Les femmes et la Révolution (1770-1830)

Des salons littéraires au retour de bâton

3 avril 2019 : Christine Le Bozec a enseigné l’histoire de la Révolution française à l’Université de Rouen. Avec Les femmes et la Révolution (1770-1830), elle nous livre un superbe condensé sur un aspect méconnu de cette période, émaillé de quelques beaux portraits de femmes engagées… et demeurées dans l’ombre.
Elle rappelle en particulier le rôle moteur qu’ont joué les Françaises dans les débuts de la Révolution et montre comment les espoirs nés des premières années ont été brisés net à l’automne 1793...

<em>Les femmes et la Révolution (1770-1830)</em>

Le règne de Louis XVI marque le triomphe des « salons littéraires » ou « salons de conversation ». On en compte à Paris plus de soixante. Là, des femmes brillantes et hospitalières reçoivent avec distinction des personnalités de tous bords et de toutes origines pour animer des conversations de haut vol sur tous les sujets qui intéressent ces dames et ces messieurs : philosophie, politique, sciences, arts, lettres etc.

Mais ne nous illusionnons pas, prévient Christine Le Bozec. Ces salons très féminins sont en quelque sorte hors-sol. Ils ne reflètent pas la situation ordinaire des femmes ni l’opinion qu’en ont les hommes. Jean-Jacques Rousseau, qui fréquente ces salons et tient en estime ses hôtesses, ne se prive pas d’écrire dans Émile (1762) : « Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce, voilà les devoirs d’une femme dans tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre dès leur enfance. […] Il est dans l’ordre de la nature que la femme obéisse à l’homme […] la dépendance étant un état naturel aux femmes, les filles sont faites pour obéir. »

Rassurons-nous, d’autres philosophes, tels Diderot et le marquis de Condorcet, ont une conception plus ouverte du « beau sexe » mais ceux-là sont minoritaires… et auront moins d’influence sur les ténors de la Révolution que le bon Jean-Jacques.

Dans la société française du XVIIIe siècle, à dominante rurale, les femmes participaient en première ligne aux activités de production. À part quelques femmes de fermiers aisés, la plupart travaillaient dur aux champs, s’occupaient des bêtes, bêchaient le potage et se débrouillaient tant bien que mal avec leur mari pour payer taxes et impôts et échapper à l’indigence.  Seules les veuves avaient un rôle actif dans les assemblées villageoises ou paroissiales en leur qualité de chef de famille. « Il en est allé de même lors de la rédaction des cahiers de doléances, puis des élections aux États généraux où, en droit, les femmes veuves, chefs de famille, dites chefs de feu et taillables [imposables] pouvaient participer à la rédaction et voter », note Christine Le Bozec.

Jusqu’à la suppression des corporations de métiers par le ministre Turgot en 1776, les femmes sont exclues de la plupart des métiers. Les rares domaines où elles tiennent une place à peu près honorable sont, selon l’historienne, les arts, avec Madame Vigée Lebrun et quelques autres artistes moins connues, et l’enseignement, comme institutrices (dans les écoles de filles exclusivement).

Moins instruites et alphabétisées que les hommes, bien moins rémunérées à travail égal, obsédées par la survie de leur progéniture, les femmes du Siècle des Lumières ne manquent pas de motifs de plaintes. Elles sont régulièrement en première ligne dans les émeutes frumentaires ou antifiscales, qualifiées par les contemporains d’« émotions populaires ». Dans certains cahiers de doléances se retrouve la formule suivante, de Madame de Coicy : « Les Français, dites-vous sont un peuple libre et tous les jours vous souffrez que 13 millions d’esclaves portent honteusement les fers de 13 millions de despotes. »

Louis XVI ramené à Paris... par les femmes !

Quand éclate la Révolution, les femmes sont très présentes, tant durant la « Journée des tuiles » de Grenoble, le 7 juin 1788, qu’à la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789. Mais c’est surtout les 5 et 6 octobre 1789 que leur intervention est décisive, quand les Parisiennes vont chercher le roi à Versailles et le ramènent à Paris. « Les femmes venaient ainsi de réussir une entrée en scène fracassante et une irruption spectaculaire sur la scène politique, donnant un nouveau cap à la Révolution », souligne Christine Le Bozec. Dès lors, elles se mettent à pétitionner, usant d’un droit à la pétition individuelle institué par la Constituante le 29 juillet 1789.

Elles se mêlent aux clubs qui surgissent ici et là à Paris et dans les grandes villes. Elles fondent aussi en mars 1791 un club mixte, la Société fraternelle des Patriotes des Deux Sexes Défenseurs de la Constitution ( !), dans lequel vont se révéler des femmes appelées à un grand rôle : la journaliste Louise de Kéralio, la chocolatière Pauline Léon, la comédienne Claire Lacombe, proche de Marat etc.

D’autres cercles se montrent également très actifs autour de personnalités comme Sophie Condorcet, Madame Helvétius, Olympe de Gouges, Julie Talma, Madame Roland. Cette dernière va devenir la conseillère très proche de son mari et la véritable patronne du ministère girondin de 1792, dans lequel son mari occupera le ministère de l’Intérieur.

Le 6 mars 1792, Pauline Léon lit devant l’Assemblée législative une pétition signée par 319 femmes. « Revendiquant la création d’une garde nationale féminine, le texte réclame l’armement des femmes qu’en tant que mère, sœur ou femme d’hommes libres, elles sont en droit d’exiger », écrit Christine Le Bozec. De fait, ces femmes, comme leurs contemporains, ont bien compris le lien entre les droits politiques et le devoir de chaque citoyen de défendre sa patrie.  Ce jour est considéré comme l’acte de naissance des « Tricoteuses », ces militantes qui ne vont avoir de cesse de sermonner les députés du haut des tribunes.

Quoique très minoritaires, ces Parisiennes obtiennent en définitive de l’Assemblée qu’elle vote avant de se séparer, le 20 septembre 1792, le mariage républicain, l’égalité des époux et le droit au divorce par consentement mutuel ! En dépit de ces avancées, les femmes n’acquièrent pas le droit de vote. Elles demeurent des « citoyennes sans citoyenneté ».

C’est au cours du printemps et de l’été 1793 que « le mouvement féminin atteint son plein régime caractérisé », note l’historienne, à la faveur des batailles pour le port de la cocarde tricolore et surtout l’instauration d’un prix maximum sur les denrées de première nécessité !

Mais le retournement sera d’autant plus brutal à l’automne de la même année. Le 30 octobre 1793, à la suite d’un discours du député Amar, montagnard bon teint, la Convention interdit les clubs et les sociétés populaires de femmes. Elle prohibe aussi le « travestissement », autrement dit l’usage de vêtements masculins par des femmes et vice-versa ! Les femmes sont par ailleurs exclues des activités artistiques et des manufactures… Dans le même temps, plusieurs femmes sont envoyées à la guillotine, à commencer par la reine Marie-Antoinette, Olympe de Gouges, Madame Roland, Charlotte Corday… L’assassinat de Marat par cette dernière achève de convaincre les députés du bien-fondé de leurs préjugés contre les femmes.

Comme on l’a compris, Christine Le Bozec met remarquablement en lumière les espoirs trahis de la Révolution. Elle montre ensuite le chemin vers la grande régression du XIXe siècle, avec en point de mire le code Napoléon qui criminalise l’adultère féminin et la suppression du divorce par la loi Bonald le 8 mai 1816.

Les femmes et la Révolution (1770-1830) fera date par son érudition mais aussi par la rigueur de sa démonstration et la limpidité de l’écriture.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2019-05-15 09:44:23

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