22 mai 2019

Les sept péchés capitaux de l'Europe

L’Europe (l’Union européenne) a la migraine. L’une de ses principales composantes (l’Angleterre) se dispose à la quitter, ses composantes orientales ex-communistes se rebellent au nom de leur liberté fraîchement acquise, sa croissance économique est au plus bas, y compris en Allemagne… L’Europe n’arrive pas à maîtriser les flux d’immigrants en provenance d’outre-Méditerranée. Enfin, elle est devenue le terrain de jeu des principales puissances de la planète, les États-Unis et la Chine, qui usent de ses divisions pour s’emparer de ses marchés, de ses entreprises et de son savoir-faire.

Faut-il s’étonner dans ces conditions de la poussée des partis « eurosceptiques » dans la plupart des pays de l’Union ?

L'Union européenne, dont les prémices remontent à soixante-dix ans, peut se flatter de nombreux succès et par-dessus tout d'une situation de paix exceptionnelle par sa durée. L’Europe de l’Ouest jouit aussi d’une aisance enviable, sans équivalent dans le monde si l’on met à part quelques pays comme le Japon, la Corée, Taiwan, Singapour, le Canada ou encore l'Australie… Elle le doit à l’effort renouvelé des quarante générations de femmes et d’hommes du précédent millénaire qui ont bâti des communautés nationales fondées sur le droit, la confiance et la solidarité.

Les inquiétudes actuelles tiennent à la crainte de dilapider ces acquis millénaires dans une Union européenne plus que jamais sous tension, du fait de ses dissensions internes et de son impuissance face aux défis extérieurs. On peut nier ces inquiétudes et traquer les partis politiques qui ont le front de s’en servir, de la même façon qu’on casserait un thermomètre pour ne pas voir une montée en température. C’est une approche « optimiste » mais stérile et vaine.

On peut aussi poser un diagnostic sans tabous sur la construction européenne et ses points faibles, en vue d’en tirer un protocole de soins salvateur. C’est une approche « pessimiste » mais constructive. Engageons-nous donc dans cette voie et demandons-nous quels sont les malentendus à l’origine de la crise européenne. Nous en avons distingué sept, comme les péchés capitaux du catéchisme d’antan : (1) l'Europe a été créée pour faire la guerre (froide), (2) elle s'est soumise à Washington, (3) elle prétend effacer les nations, (4) elle n'a généré aucune solidarité entre les citoyens des différents États, (5) elle s'est construite sur une idéologie (néo)libérale, (6) elle tourne le dos à sa diversité culturelle, (7) elle privilégie l'accessoire à l'essentiel.

André Larané

1/ L’Europe a été créée pour faire la guerre (froide)

Caressée par maints rêveurs, de Victor Hugo à Aristide Briand, l’idée européenne a été réactivée par Winston Churchill, à Zurich le 19 septembre 1946, et reprise au vol en mars 1947 par le Congrès américain qui se déclara « favorable à la création des États-Unis d’Europe dans le cadre des Nations Unies ».

On était alors en pleine guerre froide. L’URSS de Staline se dotait de la bombe thermonucléaire. La Chine, l’Indochine et la Corée étaient sur le point de tomber sous sa tutelle. Berlin allait faire l’objet d’un blocus et chacun craignait une troisième guerre mondiale entre les deux Super-Grands, États-Unis et URSS.

En rapprochant les pays ouest-européens, Washington souhaitait donc allumer un contre-feu face à la menace soviétique. Mais dans une Europe occidentale où les communistes pesaient jusqu’à 25% du corps électoral (France, Italie), on préféra se convaincre que la construction européenne avait avant tout vocation à réconcilier ses peuples. Cette fable innocente prévaut encore aujourd’hui.

Dans les faits, quand la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) fut créée le 9 mai 1950, cinq ans après la fin du nazisme, il était bien évident que l’Allemagne meurtrie, honteuse, occupée et divisée était pour plusieurs générations hors d’état de reprendre les armes. Ses voisins avaient tout autant perdu l’envie de replonger dans la guerre. De même que Waterloo (1815) avait inauguré un siècle de paix à peine altéré par quelques guerres brèves et limitées, on pouvait raisonnablement espérer un nouveau siècle de paix avec ou sans union politique de l’Europe.

C’est à nouveau le contexte international, le soulèvement de Budapest et la crise de Suez (1956), qui ont permis le traité de Rome l’année suivante. En réactivant la menace soviétique et surtout en démontrant la faiblesse de la Grande-Bretagne et de la France face aux deux Super-Grands, ces crises ont levé les objections de la France au projet de Marché Commun.

La chute du communisme européen en 1989-1991 a remis en question les prémices de l’Europe. La menace soviétique a disparu et la Russie en format réduit qui a succédé à l’URSS s’est montrée soucieuse de seulement protéger les russophones.

C’est dans ce contexte apaisé que l’OTAN et les pays de l’Union européenne ont pris le parti de faire la guerre pour la première fois de leur histoire, en intervenant en Yougoslavie puis en déstabilisant le Caucase et l’Ukraine.

On peut y voir la démonstration que c’est la guerre froide qui assurait la paix en Europe… et poussait les Européens à s’unir. Sitôt qu’elle a pris fin, par KO de l’URSS, l’Europe est redevenue une terre de conflits et de tensions.

2/ L’Europe s’est soumise à Washington

La construction européenne a été rendue possible par le soutien des États-Unis et jusqu’à la chute de l’Union soviétique, ce soutien n’a pas fait défaut. Il s’est aussi accommodé de quelques dissidences : le général de Gaulle ne s’est pas privé de dénoncer l’intervention américaine en Indochine et, dans un souci d’indépendance, il a même suspendu la participation de la France au commandement de l’OTAN.

