Berliet sans Berliet

La CGT lyonnaise, 1944-1948

Marc Ameil, 20083 décembre 2017. Berliet sans Berliet. Extrait du mémoire de maîtrise d’Histoire de Marc Ameil intitulé La CGT lyonnaise, 1944-1948. Lyon II, 1974.

Il y a 70 ans, l’entreprise de construction automobile Berliet de Lyon faisait une surprenante expérience… Marc Ameil nous en dit un peu plus...

Berliet sans Berliet ! Pourquoi dites-vous que cette expression reflète la situation des usines Berliet de Lyon après la guerre ?

Simplement parce que les usines n’appartenaient plus à Berliet ! Elles étaient pourtant restées dans la famille depuis la fondation de l’entreprise à Lyon en 1899, par le patriarche Marius, « constructeur automobile ». Mais la Seconde Guerre mondiale a redistribué les cartes : en septembre 1944, le patron historique, accusé de collaboration, est écarté et l’entreprise mise sous séquestre.

C’est le début d’une expérience originale d’autogestion qui voit les quelque 7000 salariés, dont près de 80 % d’ouvriers, prendre les commandes avec l’aide de la CGT et sans aucune ingérence gouvernementale.

S’appuyant sur les délégués du personnel, des comités se réunissent tous les mois pour faire remonter les suggestions des salariés sur la gestion de l’entreprise mais aussi sur des aspects sociaux, ce qui fait de ces organisations de véritables comités d’entreprise avant l’heure. À leurs côtés on trouve un conseil consultatif plus particulièrement chargé des problèmes de gestion.

Berliet 1944, caricature, Contact

En quoi a consisté cette expérience ?

Tout d’abord, c’est l’heure de la reconstruction : les travailleurs s’attachent à remettre leur outil de production en état de marche, ce qui se traduit par une belle reprise des activités entre 1944 et 1946. Elle permet l’octroi tant attendu d’une prime avant révision des salaires et affectation des bénéfices aux employés.

Priorité est aussi donnée à la santé et la sécurité avec l’organisation de visites médicales, développement d’une cantine de 1800 couverts et multiplication des activités sportives. Le bien-être des familles étant une priorité, on s’inquiète de la sécheresse qui a fragilisé les productions de la ferme modèle de la cité ouvrière que Berliet avait fait sortir de terre pour loger ses employés à proximité de Vennissieux.

On pense aussi à la satisfaction du client auquel on veut fournir un matériel fiable. Tous les intérêts sont pris en compte !

À quoi doit-on la fin de cette aventure industrielle peu commune ?

Tous les ouvriers ne se sont pas reconnus dans cette expérience, et les vieilles habitudes ont fini par mettre à mal les bonnes résolutions. C’est ainsi que certains qui, pendant la guerre, faisaient tout pour ralentir la production et lutter contre la collaboration, ont continué sur le même rythme de travail… Sans compter l’absentéïsme au moment des plantations et moissons !

Mais les obstacles vinrent aussi des pouvoirs publics qui laissèrent traîner le projet de nationalisation, finalement abandonné, et demandèrent à l’administration provisoire de payer les 143 millions de francs d’amende demandés à l’ancien patron Berliet.

Production et qualité ont commencé à baisser tandis que se sont de plus en plus opposés ouvriers et cadres. Ceux-ci lancent dans les dernières semaines de l’année 1947 une grande grève qui sonne le glas du projet. Lorsque le général de Gaulle déclare qu’il « ne voi[t] aucune raison […] pour que le régime absurde qualifié d’expérience Berliet continue pour cette usine », on comprend que l’aventure est finie. L’entreprise sera finalement restituée à la famille fondatrice en 1949.

Propos recueillis par Isabelle Grégor
Publié ou mis à jour le : 2020-03-11 11:47:53

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