Avec « J’accuse », en salles le 13 novembre 2019, Roman Polanski signe un excellent film historique sur la plus célèbre affaire judiciaire de l’histoire de France, l’Affaire Dreyfus.
Il a pris le parti non de la raconter mais de la montrer à travers le regard de celui sans qui elle n’aurait pas existé, le colonel Picquart, un officier déluré et antisémite (Jean Dujardin, excellent dans ce rôle).
Ce point de vue, c'était déjà celui de Robert Harris, auteur du roman qui a inspiré le film, D. (2013), avec qui Polanski a co-écrit le scénario.
À nos lecteurs qui se disposent à voir ce film, nous recommandons de lire au préalable notre récit de l’Affaire Dreyfus afin d’en comprendre l’intrigue et les enjeux ainsi que les limites de l'interprétation qu'en donne le film...
Le film s’ouvre sur la dégradation du capitaine Alfred Dreyfus dans la cour de l’École militaire, à Paris, le 5 janvier 1895. Officier juif déclaré coupable de haute trahison par un tribunal de guerre, il aurait fourni des éléments confidentiels à l’ennemi allemand. Louis Garrel, bien grimé, fait un Dreyfus très convaincant. Ses insignes et épaulettes lui sont violemment arrachées, son épée cassée en deux et sa casquette et ses médailles sont jetés à terre et piétinées. C’est le summum de la disgrâce.
Derrière les grilles, une foule haineuse vocifère insultes et propos antisémites. Dreyfus clame son innocence.
Roman Polanski (86 ans) s’est inspiré pour ce film du roman éponyme de Robert Harris, lequel a été associé à l’écriture du scénario. Il met en avant le point de vue d’un homme méconnu du grand public et pourtant vrai héros de l’Affaire, le lieutenant-colonel Georges Picquart.
Jean Dujardin, fidèle à lui-même, entre sans grande difficulté dans la peau du personnage. On assiste à l’ascension de ce lieutenant-colonel qui atterrit à la direction du service de renseignements. Il prend son rôle très à cœur et exerce ses missions dans le respect des valeurs militaires.
La « preuve » accablant Dreyfus est un bordereau découvert le 26 septembre 1894 et adressé au major allemand Schwartzkoppen, dans lequel les officiers du renseignement et même le célébrissime expert de la police judiciaire Adolphe Bertillon (Matthieu Amalric) ont cru reconnaître l’écriture du capitaine...
Un jour de mars 1896, alors qu’il consulte les documents fournis par Madame Bastian, femme de ménage-espionne qui transmet le contenu des corbeilles en papier de l’ambassade allemande à l’armée française, Picquart fait une découverte qui change le cours de sa vie, et de l’Histoire.
Il tombe sur « le petit bleu », un mot d’un officier français d’origine hongroise, le commandant Esterhazy, adressé à Schwartzkoppen. Tiens donc, l’écriture du mot ressemble étrangement à celle du bordereau. Dès lors, Picquart se met en quête de vérité et se rend compte que le dossier à charge est très, très mince...
C’est un homme à la personnalité ambigüe. Célibataire libertin comme beaucoup de ses homologues, qui entretient une liaison avec une femme mariée (Emmanuelle Seigner), il place la justice et l’honneur militaire au-dessus de tout. Il partage aussi un antisémitisme de salon très courant en son temps, allant jusqu’à déclarer sans sourciller à Dreyfus qu’il n’aime pas les juifs mais n’accepte pas pour autant qu’un innocent soit condamné !
Mais la hiérarchie militaire et le ministre ne veulent rien entendre. Dans une période de grande tension internationale, il n’est pas question selon eux de laisser planer le doute sur l’infaillibilité de l’armée et de ses tribunaux !
Le colonel Picquart s’oppose aussi à son subordonné, le commandant Henry (Grégory Gadebois). Un militaire obsédé par le respect des ordres et de la hiérarchie qui en vient à produire en octobre 1896 un bordereau qui accable Dreyfus.
Picquart est finalement affecté loin de Paris, jusque dans les confins de la Tunisie. Mais comme Dreyfus sur l’île du Diable, il a le « tort » de survivre à l’épreuve et revient à Paris pour reprendre son enquête. Convaincu que la vérité finira par l'emporter, il souhaite éviter à l'institution militaire le déshonneur qui pourrait en résulter.
C'est ici que le film prend des libertés avec la réalité historique. Le réalisateur montre une rencontre entre Picquart et les principaux dreyfusards, Matthieu Dreyfus, frère du condamné, Georges Clemenceau , patron de L’Aurore, et Émile Zola. Mais cette rencontre n'a jamais eu lieu et pour cause. Picquart, en effet, refusait absolument de dévoiler aux « dreyfusards » ce qu'il savait de l'affaire car lui-même tenait malgré tout à sauver sa carrière. C'est de façon détournée, par un banquier, que va éclater la vérité !
Esterhazy, de son côté, demande à être jugé. Contre toute attente, le 11 janvier 1898, il est acquitté et c’est Picquart qui est finalement condamné et exclu des cadres de l’armée !
Du « faux » au célèbre « J’Accuse »
Le 13 janvier 1898, alors que Picquart part en fourgon pour un an d’incarcération, L’Aurore publie à la Une le célèbre « J’Accuse ». L’Affaire est lancée et ne s’arrêtera plus.
Peu de temps après, le 30 août 1898, Henry avoue être à l’origine du faux. Il est incarcéré à son tour… et se suicide au grand soulagement de sa hiérarchie.
Un procès en révision s’ouvre enfin à Rennes le 9 septembre 1899. À la stupéfaction générale, Dreyfus est à nouveau condamné mais « seulement » à dix ans de réclusion ! Dix jours plus tard, le président Loubet le gracie. Las et usé, Dreyfus accepte la grâce et renonce à faire appel de son jugement à la grande déception de Picquart et de quelques autres qui auraient souhaité relancer l'affaire sur le plan politique…
En à peine 2h12, Polanski parvient à reconstituer l’atmosphère de l’époque, avec ses préjugés et ses enjeux. Les femmes y tiennent une place très réduite malgré l’excellente prestation d’Emmanuelle Seigner dans le rôle de l’amante.