Il est vrai que l’Amérique flamboyante de l’après-guerre suscitait attirance et fascination jusque chez ses adversaires du camp communiste. Le contexte a changé dans les années 1990 quand s’est effondrée la menace soviétique et que les États-Unis sont apparus comme une économie déclinante face à la percée de la Chine. Misant dès lors sur sa puissance militaire, le gouvernement américain est devenu un facteur d’instabilité : extension de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie, blocus de l’Irak, déstabilisation de l’Iran etc.

En 2003, le gouvernement français s’est une dernière fois permis d’apporter la contradiction au gouvernement américain quand celui-ci s’est mis en tête d’envahir l’Irak. Quinze ans plus tard, il n’est plus question de s’opposer à l’Oncle Sam. L’Europe suit les États-Unis quoi qu’ils fassent et quoi qu’il lui en coûte : diabolisation de la Russie, soutien à l’Arabie dans son agression du Yémen... Elle s’est même couchée quand le président Trump a unilatéralement déchiré l’accord de Paris sur le climat et le traité de Vienne avec l’Iran.

Plus grave que tout, l’Europe s’est soumise au droit intérieur américain en acceptant que soient sanctionnées les entreprises qui viendraient à commercer avec l’Iran. C’est du jamais vu en matière de servitude volontaire de la part d’États naguère indépendants et respectés. « Si nous acceptons que d'autres grandes puissances, y compris alliées, y compris amies dans les heures les plus dures de notre histoire, se mettent en situation de décider pour nous notre diplomatie, notre sécurité, parfois en nous faisant courir les pires risques, alors nous ne sommes plus souverains, » a reconnu Emmanuel Macron à Aix-la-Chapelle, le 10 mai 2018. La conclusion est sans appel et c’est donc le président qui le dit : nous ne sommes plus souverains !

L’Europe, vache à lait des Gafa

Aujourd’hui, les Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple…) pillent impunément les ressources de l’Europe. Ces sociétés de « services » toutes basées outre-Atlantique usent de leur monopole numérique pour rançonner les travailleurs et les consommateurs européens (taxis, hôteliers…) comme les « fermiers généraux » de l’Ancien Régime qui s’étaient appropriés la collecte de l’impôt et en tiraient de juteux profits.

Il serait tout à fait possible de les en empêcher en promouvant nos propres acteurs de l’internet. C’est ainsi que procèdent les Chinois et cela leur permet de demeurer maîtres chez eux. Mais les fonctionnaires et élus européens se l’interdisent car ils ont placé toute leur foi dans la « libre entreprise ». Sauf révolution (improbable), on ne reviendra pas à la « préférence communautaire » des années 1960 et aux politiques intergouvernementales qui ont engendré Airbus et Ariane et défié les monopoles de Boeing et la NASA.

3/ L’Europe prétend effacer les nations

En 1914, au sommet de sa puissance, emportée par un orgueil démesuré, l’Europe a sombré dans une effroyable « guerre de Trente Ans ». D’aucuns en ont rendu responsables les États-Nations. C’est oublier que ceux-ci ont permis aux Européens de bâtir en mille ans une immense civilisation, avec la démocratie en prime. Ces États-Nations ont limité les conflits en permettant à chaque communauté de se développer suivant ses usages et ses mœurs, au contraire de l’empire chinois qui a connu de nombreuses guerres civiles à peu près aussi meurtrières que les guerres mondiales, de la rébellion An Lushan (VIIIe siècle) à la révolution culturelle.

L’Union européenne croit pouvoir faire table rase de son passé, à la différence de la Suisse, par exemple, qui s’est construite dans le respect des différences entre ses cantons. Illustration : en campagne pour la liste présidentielle aux européennes, Nathalie Loiseau plaide pour une « Europe des territoires ». Les territoires ? Des lieux habités par des gens, où les échanges se font avec des billets illustrés par des ponts et des portes sans nom et sans mémoire… 

Cette dépersonnalisation de l’Europe vise clairement à gommer l’Europe des nations et des citoyens. Sur les murs du bâtiment Berlaymont qui abrite à Bruxelles la Commission européenne, on voit des cartes d’où les États ont pratiquement disparu au profit des circonscriptions administratives. Les fonctionnaires de Bruxelles ignorent ostensiblement les nations mais débordent d’attentions pour les régions, comtés, départements, communes, corporations, associations etc.

La Commission se fait ainsi un devoir de distribuer à quiconque lui en fait la demande des subventions joliment qualifiées de « fonds européens structurels et d’investissement » (FESI). C’est de l’argent versé à Bruxelles par les différents États et redistribué tous azimuts, pour le financement de ronds-points, de tunnels, de crèches, de musées, d’organisations caritatives etc. Par cette « générosité » faussement innocente et somme toute inutile, l’Union s’immisce dans les politiques nationales et brouille leurs priorités.

La raison voudrait que les FESI soient simplement versés aux États les plus nécessiteux et que l’on s’en tienne là en laissant aux citoyens de chaque État le soin de décider de l’affectation de leurs ressources.

L'illusion impériale

Instruit en histoire, le président Macron a réveillé ses souvenir de l'empire romain comme des empires byzantin, ottoman, mongol ou encore chinois. Il a avancé le souhait que l'Union débouche sur un « Empire européen » ! Un cauchemar en perspective ! La dernière fois qu'une myriade d'États se sont transformés en Empire, ce fut avec l'unification allemande, au XIXe siècle. Divisée en 350 principautés à l'issue des traités de Westphalie, en1648, l'Allemagne se montra prospère, pacifique et créatrice comme jamais. Réunie sous la forme d'un empire en 1871, elle ne tarda pas à devenir le plus effroyable des États...

