Destin français

Éric Zemmour juge de l'Histoire

29 novembre 2018 : Destin français (Albin Michel, 2018) figure parmi les meilleures ventes de la fin de l’année, en France, dans la catégorie essais. Le journaliste Éric Zemmour (60 ans) revisite dans ce livre différentes figures de l’Histoire de France à la lumière du présent.

Son succès éditorial et sa prétention à vouloir donner des leçons d’Histoire lui ont valu une volée de bois vert de la part de nombreux historiens. Pour les mêmes raisons, il nous paraît utile d’examiner le contenu de son essai avec un regard critique...

<em>Destin français</em>

Éditorialiste au Figaro, talentueux, spirituel et véhément, très critique sur l’immigration, le multiculturalisme et la déconstruction du « roman national », Éric Zemmour a joui au cours de la dernière décennie d’une popularité croissante dans la France périphérique délaissée par les élites mondialisées.

Quelque peu enivré par cette popularité, l’essayiste se répand aujourd’hui sur les plateaux de télévision et jusque dans les studios de France Culture en frôlant parfois l’indécence et le faux-pas avec des polémiques sur les prénoms, Pétain, les races etc.

Son dernier livre renouvelle la recette du Suicide français (Albin Michel, 2014) : analyser le passé pour décrypter le monde actuel et tenter d’anticiper l’avenir.

C’est une démarche somme toute estimable. Elle est préférable en tout cas à celle de certains historiens et hommes politiques qui réécrivent l’Histoire afin qu’elle corresponde mieux à nos préjugés actuels et qu’elle justifie nos errances, nos lâchetés et nos erreurs (libre-échange, migrations, religions, colonisations, rapports entre les sexes etc.). Ainsi fait-on couramment aujourd’hui du libre-échange la clé de la prospérité et de la paix alors que l’Histoire démontre le contraire !

L’Histoire comme boussole

L’auteur de Destin français tire de son enfance sa passion pour l’Histoire et son amour de la France.

Issu d’une famille modeste de juifs sépharades francisés par le décret Crémieux (1870), il se revendique héritier de Vercingétorix et de Clovis et pleure devant la Bérézina, parce que la culture acquise est plus forte que la nature et les « origines ».

Éric Zemmour en veut de ce point de vue à l’école historiographique aujourd’hui dominante car elle s’applique à effacer les souvenirs quelques peu mythiques qui font une nation. « On dit à la France que ses ancêtres sont imaginaires pour mieux lui en inventer d’autre », écrit-il.

Venons-en au contenu du livre. Son auteur manifeste indéniablement une grande culture historique même si on peut lui reprocher quelques erreurs. Mais quel essai et quel livre d’Histoire n’en contient pas ?

Des historiens médiévistes se sont évertués à repérer les fautes et approximations de l’ouvrage. La pêche est décevante : il est reproché à Éric Zemmour de trop se référer au grand historien des croisades, René Grousset, dont le principal tort est d’être mort depuis plus d’un demi-siècle, de surestimer la menace des Turcs sur les Byzantins ou de reprendre un mot malheureux de Jules Michelet sur Pierre l’Ermite... Des peccadilles qui ne remettent pas en cause la trame de son argumentation.

Un débat ouvert

Destin français n’est pas un livre d’Histoire mais un livre de réflexion à partir de l’Histoire. Les différents personnages présentés ici sont le prétexte à une interrogation sur notre destin présent et à venir. L’auteur affiche ses convictions tout en laissant au lecteur la liberté d’argumenter autrement à partir du même matériau historique.

On n’est pas obligé de suivre Éric Zemmour dans son parallèle entre le de Gaulle de 1958 et le Pétain de 1940. Il est facile de mettre en évidence ce qui les rapproche (l’âge, le prestige, l’état d’urgence…) mais on peut souligner aussi ce qui les oppose (une certaine conception de la France, le rapport à la foi…).

