22 février 2019 : au début du XVIIIe siècle, l’Angleterre est en guerre avec la France et l’Espagne dans le cadre de la guerre de la Succession d’Espagne, que les Anglais qualifient pour leur part de « Queen’s Ann War » en référence à leur souveraine, dernière représentante de la dynastie des Stuart.
À Londres, la cour et les parlementaires manœuvrent tant et plus pour s’acquérir les faveurs de la reine, montée sur le trône à 37 ans seulement, sans y avoir été préparée. Elle a une santé fragile et semble plus s’intéresser à ses favorites, amies et confidentes, qu’à la politique et à la guerre.
Le film La Favorite (2018) nous plonge dans les drames de la cour où s’entremêlent émotions, intérêts personnels et politiques. Mais le réalisateur grec Yorgos Lanthimos, aidé par la conseillère historique Hannah Greig, nous prévient : « Certaines choses dans ce film sont vraies, mais beaucoup ne le sont pas » . On ne saurait mieux dire…
Un triangle amoureux qui cache...
Le film met en scène un triangle amoureux entre la reine Anne, lady Sarah Churchill et sa cousine Abigail Hill.
La première apparaît comme une enfant qui crie et qui pleure, facilement manipulable, et lady Sarah en profite pour appuyer auprès d’elle les revendications des whigs, ce parti politique favorable au parlementarisme.
En dépeignant ainsi la reine Anne comme faible et inapte au pouvoir, presque incapable de prononcer un discours devant le Parlement, Yorgos Lanthimos est fidèle aux sources historiques... ou du moins aux mémoires de Sarah Churchill écrites après ses disputes avec la reine !
Le caractère des deux autres protagonistes est peut-être plus réaliste, mais il est aussi caricatural. Il est vrai que les deux femmes étaient cousines, et que c’est grâce à Sarah qu’Abigail, dont la famille était désargentée, a pu avoir une place auprès de la reine. Mais l’empoisonnement de Sarah par Abigail ainsi que la chute à cheval qui s’ensuit sont une invention des scénaristes.
Par contre, Sarah aurait bien menacé la reine afin qu’elle détruise les lettres qu’elles s’étaient envoyées. Elle lui aurait dit : « Certaines choses sont en mon pouvoir qui si elles venaient à être sues… pourraient faire tomber une couronne. »
Entre ces trois femmes se créent des rapports de domination et d’influence, mais aussi des relations homosexuelles, d’abord entre la reine et Sarah, puis avec Abigail. S’il y avait bien des rumeurs sur une liaison entre Anne et Abigail, celles-ci avaient été colportées par Sarah elle-même, jalouse qu’Abigail l’aie remplacée comme favorite auprès d’Anne !
Quant à l’hypothèse d’une liaison de Sarah avec la reine, elle se fonde sur des lettres entre les deux protagonistes, mais les historiens en débattent encore… Selon Anne Somerset, cette liaison est improbable car la reine était très anglicane et dévouée à son mari (qui n’apparaît pas dans le film).
… les enjeux politiques
Le film évoque en toile de fond les enjeux vitaux de la terrible guerre de la Succession d’Espagne : faut-il enfin faire la paix comme le souhaitent les tories ? Ou relancer des offensives comme le réclament les whigs ?
Le mari de Sarah Jennings, John Churchill, duc de Marlborough (glorieux ancêtre de Sir Winston), a été récompensé de ses exploits militaires par le cadeau d’Anne à Sarah du palais de Blenheim, du nom de sa principale victoire, en Allemagne, en 1704.
Ce don, présenté au début du film, est à mettre en parallèle avec la déchéance de Sarah à la fin qui doit quitter la cour, puis l’Angleterre avec son mari.
On voit la reine Anne hésiter entre différentes solutions pour mettre fin à la guerre. Mais c’est plutôt Sarah qui prend les décisions pour elle, du moins au début du film. En effet, si Sarah et Anne étaient très amies, elles avaient aussi des différends politiques importants.
Alors que Sarah soutenait le parti parlementariste whig, Anne était bien évidemment proche des tories favorables à la monarchie. Ce sont en partie ces opinions divergentes qui menèrent à leur rupture. Le scénario montre le revirement politique, lorsque les whigs doivent laisser la place aux tories, lesquels vont enfin négocier la paix. Mais il passe sur les affrontements entre Sarah et Anne, cette dernière semblant toujours céder face à sa favorite.
Plutôt que ces enjeux politiques, le scénario privilégie les détails parfois fantaisistes : une scène de danse anachronique, un chef tory jeune et séduisant (Robert Hartley), des costumes très réussis mais ne correspondant pas à la période et dix-sept lapins dans la chambre de la reine pour symboliser ses dix-sept enfants morts...
Malgré ses personnages historiques et son histoire inspirée de faits réels, ce film de Yorgos Lanthimos n’a pas de prétention à la vérité historique. Reste un beau film d'époque en costumes qui nous entraîne dans l’atmosphère voluptueuse et torride des cours aristocratiques du XVIIIe siècle.
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