Ainsi que le rappelle l'historien Gabriel Martinez-Gros, l'empire est par définition l'antithèse de l'État-Nation. C'est une structure autoritaire, qui fonctionne sur l'arbitraire et l'oppression fiscale, et dont l'oligarchie assure sa domination en divisant les populations, avec au final une société sclérosée. Quel citoyen pourrait en rêver ?

4/ L’Europe n’a généré aucune solidarité entre ses citoyens

La construction européenne n’a créé en soixante-dix ans aucune solidarité effective par-dessus les États. En pratique, dans leur vie quotidienne, les Français ne sont pas plus solidaires des Allemands et des Roumains que des Mongols ou des Sénégalais. En matière sociale, fiscale ou civile, les Européens ne partagent strictement rien entre eux et sont même dans plusieurs domaines en concurrence les uns avec les autres.

Il y a aujourd’hui plus de liens entre un habitant d’un bidonville de Mayotte et un bourgeois de Strasbourg qu’entre ce dernier et son voisin de Fribourg-en-Brisgau, si proches qu’ils soient par les mœurs et le mode de vie. Les Strasbourgeois acceptent sans maugréer de financer des aides sociales à destination des Mahorais. Mais on a vu par contre les Fribourgeois et les autres Allemands se soulever avec colère quand il a été envisagé en 2015 d’aider les Grecs victimes de la crise.

L’union monétaire et la libre circulation des capitaux ne compensent pas l’absence de solidarités sociales et humaines. Au contraire, elles exacerbent les conflits entre les citoyens des différents États. C’est ainsi que les paysans français encaissent aujourd’hui de plein fouet la concurrence de l’agro-industrie allemande sans pouvoir se défendre et l’actuel président de la Commission européenne a pu gouverner pendant dix-huit ans le Luxembourg en « pompant » à son seul profit les ressources fiscales des groupes américains installés en Europe.

Notons que les aides aux États les plus pauvres (Roumanie, Bulgarie…), justifiées et nécessaires, ne créent pas davantage de solidarité que l’aide de l’Europe à l’Afrique. Si elles sont mal gérées, elles peuvent induire une situation de dépendance et nourrir les réseaux mafieux et la corruption.

5/ L’Europe s’est construite sur une idéologie (néo)libérale

L’Europe est née en 1950 sur un projet de coopération économique. Rien de plus normal. À mesure qu’elle a grandi, elle a eu soin  d’abattre les barrières douanières et les entraves aux échanges. Normal aussi. Elle s’est aussi associée aux négociations initiées par les États-Unis sous le nom de Kennedy Round (1964-1967) en vue de faciliter les échanges internationaux. Normal également. On est ici dans une démarche pragmatique qui réunit des États souverains également développés.

Un changement s’est produit à la fin des années 1970, avec d’une part la fin de l’expansion d’après-guerre (les « Trente Glorieuses »), d’autre part l’émergence d’une idéologie néolibérale (Milton Friedmann, Friedrich Hayek…) qui n’a plus rien de pragmatique et soutient mordicus que « l’actionnaire sait mieux que quiconque ce qui est bon pour l’entreprise » (Jack Welch, General Electric), « l’État n’est pas la solution à notre problème, l’État est le problème » (Ronald Reagan, président américain) et « le libre-échange, c’est la paix » (Pascal Lamy, président de l’Organisation mondiale du commerce).

À la différence des autres dirigeants de la planète (Américains, Chinois, Japonais…), les Européens se sont convertis sans réserve à la nouvelle religion. Ils ont multiplié les accords de libre-échange dissymétriques (Japon, Chine, États-Unis…) en ouvrant leurs marchés et leurs capitaux sans s’assurer de la réciproque. Il s’en est suivi une perte de marchés et surtout de savoir-faire dont le dernier exemple est le rachat du géant allemand de la robotique, Kuka, par une société chinoise inconsistante mais grassement financée par Monsieur Xi (Xi Jinping).

Fidèles à leur foi, les dirigeants européens ont aussi prohibé toute forme de dirigisme étatique et de coopération intergouvernementale. De fait, depuis la mise en route de l’Acte unique (libre circulation des marchandises et des capitaux) et de la monnaie unique en 1988, l’Europe n’a plus aucune réalisation à son actif, comparable à Airbus (1970), l’Agence spatiale européenne (1975), Erasmus (1985) etc. L’Europe est en panne. Toute son énergie est vouée à la défense de la monnaie unique envers et contre tout, cependant que l’industrie qui a fait la richesse du continent s’étiole, s’évanouit ou s’évade.

Le néolibéralisme est au libéralisme ce que le marxisme-léninisme fut au socialisme, une extrapolation monstrueuse et mortifère. On n’en sort pas impunément et c’est en vain que certains Européens réclament la « préférence communautaire » sur les importations et les contrats publics. Il faut dire qu’il est plus avantageux à titre individuel d’importer un produit de Chine au prix de 20 et de le revendre 90 plutôt que de le fabriquer en Europe au prix de 50 et de le revendre 100.   

6/ L’Europe tourne le dos à sa diversité culturelle

Art nouveau, Art déco… Jusque dans les années 1920, l’Europe a donné le la à la culture. Surmontant les divergences politiques et même les conflits, les Européens ont tissé entre eux des rapports étroits et féconds. Dès le XIIe siècle, les étudiants voyageaient sans doute davantage que les étudiants Erasmus du XXIe siècle ! Il s'ensuit que chez les grands créateurs, Shakespeare, Mozart, Goethe, Hugo… l'inspiration était européenne avant que d’être nationale. Quel Français écrirait aujourd’hui un hymne à la culture allemande (ou italienne ou espagnole) comme autrefois Mme de Staël ou plus près de nous François Mitterrand ?

