Les Misérables

Une vision trouble de la France de demain

Les Misérables, Ladj Ly, 201929 janvier 2020 : le film Les Misérables de Ladj Ly, sorti en novembre, est promis aux plus grandes récompenses. Qu'il nous soit permis d'apporter un regard d'historien sur ce film et sur la France en devenir qu'il nous donne à voir...

C’est entendu, Les Misérables sont un chef-d’œuvre ! Nous parlons du film réalisé en 2019 par Ladj Ly. De l’avis des critiques et  des spectateurs  (deux millions tout de même), il mérite d’être récompensé à Cannes en mai 2020 et le sera vraisemblablement.  Le président de la République Emmanuel Macron en sera le premier à s’en féliciter, lui qui n’a pas craint de « faire la promo » du film. À l’issue d’une séance privée, tandis qu’il mettait la France dans la rue avec sa réforme des retraites, il a demandé au gouvernement de tout faire pour « améliorer les conditions de vie en banlieue ».

Rien à dire sur le plan cinématographique. Entre la fiction et le documentaire, le film Les Misérables suit pendant vingt-quatre heures  une brigade anti-criminalité (BAC) dans une banlieue parisienne dont les habitants sont majoritairement d’origine sahélienne, comme le réalisateur lui-même. Cela commence par une tournée de routine et s’achève par une scène cauchemardesque. Le scénario aurait été inspiré par des faits réels : une bavure policière filmée par un drone à l’insu des participants.

Premier malaise : le titre du film fait référence au chef-d’œuvre de Victor Hugo pour la raison que le poète aurait écrit son roman dans la ville de Montfermeil, là même où est sensée se dérouler l’action du film. Mais les misérables de Hugo volaient du pain pour nourrir leur famille, ou se prostituaient et vendaient leurs dents et leurs cheveux pour sauver leur enfant. Ici, les enfants ont des portables dernier cri et jouent avec des drones. Tout ce qu’ils volent, c’est un lionceau dont ils n’ont que faire. On n’est assurément pas dans le même monde.

Pourquoi devrions-nous nous apitoyer sur les pauvres âmes de Montfermeil version 2019 ? C’est qu’à défaut de misère à proprement parler, on a racisme, discriminations et violences policières. De ce côté-là, nous sommes servis.

Le film nous montre deux catégories de populations : les bons et les méchants. Du côté des bons, le personnage charismatique entre tous est l’imam, un ancien dealer noir qui a trouvé le chemin de la Paix, de la Vérité et de la Justice.

Du côté des méchants, il y a le chef de la brigade, un mâle aryen, blond aux yeux bleus. Hasard certainement.  À ses propos racistes, il ajoute la lâcheté. Dans les premières minutes du film, il se montre coulant avec les voyous mais agresse trois adolescentes attendant leur bus : il les violente et brise leur téléphone portable. Si les représentants syndicaux des policiers ont entériné cette scène sans protester et, plus grave, si elle n’a pas révulsé le président de la République, faut-il donc admettre que ce type de comportement est habituel dans nos banlieues ? Si c'est le cas, il y a matière à s'inquiéter pour la paix civile.

Extrait des Misérables de Ladj Ly, tourné à Montfermeil en France. En agrandissement : Damien Bonnard, Alexis Manenti et Djebril Didier Zonga (de gauche à droite) campent trois flics dont la journée de patrouille vire au cauchemar. © SRAB Films - Rectangle Productions - Lyly films

Et puis il y a le patron du cirque dont on a volé le lionceau. Un costaud brutal. Il manie le bâton avec furie comme ses hommes de main, et fait pire encore…  N’ayant que le mot « négro » à la bouche,  il est, en-dehors du chef de la brigade de police, le seul dans tout le film à proférer des propos racistes.

Est-ce un hasard s’il se trouve être un « gitan », selon les mots employés dans le film ? Notons que le film est sorti en salle en mai 2019, quelques semaines après l’attaque d’une communauté rom accusée de rapts d’enfants à Bobigny (Seine-Saint-Denis) ! On s’étonne là aussi que les représentants des Roms n’aient pas dénoncé l’incitation à la haine raciale véhiculée par le film. Mais sans doute se soucient-ils peu d’aller voir ce genre de film.