On pourrait aussi s’interroger – Zemmour ne le fait pas – sur le recours récurrent des Français à un vieillard à chaque fois que la nation est menacée, soit quatre fois en un siècle : Thiers, 1871 ; Clemenceau, 1917 ; Pétain, 1940 ; de Gaulle, 1958.

On n’est pas obligé également de suivre l’auteur dans sa reprise de la thèse d’un partage des rôles entre « Pétain le bouclier et de Gaulle le glaive » pendant l’Occupation.

Éric Zemmour rappelle toutefois avec justesse que Pétain et son entourage, essentiellement venu de la gauche pacifiste, avaient le souci obsessionnel d’éviter à la France une « polonisation », autrement dit des massacres qui, venant après la saignée démographique de 14-18, l’auraient achevée.

Il se montre très amer à propos du « Tigre » Georges Clemenceau. Au plus fort de la Grande Guerre, il a certes permis à la France d’encaisser l’offensive ennemie et de reprendre l’initiative… pendant que les renforts américains tant espérés se pavanaient dans la capitale au bras des jeunes Parisiennes.

Mais une fois l’armistice signée, Clemenceau n’a pas pu ou pas voulu résister à la pression des Anglo-Saxons en faveur d’une « paix d’équilibre », dans la crainte d’une Europe dominée par la France, comme au temps de Napoléon. Il a freiné le général Franchet d’Espérey et son armée d’Orient quand, partis de Salonique, ils ont pris la route de Berlin. Il a renoncé à soutenir les Rhénans et le maire de Cologne Konrad Adenauer ( ! ) qui souhaitaient s’émanciper de la tutelle prussienne... Toutes choses qui ont valu au « Père la Victoire » d’être vu par de mauvais esprits comme le « Perd la Victoire ».

Éric Zemmour n’est pas plus tendre pour Victor Hugo à qui il reproche d’être à l’origine de la justice compassionnelle qui fait de tout criminel une victime de la société. Le reproche paraît exagéré. Quand le poète publie Le dernier jour d’un condamné (1829), il est jeune (27 ans), romantique et passionnément monarchiste, de la manière la plus réactionnaire qui soit. Il dénonce les abus de la prison, un châtiment d’invention récente, apparu sous la Révolution (avant cela, les condamnés étaient au choix exécutés, mutilés, exposés, dépouillés de leurs biens…). Il dénonce aussi la peine de mort, tout comme l’avocat et homme politique François Guizot, conservateur et croyant.

Mais deux siècles et beaucoup de tragédies nous séparent de Guizot et Hugo et l’on peut se demander s’il y a continuité entre leur perception de la justice et la nôtre…

Au moins Victor Hugo et les autres « enfants du siècle » nés sous l’Empire avaient-ils hérité de Napoléon une admiration passionnée pour la France. Ce n’est pas le cas de Talleyrand ! « Talleyrand a trahi Napoléon au nom des intérêts supérieurs de l’Europe, opine Zemmour. La leçon sera retenue par nos grands patrons, nos hauts fonctionnaires, nos politiques et nos intellectuels. Leurs intérêts personnels peuvent s’opposer à ceux de la France ; il existe tant d’intérêts supérieurs à ceux de la France... »

Parmi tous les autres « destins français » qu’évoque Éric Zemmour, on sera surpris de découvrir sa singulière indulgence pour Robespierre, qu’il partage avec le tribun Jean-Luc Mélenchon et le philosophe Marcel Gauchet ! « Les Girondins parlent au nom de la République française, Robespierre parle au nom du peuple français. Les Girondins ont repris le projet de Mirabeau d’une société à l’anglaise, libre mais inégalitaire, une fois le trône, l’aristocratie et le clergé liquidés ; ou d’une société à l’américaine, faite d’oligarchies départementales », écrit-il.