Nous n'en sommes plus là. Toutes les références culturelles communes aux Européens viennent d’outre-Atlantique, y compris les acteurs de cinéma et la musique. Ces références sont véhiculées par l’anglais international ou globish. « À Bruxelles, c’est le globish qui règne en maître, une forme appauvrie à l’extrême de la langue de Shakespeare qui permet à tout le monde de communiquer sans problème », écrit Jean Quatremer, ex-européiste (Les Salauds de l’Europe). Faut-il s’en féliciter ? « La langue n’est pas neutre, rappelle Jean Quatremer. Elle véhicule des valeurs et des concepts et, surtout, seule la langue de naissance permet de communiquer au plus près de sa pensée : ce n’est pas un hasard si un Américain, un Chinois ou un Japonais ne négocie jamais dans une autre langue que la sienne »

Faut-il malgré tout se résigner à la domination de l’anglais ? Serait-ce le prix à payer pour la réconciliation des peuples ? Ce serait un bien mauvais calcul...

Dans quelques années, deux décennies au plus, nous disposerons avec internet d’outils de traduction instantanés d’une extrême fiabilité qui rendront inutile le recours à l’anglais international, y compris à l’oral. Il suffira à chacun de s’équiper d’une oreillette et de tendre son mobile vers son interlocuteur pour que chacun puisse parler et entendre dans sa langue maternelle. L’apprentissage des langues cessera d’être une obligation et redeviendra un pur plaisir. Les Japonais et quelques autres peuples demeurés fidèles à leur langue pourront alors pleinement jouir de leur avantage sur ceux qui auront fait le choix du plus petit dénominateur commun.

7/ L’Europe privilégie l’accessoire à l’essentiel

L’union fait la force, a-t-on coutume de dire. À condition que tous tendent vers le même objectif, faudrait-il ajouter. Autrement, l’union peut mener à la paralysie. C’est ce qui est arrivé à la Pologne au XVIIIe siècle à cause d’une mesure constitutionnelle d’une rare stupidité, le liberum veto, qui permettait à un quelconque député de la Diète de bloquer une loi. En conséquence, les voisins de la Pologne ne se faisaient pas faute de corrompre tel ou tel député pour affaiblir le pays.

De la même façon, en Europe, les intérêts égoïstes de tel ou tel pays viennent régulièrement entraver les intérêts de l'Union. C’est en particulier le cas en matière de fiscalité indirecte, de politique commerciale et de politique étrangère, des domaines dans lesquels est requise l’unanimité des États membres.

En matière de fiscalité indirecte, l’Union est devenue une jungle, chaque État faisant du moins-disant pour attirer chez lui les sièges des grandes sociétés sans qu’il soit possible d’y mettre bon ordre. La Chine a pu bloquer des décisions qui visaient à limiter son pouvoir de nuisance en faisant pression sur la Grèce ou le Portugal, des pays devenus dépendants de ses investissements. Les États-Unis ont pu bloquer la prétention du président Macron de taxer les Gafa (géants de l’internet) en menaçant simplement l’Allemagne de surtaxer ses voitures. Dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, l'Europe, paralysée par ses divisions, figure aux abonnés absents. Le vainqueur ramassera les morceaux.  

En matière de diplomatie, les divisions sont encore plus nettes. Pendant les guerres de Yougoslavie (1992-1995), l’Allemagne et la France se sont rangées dans des camps opposés, la première soutenant la Croatie, la seconde la Serbie. À l’ONU et sur le terrain, les Européens étalent régulièrement au grand jour leurs divisions sur les enjeux israélo-arabes, africains, russes etc. Ainsi la France est-elle seule à combattre le djihad dans le Sahel cependant que Polonais, Baltes et Suédois préparent fébrilement leur revanche sur la Russie.

L'immigration et les questions intérieures affectent aussi les relations entre les États, pas seulement entre Européens de l’Est et de l’Ouest. En février 2019, Paris a ainsi rappelé son ambassadeur à Rome, un acte d’hostilité inouï entre deux « alliés » et partenaires aussi proches !

Là-dessus viennent se greffer les déclarations méprisantes de certains responsables allemands à l’égard de leurs partenaires, qu’il s’agisse de la Grèce ou… de la France. Un vice-chancelier a suggéré que la France renonce à son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU cependant que la dauphine de la chancelière exige que le Parlement européen quitte Strasbourg pour Bruxelles (pourquoi pas ? Mais à condition que la Banque centrale européenne quitte Francfort pour Strasbourg !).  Démuni face à cet état de désunion, le président Macron détourne l'attention en dénonçant les « nationalismes ». C'est une rhétorique qui date. On la rencontrait déjà sous la plume de l’écrivain collaborationniste Drieu la Rochelle qui opposait le « nationalisme tardif des jeunes peuples » à la « nouvelle Europe ».

Conscients de leur impuissance dans les domaines régaliens (fiscalité, diplomatie, commerce), les Européens se rattrapent par un surcroît d’activité dans les domaines subalternes : droit civil, droit du travail, environnement, normes etc. Comme si l’uniformisation des règles allait rendre les Européens plus semblables et plus malléables. Cette orientation est en contradiction avec la belle devise de l’Europe : « Unie dans la diversité ». Elle est surtout en rupture avec le principe de subsidiarité inscrit dans tous les traités depuis 1957...

La subsidiarité signifie qu’une entité ne doit s’occuper que des missions dont les entités de rang inférieur sont incapables. Ainsi l’Union ne devrait-elle s’occuper que de ses relations avec le monde extérieur ainsi que de la protection des frontières. Elle devrait garantir la préférence communautaire concernant les biens et services ainsi que les contrats publics. Enfin, elle devrait veiller à l’équité dans les relations commerciales entre les États membres et sanctionner par exemple les États comme l’Irlande qui pratiquent le dumping fiscal ou les États comme l’Allemagne qui privilégient à tout va leurs exportations en sacrifiant leurs investissements intérieurs et déséquilibrant l’économie des pays clients. Tout le reste, environnement, éducation, droit du travail, droit civil et pénal, sécurité intérieure… ne devrait relever que des États et des citoyens (au moins dans un premier temps). Nous en sommes loin.

