Romain Gary a eu une vie comme tout le monde. Mais pas la même vie que tout le monde. Héros de la France Libre, ambassadeur de France, deux fois lauréat du prix Goncourt… il est né Polonais et de confession juive. Mais son futur était déjà en germe dans son berceau. Sa mère était en effet totalement convaincue que son fils vivrait une vie grandiose intimement liée à la France qu’elle portait aux nues. Et son fils n’a eu de cesse d’accomplir son souhait.
Le film d’Éric Barbier retrace cette ambition démesurée, donnant l’occasion à tous les acteurs de magnifier leurs personnages et de nous faire vivre un moment de grand cinéma.
Années 50. Romain Gary (incarné par Pierre Niney), a très mal. Une douleur insupportable lui vrille le crâne. Mais où trouver un médecin au fin fond du Mexique ? Son épouse, Lesley Blanch (incarnée par Catherine McCormack), l’emmène à Mexico en taxi.
Durant le trajet, elle découvre dans sa sacoche un manuscrit qu’elle se met à lire. Nous voilà transportés dans la prime enfance de cet écrivain déjà célèbre et qui obtiendra deux fois le prix Goncourt, sous des identités différentes il est vrai.
Romain Gary fut aussi un héros de guerre : sitôt conclu l’armistice, n’a-t-il pas décidé de rejoindre les Forces Françaises Libres ?
Il a ainsi combattu en Afrique, puis en Europe, en tant qu’aviateur. Il a failli perdre la vie durant une mission de bombardement au-dessus de l’Europe occupée par les nazis. Après guerre, il mena de front une carrière de diplomate et d’écrivain qui en fit un personnage prisé du Gotha.
Les rêves d'une mère
Le film explore la genèse de cette volonté acharnée de réussite, de reconnaissance sociale et de gloire. Elle remonte à l’enfance de Romain Gary et plus précisément à sa relation fusionnelle avec sa mère. C’est précisément l’objet du manuscrit que son épouse tient entre ses mains. Romain Gary en tirera son chef d’œuvre, La Promesse de l’aube, qui donne aussi son titre au film.
La première scène est déterminante. Elle se déroule en Pologne, où Nina Kacew, la mère de Romain Gary, incarnée par Charlotte Gainsbourg, a trouvé refuge après la Première Guerre mondiale. C’est l’hiver, une rue déserte noyée dans un épais brouillard apparaît à l’écran. Un petit garçon s’avance. Il n’est pas encore Romain Gary mais Roman Kacew (incarné par Pawel Puchalski), jeune Polonais juif, qui vit seul avec sa mère.
Soudain surgit du brouillard cette mère qui se précipite vers son jeune garçon pour lui prodiguer des gestes et des paroles débordant d’affection laissant présager des effusions à venir. D’emblée est posé la nature du lien entre les deux personnages. La jeune mère dévoile les grands desseins qu’elle nourrit pour son enfant et celui-ci va vite se rendre compte que son amour se confond avec une ambition sans bornes.
Ne va-t-elle pas, planté au centre de la cour de l’immeuble où elle vit, haranguer les autres résidents, perchés sur leurs balcons, pour leur déclarer que son fils sera ambassadeur de France, aviateur, écrivain ? Oui, ambassadeur de France, car Nina Kacew a la France chevillée à l’âme.
Charlotte Gainsbourg incarne une mère courage mais aussi un personnage hors norme, toute entière possédée de certitudes proprement abracadabrantes. Les autres résidents, sidérés par ces déclarations saugrenues, éclatent de rire. Un rire terrible pour le jeune enfant, qui s’enfuit et trouve refuge dans une cave. Devenir ainsi la risée de tous, quelle terrible humiliation.
Mais, à l’instar d’un autre enfant juif, devenu un célèbre médecin à Vienne, le jeune Roman Kacew va transformer cette humiliation en ambition et consacrer toute son énergie à la transformer en réalité.
Enfin la France
Le film retrace les étapes de cette ascension vers la gloire du jeune Roman.
Sa mère, bien que dotée d’une audace peu commune, connaît des revers de fortune. En Pologne, elle monte un salon de couture, dont elle a réussi à faire croire qu’il était une succursale de celui de Paul Poiret, célèbre modiste parisien de l’époque.
Comment ? En mobilisant pour quelques heures Alex Gubernatis (incarné par l’excellent Didier Bourdon), un comédien français qui vivote à Varsovie. Les dames de la bonne société marchent dans la combine… mais se montrent avares.
Et lorsque Nina s’avise de leur demander son dû, elle se fait rabrouer et rappeler qu’elle est juive. Il faut donc partir. Mais où ? Hé bien en France, naturellement ! Après moult péripéties, Nina Kacew prend la gérance d’un hôtel à Nice. Là encore, elle fait preuve d’une détermination sans faille et cette fois, la réussite est au rendez-vous. Son fils grandit mais elle ne le lâche pas d’une semelle. Sans cesse, elle lui rappelle le destin grandiose qui l’attend et qu’il doit accomplir.
Rien ne la détourne de cette tâche de chaque instant, pas même la cour insistante d’un peintre polonais, Monsieur Karemba (incarné par Jean-Pierre Darroussin), qui ne renoncera à son projet qu’au bout d’un an d’assiduités. Scène étonnante où le fils, devenu un adolescent (incarné par Nemo Schiffman), échange par la fenêtre un dernier regard avec le peintre. Il voit alors s’envoler l’espoir d’être plus libre et de voir sa mère se détourner un peu de lui.
Devenir Romain Gary
Son chemin est désormais tout tracé. Romain Kacew va faire son droit puis s’engager dans l’aviation, toujours hanté par l’ambition de sa mère.
Comment peut-il passer ses nuits à écrire puis partir au petit matin en mission de bombardement ? Tout simplement parce qu’il doit écrire un livre, son premier livre. Intitulé L’éducation européenne, il le fera entrer dans ce Panthéon que sa mère a inventé pour lui, dans cette vie où il sera pour toujours Romain Gary.
Éric Barbier réussit ce tour de force de nous attacher à un personnage à travers trois comédiens incarnant les différentes périodes de la vie de Romain Gary. Sans doute Charlotte Gainsbourg y est-elle pour beaucoup. Elle insuffle en effet à son personnage une énergie telle qu’aucun obstacle ne semble de taille à l’arrêter et qui va littéralement transformer « ses » ; fils en conquérants de l’existence.
En maintenant tout au long du film cette tension qui porte les personnages, le réalisateur signe un film intense, esthétisant et attachant.
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