30 septembre 2017

Europe : le Jour des fous, c'est tous les jours (ou presque)

Au Moyen Âge, chaque année, il était habituel de s'autoriser une journée de transgression durant laquelle maîtres et serviteurs échangeaient leur place. À la lecture des journaux de la semaine, il semblerait que les Européens aient décidé de réinstaurer ce « Jour des fous » plutôt dix fois qu'une...

La timide reprise de la croissance économique et de la création d'usines redonne un peu d'espoir à l'Union européenne. Pourquoi faut-il que plusieurs signaux viennent brouiller l'horizon et nous portent à douter de nos classes dirigeantes ? Prenons garde à ces signaux. L'avenir nous dira s'il s'agit seulement de faits sans importance ou de marqueurs historiques, révélateurs d'une crise civilisationnelle.

- 21 septembre 2017 : application clandestine du CETA

Le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) ou traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne a été mis en oeuvre « à titre provisoire » avant d'avoir été validé ni même lu par les parlementaires des États européens (note).

Garants du « doux commerce », ses promoteurs font état des « économies d'échelle » autorisées par la levée des barrières entre l'Europe et le Canada (8% de la population européenne). Ainsi, les Européens pourront écouler jusqu'à 16 000 tonnes de fromages au Canada pour un montant de quelques dizaines de millions d'euros (un millième du commerce actuel entre les deux entités). Faut-il en rire ou en pleurer ?

Officiellement qualifié de « traité de nouvelle génération », le CETA ne s'attaque pas aux droits de douane résiduels entre le Canada et l'Union européenne. C'est avant tout une arme à usage interne destinée à détruire ce qui reste des réglementations nationales, afin de libérer les grandes entreprises des contraintes en tous genres - environnementales, sociales ou culturelles - qui limitent leurs profits.

- 23 septembre 2017 : dérapage d'un tribun de la plèbe

Jean-Luc Mélenchon s'en est pris au président de la République qui avait dit que « la démocratie, ce n'est pas la rue ». Le leader de la France insoumise (opposition de gauche) a lancé à ses militants qui manifestaient contre la réforme du code du travail à Paris, place de la République : « C'est la rue qui a abattu les rois, les nazis, le plan Juppé et le CPE... ». La référence aux nazis a immédiatement suscité dans les médias un déluge de protestations.

Jean-Luc Mélenchon connaît l'Histoire mieux qu'aucune autre personnalité politique et il sait bien évidemment que les nazis n'ont pas été abattus par la rue mais - pour faire simple - par la Royal Air Force, l'Armée rouge et l'industrie américaine. En tribun expérimenté, il maîtrise aussi l'art oratoire et n'est pas sujet aux lapsus. On peut donc penser qu'il a effectué un dérapage contrôlé en vertu de calculs impénétrables... comme en d'autres temps un autre tribun de la plèbe, Jean-Marie Le Pen, leader de l'extrême-droite. Même si l'affaire demeure anecdotique, nous y voyons matière à réflexion sur l'essence du « populisme ».

- 27 septembre 2017 : Pékin en embuscade dans le train et la construction navale :

Le sommet franco-italien de Lyon a permis au président Macron de boucler le rachat des anciens Chantiers de l'Atlantique (Saint-Nazaire) par Fincantieri (Trieste). Le chantier naval italien prend aussi une participation dans la construction navale militaire française. Pourquoi pas si la rationalité économique, la concurrence mondiale et l'intégration européenne l'exigent ?

Mais Fincantieri a par ailleurs conclu il y a deux ans un pacte avec une entreprise d'État chinoise pour construire et vendre des bateaux en Chine. Il s'est engagé sur des transferts de technologie... Bien entendu, les officiels français et italiens jurent leurs grands dieux que jamais le partenaire chinois ne mettra son nez dans les secrets navals et militaires des Européens.

On a déjà entendu cela plusieurs fois. Par exemple il y a dix ans, quand Siemens a tenté de vendre ses trains à grande vitesse en Chine. Ses interlocuteurs ont pu lui arracher ses secrets industriels et construire leurs propres trains. Ils ont constitué en 2015 un puissant groupe d'État. Gavé de subventions par  le gouvernement communiste de Pékin, sans égard pour les règles de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ce constructeur a raflé toutes les commandes de trains dans le monde.

Il a réalisé l'an dernier un chiffre d'affaires de 36 milliards de dollars, à comparer aux 7 milliards de chacun de ses concurrents occidentaux : le québécois Bombardier, le français Alstom et l'allemand Siemens. Le premier est en train de sombrer et le deuxième s'est résigné à passer sous les fourches caudines du troisième. L'absorption d'Alstom par Siemens vient d'être officialisée mais il n'est pas le moins du monde certain que cela sauve la construction ferroviaire européenne... Gageons que les fonctionnaires libéraux de Bruxelles sauront trouver les arguments pour l'abandonner aux appétits de Pékin.