Publié ou mis à jour le : 2021-08-11 17:24:04
PRIEUR (10-05-2021 09:08:43)

Excellent article ! Tous ces commentaires négatifs viennent de personnes qui ne veulent pas voir la vérité en face. L'Europe est nécessaire, mais une Europe qui respecte les Nations. A ce jour, à travers la Commission européenne elle n'est plus capable que d'imposer des normes tatillonnes (la hauteur et profondeur des marches d'escaliers, gabarit des fruits etc ...) et des règles qui entravent les souverainetés nationales. Bizarrement personne ne parle de l'immigration et des lois pro-immigrations qui font que l'Europe devient le nouvel El Dorado au risque de lui faire perdre son identité. Je ne pa

didier (27-08-2020 21:27:09)

Cet article est très bien construit pour mener à une conclusion inéluctable, mais basée sur un nombre impressionnant de biais. L’union européenne a bien des défauts, mais qui en sont les responsables ? et vos critiques se contredisent !
1 Les responsables ne sont pas à Bruxelles mais chez nous
Vous critiquez la première forme de gouvernance économique, la CECA , alors que l’Allemagne « était pour plusieurs générations hors d’état de reprendre les armes ». C’est oublier que la CECA, en organisant la production et la distribution du charbon et de l’acier, était aussi un moyen de permettre de contrôler toute menace de réarmement allemand : la France, elle, n’avait pas oublié que, en 1870, en 1914 et en 1939, l’Etat européen le plus dynamique avait voulu remodeler l’Europe à son profit et avait vaincu l’armée française.
Qui est responsable si « l’Europe s’est soumise à Washington ». En rejetant le projet de communauté européenne de défense en 1954, gaullistes et communistes ont, paradoxalement, été les meilleurs agents de cette soumission.
Vous écrivez : « l’Europe s’est soumise au droit intérieur américain en acceptant que soient sanctionnées les entreprises qui viendraient à commercer avec l’Iran ». La situation est bien pire que cela puisque les USA peuvent imposer leur droit à toute entreprise qui utilise, non seulement le dollar, mais aussi tout matériel américain, par exemple des composants électroniques. C’est ainsi qu’ils ont pu mettre la main sur Alsthom malgré l’opposition du gouvernement français. Les USA sont en mesure, grâce à leur poids, d’imposer leurs normes. Le problème est que l’UE ne pèse pas assez pour s’opposer à ces normes et sans doute bientôt à celles de la Chine.
Vous critiquez les Etats européens qui ont prohibé toute forme de dirigisme étatique, qui refusent la « préférence communautaire », et qui font du moins-disant pour attirer les grandes sociétés, les fonctionnaires européens qui ignorent les nations mais débordent d’attentions pour les collectivités locales et les corporations et les Gafa qui « usent de leur monopole numérique pour rançonner les travailleurs et les consommateurs européens (taxis, hôteliers…). » (sic)
Dans tous ces cas qui est le premier responsable ?
- L’Etat français est le premier à refuser toute forme d’intervention : il abandonne la politique industrielle mais il subventionne les « pôles de compétitivité » (privés), il désorganise la gestion des routes « nationales » au profit des sociétés autoroutières sous prétexte de décentralisation. Il est inutile d’avoir une « préférence communautaire » puisqu’il est possible d’introduire tout à fait légalement des clauses de proximité dans les contrats publics.
- En France les industriels mettent en concurrence les collectivités locales pour obtenir un maximum d’aides pour s’implanter chez elles.
- Quel est ce monopole numérique des GAFA ? Rien n’empêche les fédérations des taxis, des hôteliers…de créer leur propre plateforme informatique, si ce n’est la paresse de leurs apparatchiks.
Bref : si on veut, on peut.
2 et vos critiques se contredisent ! vous ne pouvez à la fois reprocher à l’Europe :
- de mépriser les intérêts des nations et vouloir une politique extérieure unique.
- de ne pas créer de solidarité entre citoyens par des actes concrets et vouloir limiter son domaine d’action à une politique extérieure unique et à la protection de ses frontières.
Conclusion : les Etats, les corporations, les consommateurs sont conservateurs en particulier en France. Il faut d’abord balayer devant sa porte et se bouger en faisant des propositions cohérentes. Bref vous avez rédigé un beau tract politique mais ce n’est qu’un tract politique, pas une production digne d’Hérodote.

Claudine Degoul (22-06-2019 22:06:51)

Je suis indignée par cet article ne présentant qu'un aspect de la réalité. Je suis entièrement de l'avis de Rémy Volpi.

clairette (10-06-2019 19:09:24)

Je suis très étonnée de voir de tels propos sur le site Hérodote dont j'attends des éléments permettant d'enrichir ma connaissance des faits historiques et non d'être une tribune politique. D'autant que cette pseudo analyse à charge contre l'Europe, par son outrance, n'apporte aucun élément objectif de réflexion au lecteur.

