020) qui y vivent avant tout d'une agriculture de subsistance et de l'élevage des yaks et, depuis quelques années, du tourisme.
Si près de la moitié de la population est musulmane, ce sont bien les monastères bouddhistes (les « gompas ») blanchis à la chaux qui attirent les visiteurs. Perchés sur des pitons rocheux pour échapper aux pillards, ils jalonnaient autrefois les routes des pèlerins adeptes du bouddhisme dit lamaïste.