- 27 septembre 2017 : les Huns de retour à Paris

Des promoteurs associés à un groupe financier chinois ont convaincu la municipalité de Gonesse, au nord de Paris, d'ériger un immense complexe sur son territoire, EuropaCity (en globish s'il vous plaît !). Ce sont au total 660 hectares de terres céréalières parmi les plus fertiles du monde qui vont disparaître pour laisser la place à des commerces, des parcs d'attraction, des bureaux etc. Promoteurs, financiers et politiciens promettent la main sur le cœur la création de dix mille emplois... mais ne disent rien des dizaines de milliers qui disparaîtront aux alentours du fait des surcapacités et de la saturation de la région en équipements commerciaux et de loisirs.

Rappelons pour fixer les idées que 5% du territoire français est déjà artificialisé. C'est à peine moins qu'au Royaume-Unis (6%) qui a une densité plus de deux fois supérieure à celle de la France (270 habitants/km2 contre seulement 120 habitants/km2 dans l'hexagone). C'est dire l'incroyable gaspillage écologique commis depuis plusieurs dizaines d'années par les promoteurs et les élus locaux et nationaux, dans l'indifférence quasi-générale (note).

- 29 septembre 2017 : « Ah Dieu ! que la guerre est jolie » (Apollinaire)

Pour la première fois depuis un quart de siècle, l'armée suédoise a effectué sur son sol des manoeuvres militaires avec l'OTAN. Pour la Suède, en principe neutre, il s'agit de se prémunir contre une agression fictive qui viendrait de l'Est (« suivez mon regard »). Dans le même temps, la Russie et la Biélorussie ont aussi procédé à quelques manoeuvres du côté de la Lettonie.

Faut-il pour autant accorder du crédit à une invasion russe ? Le président Poutine est sans aucun doute autoritaire, brutal, déterminé et nationaliste. Reconnaissons-lui d'être également intelligent et rationnel. Avec une population pauvre et vieillissante qui peine à conserver son immense territoire, comment serait-il assez inconséquent pour agresser l'Europe ? On peut s'interroger sur les motivations de certains boutefeux qui rêvent de réveiller la guerre froide, soit pour prendre une revanche historique sur leur grand voisin en Suède et en Europe orientale, soit pour muscler leur secteur militaro-industriel à Washington.

Une provocation est toujours possible comme en Ukraine où le gouvernement a promulgué le 26 septembre une loi exigeant d'éduquer les enfants en langue ukrainienne. Comme en 2014 quand l'ukrainien fut décrété seule langue officielle, cette loi risque de réactiver la guerre civile dans le Donbass, où vit une importante minorité russophone. La Russie pourrait alors difficilement se défausser...

- 1er octobre 2017 : référendum contre les pauvres en Catalogne

Après leur très relatif succès aux élections régionales du 27 septembre 2015 (48% des suffrages), les indépendantistes catalans ont décidé unilatéralement d'organiser un référendum sur l'indépendance de la Généralité (région autonome). Il s'agit d'une claire violation du droit constitutionnel, des règles démocratiques et des conventions internationales.

À la différence du Pays Basque, la Catalogne n'a pas eu à se plaindre de la dictature de Franco. Elle n'a pas plus à se plaindre de la démocratie qui lui a succédé : elle n'est en aucune façon opprimée et bénéficie d'ores et déjà d'une très large autonomie qui lui permet même de privilégier la langue catalane au détriment de la majorité des habitants encore attachés à la langue de Cervantès et Garcia Marquez 

L'indépendance est ici revendiquée pour le pire motif qui soit : le refus par cette province la plus riche d'Espagne de partager ses ressources fiscales avec les régions plus démunies ! C'est la négation de tout ce qui fonde les États-nations européens mais également l'Europe de Jean Monnet et Robert Schuman (note).

Avec le référendum illégal de ce 1er octobre 2017, rien n'est à exclure. Et d'aucuns s'inquiétent d'un nouvel État que refuseront de reconnaître les États européens, à commencer par la France, soucieuse de ne pas ouvrir la boîte de Pandore. De quoi déstabiliser un peu plus l'Union européenne, déjà mise à mal par le Brexit et la crise financière de la Grèce...

Joseph Savès
Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14
Sylvain Manyach (09-10-2017 16:03:19)

Le problème de l'Espagne, c'est que...ce n'est pas la France dont l'unification est bien plus solide. Hormis la période de la transition démocratique, le pouvoir central a toujours plus ou moins été contesté en Catalogne. Et le compromis institutionnel est aujourd'hui à bout de souffle, y compris quand on regarde la crise du système partisan

faliph patrice (02-10-2017 13:39:29)

Sur l'Espagne, vous auriez pu relever que le gouvernement central a commis toutes les erreurs possibles et classiques face à un tel problème, a été incapable de noyer le poisson et n'a fait que re... Lire la suite

Francoise (01-10-2017 13:19:32)

"Faisons le vœu que les futurs manuels d'Histoire ne retiennent aucun de ces événements et citent seulement le discours européiste du président Macron à la Sorbonne et ses mesures budgétaires a... Lire la suite

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