Caroline43 (03-06-2019 23:15:12)

Rémy Volpi a bien contredit les arguments avancés dans l’article. Celui-ci est on ne peut plus négatif, biaisé, tourné vers un idéal théorique franco-français, comme si après toutes les guerres en Europe on pouvait avec une baguette magique tout effacer. Ce point de vue est typiquement français, centralisateur, prétentieux. La Commission a été imaginée sur le modèle français, lourd et tout sauf efficient. Pour avoir travaillé pendant 35 ans pour l’Europe, je connais les points de vue des autres pays et surtout celui de gouvernements et experts positifs, innovants et créatifs qui veulent aller de l’avant dans le multiculturel respectueux de la diversité malgré les problèmes politiques inévitables. Quel est le pays qui ne respecte pas, sauf une année, les principes de Maastricht et se permet de critiquer les politiques économiques des autres pays.. Les commentaires sur les Balkans et le Caucase, non pas pour l’Ukraine, sont navrants, j’y ai travaillé pendant une dizaine d’années. La France est conservatrice et donc en retard par rapport aux autres pays qui veulent avancer, elle prétend donner des leçons avant de balayer devant sa porte; après des siècles de guerres contre les autres pays d’Europe, un rêve d’Empire échoué, elle est frustrée, comme ses citoyens de mauvaise humeur, arrogants, franco-centriques, ignorants quant à la culture des autres pays européens; et cela commence par le non respect basic de la prononciation des autres langues; aucune radio en Europe ne se permet de ne pas faire l’effort de prononcer correctement un mot, un nom, et on parle de non-respect de la diversité !!! Etc. Etc. Etc.
J’apprécie Hérodote, mais là il se lance dans un terrain qu’il connaît mal, très mal, dommage.

LOIGNON (27-05-2019 12:02:29)

Je fais mien le point de vue de Claude Janssens et déplore qu'Hérodote.net accueille des opinions souverainistes polémiques, qui, pour honorables qu'elles soient, n'ont pas leur place sur le site. Bien d'autres espaces existent pour les faire connaître.

Mfsc (26-05-2019 20:25:42)

Article très décevant par son simplisme outrancier où les exemples et interprétations d'un phénomène majeur de notre histoire récente semblent choisis exclusivement en vue d'étayer un parti pris négatif à l'égard de l'intégration européenne. Seul le dernier paragraphe esquissant l'importance de réaliser un accord sur la subsidiarité des compétences dans l'Union me paraît une considération pertinente. Pour le reste, je suis ébahi qu'Hérodote, publication sérieuse et de qualité, publie un texte outrancièrement généralisateur et mal réfléchi qui fait penser à de la propagande populiste destinée à des lecteurs ignorants.

Herodote.net répond :
Notre souci d'historiens est de comprendre d'où proviennent les difficultés actuelles de l'Union européenne (tensions entre ses États membres, montée des populismes, impuissance face aux géants EU et Chine). C'est seulement à partir d'un diagnostic réaliste de ses points faibles (ce que nous appelons ses "péchés capitaux") que l'on pourra surmonter ces difficultés et certainement pas en les niant.
Cela dit, en marge de ses difficultés, l'Union européenne a heureusement des succès à son actif (même s'ils commencent à dater pour la plupart). Ils feront peut-être l'objet d'un prochain article...

Pasmanchot (26-05-2019 09:06:35)

MM. Savès et Larané ne font que poursuivre leur discours nationaliste: pas de surprise donc. Remarquons que si "c'est la guerre froide qui assurait la paix en Europe", et qu'avec "le KO de l'URSS"l'Europe est redevenue une terre de conflits et de tensions", c'est bien là le résultat d'affrontements nationalistes.

Herodote.net répond :
Les guerres de Yougoslavie qui ont suivi la fin de la guerre froide sont dues à ce que l'on a rassemblé en 1918 des communautés qui n'étaient pas disposées à vivre ensemble. Cela relève d'un fédéralisme déraisonnable et n'a rien à voir avec un quelconque "nationalisme".
Si nous remontons plus loin dans le temps, les deux guerres mondiales et les guerres napoléoniennes sont le produit d'un impérialisme (volonté de domination d'un peuple sur les autres). Cela n'a rien à voir avec l'aspiration des communautés nationales à vivre selon leurs souhaits, à la manière dont cohabitent les différentes communautés suisses au sein de la fédération...

Benoit (26-05-2019 06:30:17)

A une heure ou l'Europe est au bord du naufrage, cette analyse argumentée et étayée par des faits, comme toujours avec Herodote.net, apporte d'intéressantes réponses à la question: comment en sommes nous arrivés là ? pourquoi cette Europe qui nous a tant enthousiasmés (Paix, Airbus, Erasmus, Shengen..) est-elle devenue un repoussoir pour les peuples ?
Éluder ce problème en le ramenant au choix binaire "progressiste ou populiste" est justement ce qui fait le plus progresser les extrémistes de tous bords.
"Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur"

claude Janssens (25-05-2019 13:51:23)

Cher monsieur Larané,
Mon reproche se base principalement sur votre constante analyse, tant de vous-même que d'autres de vos collaborateurs, allant dans le sens d'une critique négative, et à sens unique, de l'Union Européenne. En tant que guide touristique (équivalent de guide conférencier en France) à Bruxelles, il m'arrive souvent de présenter le quartier dit "européen" à de nombreux touristes issus du monde entier.
Mon objectif n'est pas de tout vouloir démolir et de me lamenter sur les carences et, surtout, sur le soi-disant mauvais fonctionnement de cette institution et de ses composantes.
Ayant fait partie du "baby-boom" (aujourd'hui "papy-boom"), j'ai vécu de près l'évolution de la construction européenne.
Mon bonheur aujourd'hui :
- je voyage partout dans la "Zone Euro", sans devoir me casser la tête devant une addition rédigée en francs français, en lires, en pesetas. Quel régal d'avoir un seul porte-monnaie, en Euros !
- je visite d'innombrables musées, églises, sites touristiques partout en Europe; beaucoup de ces institutions bénéficient de subsides européens sans lesquels elles ne pourraient survivre, ma carte de guide y est acceptée et reconnue.
- les autoroutes espagnoles (comme dans d'autres pays) sont de vrais billards; il suffit de voir les panneaux le long de ces routes pour savoir qui les a financées
- J'ai des petits-enfants : ils ont plein d'amis qui étudient dans des universités européennes grâce à "Erasmus"
- Je paye mes factures de téléphone portable de manière identique dans toute l’Europe
- Je regarde souvent les étiquettes apposées sur les emballages de produits divers (alimentation, entretien...); il y a des normes européennes parfois très strictes. Vous me direz qu'elles ne sont pas toujours respectées par les producteurs ou même les états membres (voyez le cas du Glyphosate, ridule, n'est-ce pas?).