Entre les bons et les méchants, il y a les personnages équivoques. En premier lieu, le flic d’origine malienne qui fait figure de traître à la communauté. C’est lui qui tirera au Flash-Ball sur un adolescent et cette bavure va faire basculer le film dans le thriller. Il y a aussi le mafieux africain qui rackette les commerçants et maintient l’ordre dans la communauté,  dans un arrangement douteux avec la police et les élus. Aux dires de certains observateurs, les émeutes de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), en novembre 2019, illustrent ce qui arrive quand ces « arrangements » ne sont plus respectés. 

Ladj Ly, qui a lui-même été condamné par la justice (complicité de « crime d’honneur »), ce qui le rapproche de Roman Polanski, nous donne à voir une contre-société aux antipodes de la « société de confiance », du « désir de vivre ensemble » (Renan) et de l’État de droit qui font le ciment de la nation française depuis plusieurs siècles. On est clairement ici dans ce qu’un collectif d’enseignants a dès 2002 qualifié de « territoires perdus de la République ». Si l’on accepte cette vision de l’avenir et si l’on n’y voit d’autre remède que des dotations financières à fonds perdus, sans doute peut-on s’interroger sur la permanence de la République française et des valeurs auxquelles nous persistons à croire.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2024-01-20 15:04:28
rotou22 (09-02-2020 19:27:30)

Analyse très pertinente de Bernard (04/02), avec de très bons exemples à l'appui.

papyloup1539 (04-02-2020 19:33:06)

Mr Liger je suis complètement d'accord avec votre perception de l'intégration qui se fait tellement mieux chez les arrivants des plus lointains pays du Globe ! Question de moralité ?... des uns et des autres ...

Bernard (04-02-2020 09:56:18)

Il y a une différence (en l'occurence elle est éclatante) entre pauvreté et misère. La pauvreté est économique, la misère est morale. La misère, c'est la dégradation morale (éducation défaillante, perte d'identité, désert culturel, dérives délictuelles, dégradation de soi par la toxicomanie ou la prostitution) souvent induite par la pauvreté quand elle est enkystée dans le temps (générations de chômeurs) et dans l'espace (la "Téci"). C'est donc bien la misère qui imprègne ces quartiers.
Les veuves d'agriculteurs de mon village vivent avec quelques centaines d'euros de pension de reversion, le produit de leur potager et quelques poules et l'amitié de leurs voisins. Ma grand-mère a vécu 40 ans comme cela. Elles sont bien plus pauvres mais il ne leur vient même pas à l'idée de demander le minimum vieillesse. Elles ne sont pas dans la misère.
Il y a des passerelles entre Pauvreté et Misère mais il ne faut pas les confondre.

Liger (03-02-2020 19:41:08)

Je n’ai pas vu le film et n’ai aucune intention de verser un kopeck aux auteurs de ce qui semble constituer une charge primaire, haineuse et raciste contre la France en général... ce qui évite de se poser des questions sur les difficultés d'intégration qu'on ne sent pas chez des immigrés d'autres origines, parfois lointaines comme les Chinois. On ne peut nier les difficultés : mais les présenter - une fois de plus - sur un ton victimaire et haineux est lassant et contre-productif.

Comme trop souvent – y compris dans maints travaux documentaires ou d’investigation – on prédéfinit la Vérité bien-pensante à démontrer et renforcer et tout le reste (travail artistique et documentaire) doit se plier à cet impératif : ainsi, par exemple, écrit-on l’Histoire dans les régimes totalitaires. Pouvant être admissible pour une plaidoirie d’avocat devant tirer son client d’une situation délicate, cette méthode néfaste est injustifiable dans tout autre contexte car elle engendre des mensonges sous forme d’œuvres de propagande ou de « documents » sans valeur ; concernant les films de fiction, seul le talent artistique peut « sauver les meubles », comme, par exemple, pour « La ligne générale » (1929), film abominablement mensonger sur la collectivisation en URSS mais visuellement splendide : mais n’est pas Eisenstein qui veut…

