1871

Marx et la Commune

Le Gaulois du 22 août 1871 publie une interview de Karl Marx sur la Commune. Il s’agit d’un compte-rendu d’un entretien qu’a eu un journaliste américain du New-York Herald avec le chef de l’Internationale dans lequel celui se défend d’avoir guidé et inspiré l’insurrection qui a bouleversé Paris cinq mois plus tôt. Il reconnaît toutefois avoir donné des conseils aux Communards sur la stratégie à tenir, conseils qu’il leur reproche bien évidemment de n’avoir pas suivis…

Une prophétie inaccomplie

Karl Marx, que Le Gaulois présente comme un « agitateur »,  précise le rôle qu’il a tenu dans l’épisode de la Commune. Un rôle réel mais controversé qui a fait l’objet d’une désinformation alimentée par Thiers et Bismarck visant à ériger l’auteur du Capital en instigateur de l’insurrection parisienne depuis Londres !

En effet, le 14 mars, soit quatre jours avant le début de la Commune, un quotidien parisien de tendance bonapartiste, Paris-Journal, présentait Marx comme le responsable de la résistance des Parisiens aux Prussiens. 

Cet article influencé par la propagande de Bismarck, avait été repris à Londres par The Times. Il n’en fallut pas plus pour que le chef de l’Internationale soit ensuite considéré comme le démiurge de la Commune.

« La vérité est que l’Internationale et la Commune ont fonctionné ensemble pendant une certaine période parce qu’elles combattaient le même ennemi ; mais il est tout à fait faux de dire que les chefs de l’insurrection agissaient en vertu des ordres reçus du Comité central de l’Internationale à Londres. Ici nous n’avons rien su de l’attaque faite sur Montmartre le 18 mars jusqu’à ce que toute la ville fût au pouvoir de la garde nationale, et nous n’avions aucun moyen de donner des ordres quand même nous aurions été disposés à le faire », explique Marx au journaliste américain.

Mais s’il n’est pas l’inspirateur de cette insurrection, il reconnaît qu’au bout de quelques jours, il a donné des « conseils » aux Communards, notamment celui de « marcher sur Versailles ».

Une recommandation à laquelle les « insurgés » n’ont pas souscrit. Quand Marx donne la priorité à la stratégie, les Communards, eux, peu préparés à l’exercice du pouvoir, sont davantage préoccupés par le programme à mettre en œuvre.

Ainsi deux de leurs dirigeants, le communiste hongrois Léo Franckel et le proudhonien Eugène Varlin, font parvenir à Marx une lettre dans laquelle ils lui demandent des conseils « sur les réformes sociales à appliquer ». Dans sa conversation avec le journaliste américain, Marx ne se montre guère indulgent envers les « chefs » de la Commune qu’il qualifie « d’incapables » (voir l’article du Gaulois).

En fait, la position de Marx a évolué durant la Commune. Dans un premier temps, il ne croit pas en la victoire des insurgés, et pas seulement parce qu’ils sont mal dirigés. Selon lui, la révolution ne pourra s’accomplir efficacement que dans l’alliance des prolétaires et des paysans sur l’ensemble du territoire. Or les tentatives pour instaurer la Commune dans quelques grandes villes de province (Lyon, Marseille, Toulouse entre autres) sont rapidement matées, et les campagnes restent inertes.

En outre, les Prussiens aident les Versaillais. Mais au mois d’avril, Marx reprend espoir et commence à penser que la Commune pourrait ouvrir le chemin de la « dictature du prolétariat ».

Le 17 avril 1871, il écrit à l’un de ses correspondants réguliers, le docteur Ludwig Kugelmann : « Grâce au combat livré à Paris, la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste et son État capitaliste est entrée dans une nouvelle phase. Mais, quelle qu’en soit l’issue, nous avons obtenu un nouveau point de départ d’une importance historique universelle. »

Cependant, lorsque la direction de l’Internationale le charge de rendre publique la position de cette organisation sur la situation à Paris, Marx tergiverse, victime d’une bronchite et d’une crise de foie, inquiet par ailleurs du sort d’une partie de sa famille qui se trouve alors dans la capitale française. Surtout, il lui est d’autant difficile de se prononcer fermement sur les troubles à Paris qu’ils évoluent de jour en jour et qu’il en est mal informé.

Alors que l’insurrection n’est pas terminée, il se résout enfin à écrire une adresse au nom de l’Internationale intitulée « La guerre civile en France » dans laquelle il fait de la Commune la première tentative d’un « Etat nouveau » mais explique son échec par l’absence d’alliance entre les paysans de province et les prolétaires de Paris et des grandes villes.

Dans sa conversation avec le journaliste américain relatée par Le Gaulois, Marx, débordant le cadre de la Commune, évoque sa conception de la conquête du pouvoir. Il prône une voie pacifique : « Nous espérons faire triompher nos droits par les moyens légaux, par acte du Parlement. » Marx est constant. Dès 1847, il pensait que c’est dans le cadre de la démocratie parlementaire et de ses affrontements que pourrait éclore la conscience politique révolutionnaire de la classe ouvrière.

Enfin, il estime que l’Angleterre est le pays le plus propice à la victoire du prolétariat : « Nous vaincrons en Angleterre plutôt que dans tout autre pays parce que le travail et le capital y sont déjà organisés selon le système coopératif. » Cent cinquante ans plus tard, le prolétariat n’a encore renversé ni la monarchie ni la City !

Jean-Pierre Bédéï
Publié ou mis à jour le : 2021-10-31 06:17:56

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