Ces petites banalités de tous les jours montrent bien que nous vivons dans une "Europe des Citoyens", une Europe à l’échelle humaine.

Qu'il y ait des appréciations très diversifiées sur le fonctionnement de l'Europe, notamment son énorme et paralysante bureaucratie (sa règle de l'unanimité, notamment), j'en conviens personnellement. Mais j'essaye de prendre les choses avec un esprit positif. Je suis ressortissant d'un pays qui sait ce qu'est le compromis. Ce prochain dimanche, j'aurai "obligatoirement" 5 bulletins de vote à remplir, résultat de "compromis", parfois "compromissions" et d'"arrangements douteux" que le monde politique nous impose. Il y a du pain sur la planche, des revendications citoyennes à mettre en exergue, des manifestations de bonne et de mauvaise humeur à organiser. Et donc prétendre, comme vous semblez l'affirmer (voyez d'ailleurs votre assertion "ce que personne ne nie" : Ah bon! voilà bien un raccourci globalisant et péremptoire) que tout va mal, je me porte en faux contre ces propos, basés sur le repli sur soi et le particularisme identitaire.

Mon père et mon grand-père ont connu d'autres temps bien plus désagréables.
J'ai vu les pays du bloc soviétique se joindre à nous avec un énorme enthousiasme. Les pays des Balkans (ex-Yougoslavie) frappent aujourd’hui à la porte de l'E.U. Sont-ils si aveugles pour ne pas voir que tout va mal dans nos pays ?
Et s'il restait un seul avantage à l'existence de l'Europe, ce serait la "Paix". Je montre à mes enfants et petits-enfants les sites qui relatent les affres d'Auschwitz et les atrocités de ces périodes. J'ose espérer qu'ils ne vivront jamais cela, grâce à une Union Européenne, peut-être légèrement souffreteuse, mais porteuse de bien d'enthousiasme.

Bien cordialement,
Claude Janssens

Rémy Volpi (24-05-2019 13:14:04)

D'une consternante duplicité, et rejoignant en cela maintes impostures eurosceptiques, cet article n'honore pas Herodote.net d'ordinaire mieux inspirée. Car objectivement la situation de l'Europe est la suivante: a) on n'a pas voulu de l'Europe unie fédérale, proposée par Robert Schuman (son projet de CECA était présenté comme première étape de la fédération européenne); b) on en a saboté la construction (rejet de la suite logique du projet, la CED, en août 1954, par le parlement français); c) à défaut d'une Europe politique, on se lance alors dans la construction d'une Europe économique (traité de Rome, mars 1957); d) l'Europe devient un géant économique, mais reste un nain politique (cf. Henry Kissinger: "L'Europe, quel numéro de téléphone?") impuissant à traiter les questions d'envergure continentale; e) d'où la conclusion - malveillante et biaisée - en forme de "self-fulfilling prophecy": ce qui est donc la preuve par neuf de l'ineptie du concept de la construction européenne. On peut tout aussi bien aboutir à la conclusion que, s'il est vrai que l'Europe unie fédérale est le projet idoine, son rejet est la cause même du malaise actuel.
Quant à sa démonstration, Hérodote.net recourt à de grossières contre-vérités, péché capital qui impose point par point une rectification:
1) L'Europe aurait été créée pour faire la guerre froide: ici, on est en plein délire. D'abord parce que l'idée d'Europe unie fédérale n'est en rien une aimable rêverie. Si maints penseurs - dont Emmanuel Kant - d'époques, de pays, de professions, de sensibilités différents ont abouti à la même conclusion c'est qu'elle est le fruit de la raison. Ensuite ce n'est en rien "pour faire la guerre froide" que le concept a été mis en œuvre, dès 1941 notamment, à partir des travaux des codétenus antifascistes d'Altiero Spinelli, qui aboutissaient à la conclusion que les causes du désastre européen étaient dus à la division du continent en Etats-nations souverains. Et que seule la création d'une Europe unie fédérale est de nature à maintenir le continent sur l'échiquier international. Mais il est vrai qu'après que l'hystérie nationaliste a fait de l'Europe, durant la première partie du XXè siècle, "le continent des ténèbres", les pays d'Europe n'étaient guère en mesure de se battre à nouveau entre eux. Et ce d'autant plus que le continent, du fait même de ses agissements, est passé dès 1945 du statut de dominateur de l'univers à celui de territoire semi-colonial partagé entre USA et URSS. Enfin, ce n'est pas la crise de Suez de 1956 qui a mené au traité de Rome en 1957, mais, comme on l'a vu, l'échec de la CED en 1954. Quant à l'affaire de Suez, elle est lla parfaite illustration de ce qu'affirmait Paul-Henry Spaak à la fin des années 1940: "il n'y a plus de grands pays en Europe. Mais certains ne s'en sont pas encore rendu compte".
2) L'Europe s'est soumise à Washington: et l'on pourrait ajouter à Moscou pour les pays d'Europe centrale. Mais ce qui était un joug à l'est était plutôt bon enfant à l'ouest, avec notamment l'apport (certes intéressé) du plan Marshall, que Moscou a rageusement boycotté.
3) L'Europe prétend effacer les nations: pure démagogie de bas étage. L'Europe unie fédérale, c'est une Europe dotée d'un gouvernement supranational souverain, démocratiquement élu et démocratiquement élu, en charge des affaires d'envergure continentale, à commencer par la politique extérieure et la défense. Pour le reste, les Etats membres restent ce qu'ils sont, comme c'est le cas des cantons en Suisse, fédération depuis 1848, où les identités sont, mieux qu'ailleurs, jalousement préservées. Parler de "faire table rase de son passé", de "dépersonnalisation", est une flagrante contre-vérité, pour autant parlante dans les pays à tradition centralisatrice comme la France. En outre, l'Europe unie fédérale ne se veut pas "empire". Elle veut être forte, face aux Etats-continents, pour un avenir de paix. Être un espace modèle de paix de prospérité et d'éthique.
4) L'Europe n'a généré aucune solidarité entre ses citoyens: un pur déni de réalité. Certes, on peut toujours faire plus et mieux.
5) L'Europe s'est construite sur une idéologie néolibérale: plus exactement sur le concept d'économie sociale de marché, qui à ce jour est, sauf preuve contraire, le moins mauvais des systèmes
6) L'Europe tourne le dos à la diversité culturelle: s'employer à parler une langue identitaire ET une langue de communication, est-ce tourner le dos à la diversité? Assurément non, c'est même l'exact opposé.
7) L'Europe privilégie l'accessoire à l'essentiel: le liberum veto a mené la Pologne à son dépeçage par ses trois voisins, de 1796 à 1920. Aujourd'hui l'Europe fonctionne selon ce principe parce que l'on refuse le passage au mode rationnel, c'est-à-dire fédéral. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, le canard sans tête qu'est l'UE dans sa forme volontairement inachevée encourt le même risque. Certains (Russie, Chine, USA) se font un malin plaisir de diviser pour mieux régner, en faisant le jeu des eurosceptiques et autres euro-haineux. Retourner au statu quo ante des Etats-nations souverains est une politique à courte vue, suicidaire par nature: on n'entre pas dans l'avenir à reculons. Pour s'éviter un futur cauchemardesque, il est urgent de cesser de s'en remettre aux hargneux rêveurs nationaux-souverainistes. Mais combien ce dernier message peine à percoler! Nous préférons nous complaire dans la contemplation narcissique de notre nombril national. Jamais l'idée même d'un gouvernement européen supranational démocratiquement élu et démocratiquement contrôlé en charge des affaires d'envergure continentale ne nous effleure tant elle semble aussi repoussante que le poulet au chlore que les Américains, selon d'aucuns, étaient en passe de nous imposer.



