6 mai 2008

De De Gaulle à Sarkozy : l'année de toutes les réformes

La Ve République ayant franchi le cap des 50 ans, il nous a paru opportun de faire un retour sur la première année des six premiers présidents, de De Gaulle à Sarkozy.

Nous avons recensé les mesures fondamentales prises par les six présidents de la République dans leur première année de pouvoir, celles qui ont provoqué une « rupture », c'est-à-dire changé la société française immédiatement et de façon irréversible.

Le tiercé gagnant de la rupture

Sans contestation possible, le tiercé gagnant de la rupture est, dans le désordre : de Gaulle, Giscard, Mitterrand.

Rappelons quelques-unes de leurs premières mesures, vidéos à l'appui :

Charles de Gaulle (élu le 21 décembre 1958)

L'homme du 18 Juin revient au pouvoir à la faveur d'un coup de force le 13 mai 1958. Le 28 septembre 1958, un référendum amène les Français à choisir une nouvelle Constitution (dans le même temps, les indigènes des colonies votent sur leur destin). Le général de Gaulle est élu président de la République par un collège électoral le 21 décembre 1958 et prend officiellement ses fonctions le 8 janvier 1959. Il nomme Michel Debré Premier ministre.

Dès le 5 octobre 1958, le général a obtenu de l'Assemblée nationale de pouvoir gouverner pendant quatre mois par ordonnances, c'est-à-dire sans passer par la discussion et le vote des textes devant les députés. Il en profite pour débloquer à marches forcées l'économie du pays, grippée par la crise politique et la guerre en Algérie. Pas moins de 70 textes sont promulgués avec effet immédiat.

- Le plan Pinay-Rueff :
Le 30 septembre 1958, le prestigieux économiste Jacques Rueff et le ministre des Finances Antoine Pinay réunissent un comité pour remettre l'économie sur pied. Leur rapport final ne compte que 25 pages et s'en tient à quelques mesures essentielles que le président de Gaulle fait adopter dans leur intégralité par ses ministres le 23 décembre 1958.

Le « plan Pinay-Rueff » prescrit une sévère cure d'amaigrissement de l'administration. Il supprime les indexations (notamment sur le blé) et libère résolument les échanges extérieurs. Enfin, le 28 décembre 1958, il dévalue le franc de 17% et, mesure la plus spectaculaire, crée un « nouveau franc » égal à cent anciens francs. Les résultats bénéfiques se font sentir dès 1962 (croissance accrue, balance commerciale excédentaire....).

- Scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans :
Le 6 janvier 1959, une ordonnance prolonge la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans. Elle est toujours en vigueur.

- Autodétermination des Algériens :
Le 16 septembre 1959, dans une déclaration télévisée, le général de Gaulle évoque pour la première fois le « droit des Algériens à l'autodétermination ». C'est un pas décisif vers la résolution du drame algérien. Il va déboucher sur un Oui massif mais aussi une rupture douloureuse avec les pieds-noirs et l'armée qui l'ont porté au pouvoir.

- Encadrement de l'enseignement privé :
Le 31 décembre 1959 est promulguée la loi Debré sur l'enseignement privé. On lui doit la distinction actuelle entre établissements hors-contrat, sous contrat simple et sous contrat d'association.

Valéry Giscard d'Estaing (élu le 19 mai 1974)

Valéry Giscard d'Estaing (INA, 1975)Le 19 mai 1974, Valéry Giscard d'Estaing est élu de justesse à la présidence de la République face à François Mitterrand. VGE (48 ans) se donne un Premier ministre de 42 ans... Jacques Chirac et innove avec un ministère de la Condition féminine... et même un ministère des Réformes.

- Arrêt de l'immigration :
Le 3 juillet 1974, désireux de lutter contre la montée du chômage, le gouvernement croit utile de suspendre l'entrée de travailleurs étrangers ; cette « préférence nationale » (note) dans l'emploi sera plus tard complétée par un encouragement à l'immigration familiale.