Quant à la justification du titre « Les Misérables », la soi-disant explication (Victor Hugo a ou aurait écrit son roman à Montfermeil) avancée par les auteurs ne tient évidemment pas : c’est surtout à Paris que se passent « Les misérables » de Hugo et peu importe où il a écrit son livre… d’autant plus que Montfermeil à son époque n’avait strictement rien à voir avec Montfermeil de nos jours. Mais ces brillantissimes « auteurs » n’ont pas le courage d’admettre qu’ils ont choisi ce titre pour profiter de l’énorme renommée de l’œuvre d’Hugo : en droit, on appelle ceci un « rapprochement indiscret » (il y a des poètes parmi les magistrats) constitutif du parasitisme. Mais quoi, tout est bon pour pallier le peu de foi dans son talent, même le rattachement à un s.. de Gaulois de souche, patriote de surcroît. Minable.

Quant au soutien de M. Macron, il est dans la lignée de ses propos aussi stupides qu’infâmes sur « la colonisation, crime contre l’humanité » proférés début 2017 chez M. Boutéflika dont le régime FLN s’y connaît en matière de crime ; mais la récolte de voix dans « les quartiers » justifie toutes les bassesses pour ce très petit monsieur…

Nelly (03-02-2020 11:29:12)

Merci pour le commentaire de PierreB

dominique (03-02-2020 08:59:03)

Je n'ai pas vu ce film, mais en fait je le vis chaque jour

Daniel (02-02-2020 19:07:20)

Si ce film est primé, ce ne sera pas la première fois que Cannes honore une imposture; et qui a je le parie, bénéficié comme beaucoup d'autres nanars, de subventions publiques.

Gil (02-02-2020 18:38:47)

Je n'ai vu que des extraits du film ! Trop de sales g. de tous les côtés. Ou est la France? Je m'abstiens donc.

Nicole (02-02-2020 16:41:09)

Avec un américain pour présider le festival de Cannes (Spike Lee) on ne s'étonnera pas de voir la France représentée par un film très proche du politiquement correct étatsunien. Vous ne voudriez quand même pas que Fantine soit une gilet jaune et Jean Valjean un ex-braqueur blanc évadé de Fleury Mérogis ? Cosette une gamine placée en famille d'accueil, son fiancé Marius un boursier venu des "territoires", issu d'une famille bourgeoise ruinée et préparant Sciences Po au milieu de fils de riches et de quelques banlieusards qui se moqueront tous de son accent du Sud ?
Quand allons-nous voir sur les écrans évoquer le malaise de la population provinciale et des 50 % de Français habitant dans des villes de moins de 9.000 habitants ?

MASURE (02-02-2020 16:24:12)

Cher Joseph Savès,
Désolé, mais nous n’avons pas vu le même film. Celui que j’ai vu ne montre pas des bons et des méchants, mais plutôt des groupes de personnes d’horizons divers plongées dans le même écosystème social désolant d’une cité de la banlieue parisienne bien identifiée. Toutes partagent la même galère qui en fait, à des titres divers, des misérables du XXIème siècle. Ceux qui veulent donner une dimension universelle à ce qui n’est qu’une fiction, qui veulent y voir un miroir de notre société toute entière, fantasment tout autant que ceux qui en donnent une lecture manichéenne et désespérée, avec des stéréotypes galvaudés. N’oublions pas bien sur les inégalités, la violence, la ségrégation, les dérives racistes qui sont évoquées dans ce film. Mais gardons raison et espoir : c’est en montrant sans restriction, parfois avec excès, une réalité exécrable qu’on pourra la faire évoluer, tous ensemble et non pas en choisissant chacun son camp. La République est assez forte pour résoudre ces problèmes. Renan que vous citez, avec Jaurès et consorts avaient bien plus fort à faire en 1905 !