Voilà donc que notre polémiste se présente en héraut de l’État-providence et de la démocratie populaire : « Notre époque veut tout mais abandonne tout. Elle renie Robespierre avec d’autant plus de précipitation qu’elle délaisse et la nation et la question sociale. La droite abandonne la nation pour le marché, et la gauche abandonne le peuple français pour l’humanité. » Rien n’est simple…  

Écrit dans un style vif et flamboyant, Destin français n’est pas pour autant d’une lecture facile. Il contient beaucoup de raccourcis qui supposent une bonne connaissance préalable de l’Histoire de France. Cela dit, les lecteurs qui apprécient Éric Zemmour avant tout pour ses prises de position politiques pourront piocher dans l’ouvrage quelques passages de nature à fortifier leurs convictions et leurs arguments.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2019-10-22 19:58:32
DEFEBVRE (30-11-2018 18:44:14)

"Éric Zemmour rappelle toutefois avec justesse que Pétain et son entourage, essentiellement venu de la gauche pacifiste" : c'est une constante actuelle dans les milieux droitiers de'affirmer ou de laisser entendre que le fascisme français est issu de la gauche !
Il est issu "essentiellement" de l'Action française. Il est porté au pouvoir (avec Pétain) par le patronat ("essentiellement" le comité des forges), les banques et avec le soutien de l'église.
Votre commentaire du livre de Zemmour semble bien complaisant ! Cela se comprend avec vos certitudes qui n'ont rien d'historiques.

Herodote.net répond :
Ne mélangez pas fascisme, comité des forges, patronat, église etc.
Les premiers et les pires des collaborateurs se nomment Laval, Doriot, Belin, Déat, Hermant, Marquet, Frossart... Ils sont pour la plupart passés par pacifisme de la gauche socialiste ou communiste à la collaboration. Pour en savoir plus : https://www.herodote.net/Les_annees_noires_de_la_Collaboration-synthese-493-349.php
Le gouvernement de Vichy était plein de jeunes "technocrates" de la banque Worms avant tout soucieux de "servir l'État". Beaucoup se sont ensuite mis avec dévouement au service de la République.
Parmi les premiers résistants, on relève surtout des officiers aristocrates, catholiques et même monarchistes : d'Estienne d'Orves, Leclerc et bien sûr de Gaulle (qui n'était pas noble). Normal, ils étaient formatés pour la guerre et plus spécialement la guerre contre l'Allemagne.

MARTINEZ (30-11-2018 17:54:04)

Bonjour,
Je suis admiratif des "Amis d'Herodote.net" pour le travail colossal qu'ils produisent, mais j'aime moins qu'ils fassent les critiques littéraires. Vous l'avez compris j'aime beaucoup Eric Zemmour pour le courage de ses prises de position politiques. Il est l'une des personnalités les plus controversées du PAF et il est de bon ton de le haïr. C'est déplorable! Vive la liberté d'expression à la française.
Fabien

jacquet (30-11-2018 14:24:33)

Je retrouve dans cet ouvrage l'histoire telle que l'on me l'a enseignée il y a maintenant bien longtemps
Sa vision de Clemenceau et Pétain est également mienne.
Mon âge m'a permis de côtoyer de nombreux anciens combattants de 14/18 Ils n'avaient pas l'admiration et la reconnaissance pour Clemenceau comme nous le laissent entendre de nombreux articles aujourdhui .D'ailleurs la chambre "bleue horizon" , composée comme chacun le sait presque exclusivement d'anciens combattants lui a refusé l'investiture à la présidence de la république.
Quant à Pétain j'atteste qu'ils avaient un grand respect pour lui. Il l'appelaient le " père Pétain " et dans la France qualifiée actuellement de périphérique , son portrait était sur toutes ( quasiment) les cheminées.
A l'époque ,nul parmi ces témoins de la Grande Guerre ne contestait son action à Verdun et son rôle à la tête de l'armée française dans la conduite des opérations en 1918.
Son comportement dans le second conflit est d'une autre nature , mais j'atteste quand 1940 les français étaient bien contents de le trouver . ( relire Amouroux )
Il me semble heureux que des hommes comme Zemmour puissent exprimer cette vision fort contestée de nos jours.