- Majorité à 18 ans :
Le 5 juillet 1974, la majorité civique est abaissée de 21 à 18 ans.

- Fin du monopole audiovisuel :
Le 7 août 1974 est voté le démantèlement de l'ORTF (monopole public de la radio et de la télévision), qui donne naissance à sept chaînes concurrentes.

- Indemnisation des chômeurs à 90% :
À partir du 14 octobre 1974, les chômeurs licenciés économiques sont indemnisés sur la base de 90% de leur dernier salaire pendant un an (une mesure rapidement abrogée).

- Saisine du Conseil constitutionnel :
Le 21 octobre 1974 est ouverte la possibilité pour 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel (cette révision de la Constitution va se révéler à l'usage d'une grande importance).

- Gratuité de la contraception :
Le 26 octobre 1974, une loi introduit le remboursement de la contraception féminine (la « pilule ») par la Sécurité sociale.

- Légalisation de l'avortement :
Le 28 novembre 1974, est votée la loi Veil qui légalise l'avortement pendant une période d'observation de 5 ans.

À noter aussi les mois et les années suivantes : l'introduction du divorce par consentement mutuel, l'instauration du collège unique dans le but de favoriser un égal accès de tous les enfants à l'enseignement, la généralisation de la mixité dans les écoles, l'abolition de la censure, l'extension de la Sécurité sociale aux non-salariés (une mesure capitale pour les commerçants et les artisans), l'élection du maire de Paris au suffrage universel... 

Touche à tout, le président inaugure aussi en 1974 les réunions périodiques des principaux chefs d'État de la planète avec un G5 informel à Washington (États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne de l'Ouest et Japon). 

François Mitterrand (élu le 10 mai 1981)

François Mitterrand (INA, 1982)Porté par un « état de grâce », selon ses propres termes, François Mitterrand (64 ans), premier président socialiste de la Ve République, engage les réformes à la volée, sur la base de ses « 110 propositions » de campagne, avec Pierre Mauroy pour Premier ministre.

Relevons parmi les mesures « anecdotiques » :
- augmentation de 20 ou 25% des allocations handicapés, familiales (+25%) et logement (1er juillet 1981),
- suppression de la Cour de sûreté de l'État (4 août 1981),
- autorisation des radios locales sans publicité (2 octobre 1981),
- blocage des prix pendant six mois (8 octobre 1981),
- abrogation de la loi « anticasseurs » (15 décembre 1981).

- Abolition de la peine de mort :
Le 9 octobre 1981 est abolie la peine de mort. Cette décision met la France au diapason de l'Europe.

- Impôt sur les grandes fortunes :
Le 30 décembre 1981 est créé l'impôt sur les grandes fortunes, plus tard rebaptisé Impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

- 39 heures et 5e semaine de congés payés :
Le 14 janvier 1982, sont publiées deux ordonnances sur la limitation à 39 heures (payées 40) de la semaine de travail et une cinquième semaine de congés payés.

- Nationalisations des grandes entreprises :
Le 13 février 1982, la loi sur les nationalisations fait passer dans le giron de l'État un grand nombre de grandes entreprises ; la plupart des entreprises concernées, exsangues, profiteront de la nationalisation pour se remettre à flot avant d'être plus tard privatisées.

- Décentralisation administrative :
Le 3 mars 1982, la loi sur la décentralisation donne davantage d'autonomie aux communes, aux départements et surtout aux régions, en rendant aux présidents des conseils généraux et régionaux le pouvoir exécutif jusque-là exercé par les préfets de département et de région.

- Retraite à 60 ans :
Le 25 mars 1982, une ordonnance abaisse de 65 à 60 ans l'âge légal de départ à la retraite.

En matière internationale, après un discours tiers-mondiste au sommet de Cancun, au Mexique, François Mitterrand s'engage résolument aux côtés des Américains dans le conflit qui les oppose à l'URSS. Affaiblie par une augmentation brutale des dépenses publiques de 25%, l'économie montre très vite des signes de faiblesse. Le 11 juin 1982 survient un premier plan de rigueur. Les socialistes sont défaits aux élections municipales de mars 1983.