PierreB (02-02-2020 16:23:57)

Commençons par la fin de votre article : "Si l’on accepte cette vision de l’avenir…" Il ne s'agit pas d'une vision de l'avenir, mais d'une vision d'une réalité bien actuelle à laquelle il serait bienvenu de faire face. Je n'ai aucun doute sur votre connaissance de l'histoire de la France, je doute en revanche de votre connaissance de la France d'aujourd'hui, ou au moins de certains aspects de cette réalité.
J'ai vu et beaucoup apprécié ce film, justement parce que les personnages sont tout sauf les caricatures que vous décrivez. Les jeunes sont des paumés avec par moment des éclairs de bon sens et de générosité. Les flics plongés dans un univers a priori hostile se comportent d'une manière que même des gens très bien comme vous et moi ont pu connaitre, mais avec des failles et des doutes qui sont habilement montrés. Les uns et les autres vivent dans un univers qui vous est (qui m'est) étranger mais qu'il est utile de percevoir en lisant quelques auteurs ou quelques journalistes qu'on ne peut soupçonner de complaisance envers l'islamisme ou avec la "racaille". Il s'agit en effet d'une contre-société, organisée en raison de l'absence ou de l'impussance de l'Etat de droit. C'est fort regrettable, mais c'est ainsi, ça existe.
A l'inverse de vous, je trouve significatif que ni les représentants de la police, ni ceux des gitans n'aient manifesté leur désaccord, comme s'il s'y retrouvaient finalement pas si mal.
Oui, il y a un racisme chez les gens du voyage comme chez d'autres groupes humains ou "communautés", ce qui contribue à leur choix de ne pas se mélanger avec le reste de la population. Est-ce que la scène de confrontation à propos du lionceau est exagérée, je ne sais pas, mais elle me semble assez réaliste.
Avez-vous remarqué, dans l'histoire comme dans le monde d'aujourd'hui, que les groupes humains livrés à eux même s'auto-organisent avec, toujours, des malins profiteurs et des suiveurs/exploités, un mélange de grandeur et de bassesse, souvent chez les mêmes personnes.
Vous utilisez à mauvais escient le terme "gitan". Cette appellation à caractère ethnique n'a pas sa place ici. En France, il y a d'une part les "Gens du voyage", Français itinérants comme les professionnels du cirque et d'autre part les Roms qui sont des migrants récents venant de Roumanie, de Hongrie ou de Bulgarie. Deux réalités bien différentes, deux groupes humains qui ne s'aiment pas beaucoup, je peux en témoigner au regard de certaines de mes activités associatives.
Pour ma part, je suis persuadé que Victor Hugo serait fier que l'on ait repris le titre de son œuvre, comme elle, ce film raconte une population invisible, la lie de la société, celle qu'il faut réprimer s'il n'est pas possible de la nier.
Amis lecteurs et lectrices d'Hérodote allez voir ce film avec à l'esprit la diversité et finalement la richesse de notre société multiple dans laquelle nous vivons et agissons tous et toutes.

nicole (02-02-2020 15:56:54)

Félicitation pour votre article , entièrement d accord avec vous , ce n est pas un fait divers , c est notre histoire de France qui se joue

Roger (02-02-2020 13:38:04)

J'ai vu ce film et je suis tout à fait d'accord avec ce point de vue. Les méchants, comme il se doit, sont de couleur claire, les gentils de couleur sombre alors que la réalité, comme toute personne de bonne de volonté ne peut que constater, est plus nuancée. Le politiquement correct sera vraisemblablement récompensé comme il se doit. Cela étant dit, film à voir avec toutes les réserves d'usage.

robbe saul (02-02-2020 12:04:09)

Bonjour,arrêtez d'être offusqué par les scenes invraisemblables du film concernant la police.Comme si ces hommes étaient des saints.On devine en vous lisant que vous n'avez pas été confronté à ce genre de scènes de racisme ordinaire et quotidien de la part des flics.Redescendez sur terre.

Philippe Marquette (02-02-2020 11:31:52)

Donner autant de publicité à un film apparemment très anti-français est désagréable.
Si les immigrés arrêtaient de se victimiser ce serait bien.
Ce n'est pas de l'histoire, c'est du fait divers.
Je pensais qu’Hérodote était un site consacré à l'Histoire et pas aux faits divers sordides.

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