Michèle (22-05-2019 19:40:43)

74 ans sans guerre franco-allemande, grâce à l'Europe. C'est essentiel !J'ai connu l'exode, l'occupation, les bombardements, les privations. Mes petits-enfants sont Français et Européens. Erasmus leur a donné des amis allemands, hollandais,polonais, roumains, etc. Pour eux, l'Europe, n'est pas un cauchemar, mais une réalité et une promesse d'avenir. Je récuse votre défaitisme.
Michèle, 88 ans.

Herodote.net répond :
La paix est essentielle mais comme nous l'expliquons longuement, ce n'est pas l'Union européenne qui a préservé la paix en Europe mais la guerre froide USA-URSS. D'ailleurs, sitôt que celle-ci s'est arrêtée, en 1991, la guerre a repris sur le continent (en Yougoslavie).
Erasmus est une idée magnifique, tout comme Airbus, Ariane, l'élection du Parlement au suffrage universel, l'union douanière, la politique agricole commune etc. Mais tous ces acquis de la construction européenne remontent à déjà plus de 30 ans ! Depuis 1988, l'Union européenne n'a plus rien à son actif, sinon la monnaie unique et l'union bancaire ! Nous y voyons la raison principale pour laquelle les peuples se détournent de l'Europe. Un changement de politique nous apparaît souhaitable. Nous l'appelons de nos vœux.

Louis (22-05-2019 19:30:14)

Cet article est très pertinent et résume bien les problèmes, leurs origines et la difficulté à les surmonter.
Bravo

Phf (22-05-2019 15:58:05)

Encore un article engagé, à charge et souvent biaisé ce qui est plus grave. S’il est salutaire de “poser un diagnostic sans tabous sur la construction européenne et ses dérives”, il serait tout autant salutaire (et honnête) de “poser un diagnostic sans tabous sur la construction européenne et ses apports”. Hélas ce n’est pas le cas.

Herodote.net répond :
Notre analyse évoque clairement les apports de la construction européenne et notamment les acquis de l'union douanière et de la politique intergouvernementale, jusque dans les années 1980 (PAC, Airbus, ESA, Erasmus, suffrage universel, Schengen... ).
Il y a eu à la fin de la décennie 1980 un changement très net d'orientation. La construction européenne est devenue plus idéologique que pragmatique. C'est ce changement politique que nous mettons en question. Ce n'est pas une critique de l'Europe mais une critique des choix politiques actuels (de la même façon qu'une critique de la politique menée en France par la majorité présidentielle ne saurait être assimilée à une critique de la France !).

Maurice (22-05-2019 14:11:26)

J'ai travaillé pendant 20 ans pour la Commission et j'ai pu voir de l'intérieur le fonctionnement de l'Union. Cet article me choque car, même s'il y a des vérités, l'ensemble est purement négatif et semble dans certain cas relever des théories du complot ! L'auteur, (mais au fait, qui est-ce ?) indique : "On peut aussi poser un diagnostic sans tabous sur la construction européenne et ses dérives, en vue d’en tirer un protocole de soins salvateur.", mais quelles sont les soins auxquels il pense et qui seraient "salvateurs" ? Il attend que d'autres en proposent pour les critiquer ?

plumplum9 (22-05-2019 13:45:00)

Liberte de pensée. Certes
Se faire le porte parole de LFI et des paletots jaunes,n'est ce pas "un peu exagéré"?

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