Les outsiders
Georges Pompidou (élu le 15 juin 1969)

Georges Pompidou est hors-jeu. Son mandat présidentiel s'inscrit dans la continuité ou presque de sa fonction de Premier ministre du général de Gaulle de 1962 à 1968. Fils d'instituteur, normalien d'une immense culture, élu sans trop de mal à la succession du Général, il est à ce jour le seul président de la Ve République issu d'un milieu populaire.

Le nouveau président se fait le chantre de la modernisation industrielle de la France avec de premiers investissements dans le programme ferroviaire à grande vitesse (TGV), la modernisation du téléphone et la construction d'autoroutes. Il organise la fusion de trois entreprises de l'aéronautique et encourage leur rapprochement avec les Allemands en vue de la création du consortium Airbus. Il impose la mensualisation des salaires (auparavant, certains salariés étaient encore rémunérés à l'heure de travail).

Grand amateur d'art moderne, il suscite aussi le complexe qui porte son nom, le Centre Pompidou (inauguré en 1977). C'est le premier d'une longue série de grands travaux de prestige qui se terminera sous le mandat de Jacques Chirac avec le musée du quai Branly.

Pompidou meurt de maladie le 2 avril 1974, à 62 ans. Quelques mois plus tôt, avec la guerre du Kippour (octobre 1973), le monde et la France sont entrés dans une longue crise endémique.

Restent Chirac et Sarkozy. Il n'est pas facile de dire d'ores et déjà lequel aura le plus marqué l'Histoire de France...

Jacques Chirac (élu le 7 mai 1995)

Jacques Chirac (INA, 1996) Énarque d'origine corrézienne, brillant, dynamique et séduisant, Jacques Chirac accède à la présidence de la République à sa troisième tentative (comme son prédécesseur, François Mitterrand). Il nomme son fidèle Alain Juppé à la tête du gouvernement.

- Engagement en Bosnie :
Dès le début de son mandat, Jacques Chirac prend fait et cause pour les Bosniaques en butte à une agression brutale de l'armée serbe. Il rompt avec la mansuétude de son prédécesseur à l'égard du président serbe Milosevic. Le 3 juin 1995, le président français propose la création d'une Force de réaction rapide. Celle-ci est créée par l'ONU le 15 juin 1998 et intervient dès juillet en Bosnie contre les Serbes. C'est un tournant majeur dans la guerre de Bosnie.

- Reprise des essais nucléaires :
Le 13 juin 1995, le président marque son territoire en ordonnant la reprise des essais nucléaires, suspendus depuis avril 1992. Ils reprendront effectivement du 5 septembre 1995 au 27 janvier 1996, au prix d'un tollé en Océanie et chez les écologistes.

- L'État français face au génocide :
Le 16 juillet 1995, à l'occasion du 53e anniversaire de la rafle du Vél d'Hiv, le président Jacques Chirac déclare : « La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux ».

- Fin du service militaire obligatoire :
Jacques Chirac prend l'opinion de court en décidant le 22 février 1996 de supprimer le service militaire obligatoire, une institution vieille de deux siècles, et de professionnaliser les armées.

Le tournant de la présidence survient le 26 octobre 1995. Ce jour-là, Jacques Chirac renie brutalement son discours de campagne électorale sur la « fracture sociale » et annonce une politique de rigueur en vue de la création de l'euro. Le Premier ministre Alain Juppé tente dans le même temps de réformer le système de retraites. Il est applaudi par les parlementaires mais doit finalement renoncer devant la fronde des cheminots.

Nicolas Sarkozy (élu le 6 mai 2007)

Nicolas Sarkozy (INA, 2008) Du premier bilan de Nicolas Sarkozy, on peut identifier comme « ruptures » (sous réserve que ces réformes soient menées à leur terme) :

- La réforme des universités

- La réforme de la carte judiciaire

- La réforme de la carte scolaire

- La réforme des régimes spéciaux de retraite

On peut relever aussi :

- La création de nouvelles filières d'immigration pour les travailleurs, qui rompt avec l'arrêt officiel de l'« immigration de labeur » depuis 1974.