Vallot (30-11-2018 12:06:10)

C'est quoi ce fourre-tout (boulgi-boulga ? ) à la Prévert dans votre critique du livre de Zemmour : "nos errances, nos lâchetés et nos erreurs (libre-échange, migrations, religions, colonisations, rapports entre les sexes etc.)." ?
Par ailleurs "Ainsi fait-on couramment aujourd’hui du libre-échange la clé de la prospérité et de la paix alors que l’Histoire démontre le contraire !"
Non "on ne fait pas l'apologie du libre échange" qui est ce « on » ? Ni les dirigeants mondiaux (Trump, Poutine, même Theresa May..) ni les politiques français (un sondage chez les hommes politiques français a révélé que pas un seul n'est "pro-libre-échange" mais au mieux pour "un libre-échange contrôlé et sous conditions") et les peuples n’ont pas vraiment élu des pro-libre-échange !
L'histoire n'explique et ne démontre rien au sens strict de ce terme. Je n’irais pas jusqu’à écrire « on ne peut tirer aucune leçon de l’histoire  » comme l’écrivait Paul Veyne (Comment on écrit l'histoire. Essai d'épistémologie. Paris, Ed. du Seuil, 1971) mais toutes celles et tous ceux qui se sont prévalus des soi-disant « leçons de l’histoire » ont été aussi aveugles que celles et ceux qui ne s’en prévalaient pas !
Entre le libre-échange et le protectionnisme rien n'est aussi si simple[t] que vous l'affirmez. Il existe des périodes d'ouverture commerciale, souvent des périodes de paix et de prospérité qui permettent d'entretenir de bonnes relations et de signer des traités de libre-échange notamment. Puis il y a des périodes de protection, elles peuvent être une réponse à une crise, elles peuvent être synonymes de prospérité économique. Il faut sortir du dilemme : libre-échange/protectionnisme. Il faut trouver la bonne politique au bon moment, au bon pays, à la bonne époque. L'économie n'est pas une science. Le libre-échange n'est pas forcément l’enfer évoqué par certains livres d’économie en terminale qui sont le reflet de ce que la plupart des enseignants pensent et de l’entreprise privée, lieu, selon 62% d’entre eux, d’une « insupportable exploitation » et du libre-échange « le renard libre dans le poulailler libre ». Et le protectionnisme, n’est pas non plus le paradis gaulois comme certains le clament.
À mon avis votre site qui est globalement de qualité devrait, en cette période d’Infox en tous genres et où la raison et la réflexion deviennent peu audibles, aider à mieux comprendre l’histoire qui s’est faite et se fait , aider à comprendre la complexité de l’histoire sans aller dans la facilité ou le sens du vent…

Herodote.net répond :
A propos du libre-échange, nous pensons à la politique revendiquée par l'Union européenne et aux propos publics de Pascal Lamy et des commissaires européens sur le lien à leurs yeux évident et axiomatique entre commerce et paix. A leur différence, nous pensons (comme vous), à la lumière de l'Histoire, que tout est affaire de pragmatisme et de circonstances. Voir notre article sur le sujet : https://www.herodote.net/Le_libre_echange-synthese-2203.php.
Concernant notre boulgi-boulga, trop long à développer, il se rapporte par exemple à la tentation contemporaine de réduire "LA" colonisation à une entreprise malfaisante menée par des dirigeants de type fasciste. La réalité concernant la colonisation de la fin du XIXe siècle, c'est qu'elle fut menée par la gauche républicaine dans le but sincère d'élever les populations colonisées et de leur apporter les Lumières et le bien-être. Ces républicains-là n'étaient pas différents des humanitaires actuels...

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