Pour ceux qui ont lu les récits des survivants du Goulag et de la Kolyma, le nom Magadan fait frémir. Cette ville portuaire de 100 000 habitants, sur l’océan Pacifique, face à la péninsule du Kamtchatka, était en effet le point majeur d’accès aux différents camps de travail de l’Extrême-Orient russe, disséminés notamment le long du fleuve Kolyma qui se jette dans l’océan arctique.
La ville est jeune, blottie au fond d’un golfe profond des côtes de la Mer d’Okhotsk. Elle est le point d'accès de la Kolyma, une région dont un dicton décrit bien la nature : « Kolyma, Kolyma, ô planète enchantée. L'hiver a douze mois. Tout le reste, c'est l'été. »
En bord de mer, un monument figurant des pêcheurs, mineurs, paysans, géologues, rappelle la fondation de la ville en 1929, sur la rive du golfe de Nagaeva. Juste à côté, une statue du chanteur-poète Vladimir Vyssotski.
Magadan, entre abandon et modernité
La ville est encore aujourd'hui très isolée du reste de la Russie. Elle ne dispose d'aucune voie ferrée et l'on n'y accède que par bateau ou avion. Dans le port, deux remorqueurs accueillent les navires : ils ont pour nom Soljénitsyne et Vyssotski, qui ont tous deux leur statue à Vladivostok : Soljénitsyne sur le port pour rappeler son retour dans la patrie et Vyssotski dans un jardin public.
Sur la berge, un quai délabré qui a reçu les milliers de déportés promis au Goulag, aujourd’hui utilisé par quelques pêcheurs à la ligne. À l’opposé, à proximité de la route empruntée par les déportés vers le nord, la statue mémorial du Goulag, Маска Скорби (« le masque de la désolation, de la douleur »). Elle fut érigée en 1996 grâce à des fonds du président Eltsine, du gouvernement russe, des municipalités de Magadan et Saint-Pétersbourg, ainsi que d’autres donateurs.
Entre les deux, une ville sillonnée de larges avenues, aux bâtiments rénovés et en cours de restauration, rattrapée par notre société de consommation et qui semble vouloir oublier son passé. Une affiche vante « la ville de l’or », métal extrait des mines de l’arrière-pays par les déportés. Encore aujourd’hui, les magasins spécialisés dans les bijoux et objets précieux ne manquent pas, affichant en devanture : Or, Argent, Bijoux.
La ville se signale aussi par une cathédrale orthodoxe monumentale et un imposant mammouth (le permafrost de cette région en est plein) en ferraille de récupération.
Le Goulag au musée
Le passé perdure dans le musée d’histoire de Magadan. Comme dans bien des musées locaux en Russie, il couvre les différents aspects de la région : géologie et minéralogie, ethnographie, nature et animaux, et bien sûr, histoire. La muséographie est moderne et agréable à l’œil.
C’est dans plusieurs salles du troisième étage que l’on trouve le rappel de la période soviétique.
Cette organisation créée en 1931 par le NKVD (police politique) était chargée des travaux de génie civil (routes) et de l’exploitation des mines d’or. Le Dalstroï a géré près de 80 camps dans la région de la Kolyma.
L’accent est mis ici sur les aspects techniques de l’exploitation minière et les statistiques. On trouve même un rappel de l’appui des États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale avec une maquette de camion Studebaker et son manuel.
Cette salle suscite une vive émotion : de multiples objets illustrant la dure condition des déportés sont exposés : un mirador, leurs outils : pelle, pioche, brouette (avec la référence à la zone dans laquelle ils étaient utilisés).
Un rappel aussi de quelques figures illustres du Goulag : l’ingénieur Korolev, l’architecte des fusées spatiales, aux côtés de celle qui propulsa Gagarine dans l’espace en 1961 ; Varlam Chalamov connu pour ses Récits de la Kolyma dont on retrouve les documents d’incarcération (janvier 1937) et l’écrivaine Evguenia Guinzbourg connue pour son récit, Le Vertige.
Quelques tableaux illustrent aussi le travail et les paysages du goulag. L’un représente trois navires, dont celui de tête est le brise-glace Krassin, bateau mythique amarré aujourd’hui à Saint-Pétersbourg, à proximité du croiseur Aurore.
Toutefois, cette page de l’histoire, cruelle et poignante, demeure encore taboue : il est par exemple interdit de photographier une petite salle et deux vitrines contenant certains objets, des témoignages et des photographies des camps.
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Jacques Groleau (10-02-2021 11:53:22)
"Belle" illustration ce que fut le "paradis communiste"... Hélas, les camps de "rétention" n'ont toujours pas disparu de la surface de la planète, je crains même qu'ils ne continuent à se développer, et plus particulièrement chez les "héritiers" de Marx.