En matière de relations extérieures, on retient :

- La signature à Lisbonne du « traité modificatif » qui efface le vote populaire du 29 mai 2005.

Le reste relève de mesures plus ordinaires, guère plus innovantes que le « chèque transport » (décembre 2006) ou le « droit opposable au logement » (mars 2007) du précédent gouvernement. Dans le domaine social, notons le licenciement de gré à gré et la réforme de la représentativité syndicale ; dans l'administration, le rapprochement de la direction générale des impôts et de la comptabilité publique ainsi que de l'ANPE et de l'UNEDIC.

Ces réformes en cours de négociation ne bouleversent pas le paysage. Elles sont d'autre part susceptibles d'être amendées par un prochain gouvernement, comme les lois sur la récidive et la rétention de sûreté, les programmes de l'école primaire et les déductions fiscales sur les grosses fortunes, les intérêts d'emprunt et les heures supplémentaires. D'ailleurs, Nicolas Sarkozy lui-même a déjà reconnu les insuffisances de sa loi sur le « service minimum » et en annonce une nouvelle pour la rentrée 2008 !

Le président a par ailleurs reculé sur le « mini-traité européen » et le blocage de l'adhésion turque à l'Union européenne, le contrat de travail unique, la limitation des « parachutes dorés » etc. Il s'est abstenu de réformer le système fiscal (inique et inefficace), ainsi que les statuts de la Fonction publique, qui entravent la modernisation de celle-ci et l'indispensable mobilité du personnel. Dans l'éducation, il s'en tient à des économies de bouts de chandelle (réduction du nombre d'enseignants) sans engager de réforme de structure (autonomie de gestion des chefs d'établissement et droit pour eux de choisir leurs enseignants, comme dans les autres pays modernes).

Conclusion provisoire

Si l'on s'en tient à l'histoire des cinq premières présidences, on observe que la capacité réformatrice des présidents de la Ve République s'épuise très vite après la première année. Les années suivantes sont, au mieux, dans la prolongation de la première (de Gaulle), au pire se réduisent à un blocage ou à un retour en arrière (Giscard en 1978, Mitterrand en 1983 et 1993, Chirac en 1997 et 2003).

Le système présidentiel à la française ne permet pas de renvoyer le chef de l'exécutif (le président de la République) devant les électeurs avant la fin de son mandat ; au contraire, en cas de censure de son gouvernement, c'est le président qui peut renvoyer les députés devant leurs électeurs. C'est une faiblesse par rapport au système parlementaire britannique qui peut démettre le chef de l'exécutif (en l'occurrence le Premier ministre) dès lors qu'il est usé ou n'apparaît plus compétent ou en phase avec les besoin du moment.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2022-04-25 22:23:41
Serge Plennevaux (20-06-2022 15:40:10)

Bonjour,
Giscar a supprimé le plan calcul et coulé le plan cyclade de Louis Pouzin. Grâce à qui l'internet aurait été français !

Maurice P. (09-05-2013 18:10:17)

Au chapitre "Sarkozy" je ne vois pas mentionnée la réforme des retraites.

Camille L (13-05-2008 09:27:14)

Il faut dire que le contexte varie d'une fois à l'autre. Il était en apparence beaucoup plus difficile de réformer la France en 1958 (guerre d'Algérie), en 1974 ou 1981 (1er et 2e chocs pétroliers, SS20 soviétiques) qu'en 1995 ou encore 2008 (pas de menace directe, baisse temporaire du chômage liée à l'arrivée à l'âge de la retraite des générations nombreuses de l'après-guerre). Chirac et surtout Sarkozy sont d'autant moins excusables d'avoir gâché leur période d'état de grâce.

Michel BATREAU (05-05-2008 15:03:46)

Il me semble que chacun des précédents présidents de la République a effectué des réformes importantes, au point de vue économique (de Gaulle et Pompidou ; on doit à celui-ci une réforme impo... Lire la suite

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